Décervelante I.A. ?

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Invité par la Société Alpine de Philosophie, dont il fut président avant Anne Eyssidieux, Thierry Ménissier vient de prononcer dans le cadre de celle-ci une stimulante conférence sur les promesses et les dangers de l’Intelligence artificielle ; un sujet qu’il connaît bien puisqu’il dirige sur les questions qu’elle pose un laboratoire de recherches, et qu’il anime depuis quelques années autour de ces espoirs, mais aussi de ces angoisses, diverses rencontres et séminaires… Sur cette problématique s’entrecroisent au moins sept disciplines que son Power point énumère, parmi lesquelles la philosophie, les sciences cognitives, l’économie ou les sciences de l’information-communication. Mais comment dénombrer aujourd’hui tout ce que touchent les innovations venues de l’I.A., et comment, dans quantité de secteurs professionnels, ne pas se sentir ébranlé voire menacé par elles ?

Les travaux de secrétariat sont évidemment concernés ; mais une avocate évoquera, lors du débat, quels gains de temps les algorithmes font gagner au repérage des cas dans l’histoire judiciaire et à la fastidieuse jurisprudence, à l’archivage des dossiers mais aussi à la rédaction des jugements ; un automate conversationnel peut s’acquitter aujourd’hui, en un temps record, de la proposition d’une plaidoirie très convaincante ! Mais que dire de la rédaction d’un roman, de la création d’un tube musical, d’une bonne traduction d’un document dans un nombre illimité de langues, d’une dissertation de philo, d’un article de journal, d’une thèse ?… 

Le « test de Turing », proposé par le célèbre mathématicien comme la pierre d’angle d’une distinction fondamentale entre nous (les humains) et la machine se trouve depuis longtemps passé ou dépassé : il est, il sera de plus en plus difficile, dans une communication médiatisée par des écrans ou des téléphones, de discerner si nous avons affaire à une présence humaine, ou à un robot, comme chacun peut en faire quotidiennement l’inquiétante expérience. Le « sens » à donner à l’I.A., vers l’émancipation des tâches inférieures et le progrès, ou au contraire vers un monde machinique de moins en moins humain, ne laisse pas d’inquiéter. L’I.A. ou pour mieux dire les I.A. soulèvent un maëlstrom de questions, véritablement passionnelles et qui n’ont pas fini de nous agiter ; chacune de leurs réalisations relance en effet ironiquement ou dramatiquement, la question jamais éteinte de savoir quel est au juste le propre de l’homme.

Soit de savoir comment distinguer en moi, comme en chacun, ce qui relève authentiquement de l’âme, ou de l’esprit, ou d’une triviale machine.

Si j’avais pu discuter un peu longuement avec Thierry, je lui aurais fait remarquer que notre médiologie, développée depuis  les années 1990 autour de Régis Debray, a richement labouré la question de la technique, soit de savoir ce que nos successives machines, ou nos toujours nouvelles  « technologies de l’information et de la communication » (c’est-à-dire de la mémoire, des savoirs et du lien social), depuis l’invention de la tablette d’argile ou de l’écriture, ont fait justement à ce que nous considérons comme « l’esprit ». La marche générale des techniques (des procédés, des prothèses ou des dispositifs qui ne peuvent pas ne pas progresser, depuis l’invention de la roue ou du silex taillé) peut se définir en effet comme un processus progressif d’excarnation de nos capacités d’abord physiques ou repliées dans notre corps.

C’est ainsi que l’invention du marteau, ou de la brouette, soulage (et démultiplie) l’effort de nos muscles ; mais en marge de ceux-ci, d’autres inventions déplient au dehors nos organes sensoriels, la lunette de Galilée pour mieux observer le ciel (une scène de théâtre, ou une armée ennemie), le thermomètre  pour mesurer une température, l’horloge pour la mesure du temps, les ruses de l’imagerie médicale pour rendre bien visibles, et décidables,  des états profonds du corps par la radiographie, l’échographie ou le scanner, etc. En bref, nous ne cessons d’externaliser nos sens, de les prolonger ou de les affiner par diverses prothèses. 

Avec l’I.A., c’est évidemment le tour de nos fonctions intellectuelles d’être ainsi projetées ou augmentées « au dehors ». Mais, à bien considérer l’histoire des technologies du calcul, du raisonnement ou de la mémoire, l’invention du codex, de l’imprimerie, du boulier compteur ou de la « pascaline » (imaginée par Blaise Pascal pour soulager les opérations arithmétiques d’un commerçant) constituaient déjà autant de technologies de l’intelligence ; qui toutes soulevèrent l’objection, bien résumée dans le Phèdre de Platon à propos de l’invention de l’écriture, de mettre en péril  la fonction intellectuelle ainsi développée, augmentée ou excarnée : l’écriture menace la mémoire vive ou les exercices du par cœur, comme aujourd’hui les calculettes présentes sur le moindre de nos téléphones affaiblissent en chaque écolier l’apprentissage du calcul mental… L’angoisse née de voir les réseaux de neurones proliférer sous l’espèce du Web hors de notre boîte crânienne ne date pas d’hier, ni de l’invention de l’ordinateur. L’I.A. est bien décervelante, au premier sens du terme, en ceci qu’elle externalise et confie à des machines des mécanismes de plus en plus intimes (intellectuels voire spirituels) de nous-mêmes.  

Il y a certes une clinique à dresser de la maltraitance numérique, ou de la rationalité algorithmique. Certains abus prennent aussi un tour cocasse : ainsi les services de deadbots, qui permettent ou promettent de ranimer la présence de nos chers disparus, et d’accompagner un deuil, par la mise en scène d’une voix, d’un hologramme ou d’une présence qu’on dira spectrale, du mort revisitant les vivants ; une église de Lucerne propose de même un service intitulé « Deus ex machina », ou le fidèle peut, dans l’intimité d’un confessionnal, avoir un entretien personnalisé et recevoir des conseils spirituels d’une image en 3-D particulièrement suggestive de Jésus-Christ. 

Thierry Ménissier a également insisté sur la question de savoir ce que recouvre plus précisément notre concept d’intelligence. Dans les ouvrages de Douglas Hostadter, écrits depuis les années 1980 mais qu’il ne semble pas connaître, on trouve déjà richement problématisée la question épineuse des other minds, soit la question de savoir « ce que cela ferait » d’être un poulpe, une fourmilière, un chêne ou une forêt de sequoias, autant d’organismes vivants auxquels il serait imprudent de refuser un esprit, ou une forme d’âme. Il n’y a pas d’intelligence canonique ou standard, et la présence, la possession ou l’exercice de celle-ci (de celles-ci) paraissent pour le moins distribués. Quel rapport de même établir entre les esprits ou les génies de Dante, Shakespeare, Brunelleschi ou Machiavel, dont Thierry fait défiler les portraits sur son écran ? Réfléchir à ces écarts paraît urgent, et stimulant ; le décentrement du propre de l’homme ne fait que commencer.                          

10 réponses à “Décervelante I.A. ?”

  1. Avatar de France Renucci
    France Renucci

    Beau rappel des travaux mediologiques, je relisais récemment « Vue et mort de l’image » tout y est même l’IA . Ça donne l’idée d’observer … et de rester calme … merci de ce bel article cher Daniel

  2. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour !

    Quel billet ! Il nous incite à faire le point.

    Une mise au point à point nommé, peut-être…

    Hier, j’avais le choix : Répondre à une invitation d’un intellectuel confirmé quelque part en Vendée ou m’exiler à domicile sur mon tracteur pour réparer dans les prairies les dégâts faits par les hardes de sangliers.

    Choix vite fait sans l’aide d’une intelligence artificielle qui n’a pas encore trouvé dans les bureaux climatisés, les moyens adéquats pour se débarrasser des intrus qui vermillent.

    Bonne décision, car ce matin, il neige.

    Brisons là.

    « L’intelligence est l’irréductible et se situe au-delà de la faculté d’adaptation (et c’est ce qui fait son charme) »

    (Thierry Ménissier, Silex ID magazine, novembre 2017)

    Alors, dans ma cabine, je pensais au rapport de stage d’une lycéenne qui m’a demandé de le corriger.

    De prime abord, étonné par un texte bien tourné mais non dénué d’erreurs grammaticales et de contresens.

    J’ai compris que ce n’était pas tout à fait elle, et que la machine était passée par là.

    Des félicitations, bien sûr, à la jeune fille, des correctifs qui s’imposent et un constat d’évidence…Mon rôle s’est arrêté là.

    Aux parents et aux enseignants de se montrer responsables !

    Autre chose. Une association de ma connaissance a lancé une compétition avec une dictée à corriger, constellée de fautes et un questionnaire. Cette association a reçu les copies corrigées de ChatGPT, de Claude AI et de Deepl.Write.

    Il n’est pas certain de trouver parmi les réponses des participants humains, fussent-ils médiocres, des copies aussi insignifiantes. C’est un fait.

    Quel plaisir en lisant ce billet intelligent de retrouver, céans, Madame Renucci qui répond au joli prénom de France.

    Je me souviens de son article, il y a déjà vingt ans, où elle nous parlait de la responsabilité des enseignants et des journalistes. Un sujet toujours, pour ne pas dire de plus en plus, d’actualité.

    Et plus proche de nous, il y a sept ans dans la revue où le paradoxe de Turing avait voix au chapitre, la gente dame citait allègrement et avec une belle exactitude Gaston Bachelard (La poétique de l’espace) sur les secrets de l’armoire et de son intimité.

    Tombe la neige. Lucidité de l’âme…À chacun sa transparence !

    « Vie et mort de l’image » avec les thèses et antithèses de Régis Debray et « Vues (et non vies) de l’esprit » avec les fantaisies et les réflexions de Douglas Hofstader.

    Au delà de toutes ces utiles considérations, comment interpréter le signe du crayon de la nature, si loin des symposiums, quelque part où s’exprime ce que le théoricien iconique appelle « le spectre » attrapé vivant ?

    Un jour, peut-être, un jour couleur d’orange, tous unis vers Cythère, nous aborderons cette possibilité.

    Bon dimanche, dernier de la saison, avant le sacre du printemps.

    Kalmia

  3. Avatar de Daniel Bougnoux
    Daniel Bougnoux

    Je place sous mon nom un commentaire signé d’Anetchka, qui ne parvient pas à l’insérer :
    Voilà un immense sujet, cher Daniel où le fameux « propre de l’homme » est remis à l’ordre du jour. Il a été le plus souvent abordé en rapport avec le monde animal, et n’a cessé d’être grignoté : l’outil, le rire, le langage, le rituel d’ensevelissement, le soin guérisseur, etc. Mais avec l’IA et le spectre du robot Hal, se trouve renforcée un cran de plus l’idée du « décentrement du propre de l’homme », selon tes mots ; alias « excarnation », ou « prothèses ». Et cette fois, comme les applications sont multi-domaines, la réflexion devient pluridisciplinaire.

    On en revient toujours au ratio bénéfice / risque des grandes inventions de l’humanité, dont tu cites quelques- unes. Et son cortège de réactions enthousiastes ou réticentes, voire hostiles. Vu la progression exponentielle de la machine, on pourrait attendre de l’humain source de la programmation un accelerando d’imagination anticipatrice et de prises de décision, ce me semble. Pour ne pas finir par jeter le bébé avec l’eau du bain ou, si on préfère, débrancher le tout-puissant Hal.

    Hormis les domaines d’application de l’IA évoqués dans ce blog, traduction multilingue, plaidoiries d’avocats, médecine, journalisme, copies scolaires et universitaires, composition musicales, métiers touchant aux « tâches inférieures », j’en vois deux qui ont marqué un tournant : le jeu d’échecs et le militaire. Je m’attarderai pour le moment sur le premier, sorte de sublimation du second, et plus amusant…

    Quand en 1997, Deep Blue a vaincu le maître historique Garry Kasparov (qui avait été le grand vainqueur de Karpov) la communauté internationale des échecs a vécu un instant de sidération. Depuis cette première machine d’IBM, on a vu éclore Alpha Go, Stockfish ou autre Leela Chess Zero. Aujourd’hui, l’IA est capable d’analyser des millions de positions par seconde, de prévoir plusieurs coups d’avance, et d’identifier les meilleures stratégies pour remporter la partie. Les algorithmes battent les meilleurs cerveaux par leur avance fulgurante. Cerise sur le gâteau, les robots s’avèrent mauvais perdants ! Selon une récente étude, de nombreux modèles d’IA trichent. En plus d’être des perturbateurs affectifs pour les humains…Comment relever la tête ?

    Dans la balance positive, on pourra arguer que l’intuition, l’instinct, les pressentiments, l’impression de familiarité n’existent pas dans l’ordinateur, quel que soit son algorithme ou le milliard de variables qu’il considère simultanément. Mais pour combien de temps ?

    Pour le versant positif, on brandit surtout la survie de l’activité des échecs, qui aurait bien pu être balayée, par la suprématie actée de la machine. Le dernier des Mohicans qui s’est attaqué au robot s’appelle Vladimir Kramnik, champion du monde 20O5-2006. Les inventeurs Indiens dudit-jeuvoilà plus de 1500 ans continuent à briller sur la scène internationale, avec quelques génies précoces : après le célèbre Wishvanathan Anand, le jeune GM Arjun Ergaisi a pris la relève depuis 2018. Signe de sa vitalité, le jeu d’échec fait toujours partie des programmes scolaires du Nord au Sud du Sous-Continent. Et de même en Russie, précoce pays d’adoption des Shakhmati (le nom est emprunté), le jeu est intégré dans la plupart des écoles depuis plus de 40 ans.

    A l’égale des mathématiques ou de la musique, l’activité est réputée hautement stimulante pour le cerveau. L’augmentation de sa fluidité globale observée chez les joueurs d’échecs professionnels révèle une neuroplasticité particulière liée à l’acquisition de compétences cognitives tant chez l’enfant que chez l’adulte. Résolution des problèmes, capacités d’analyse et de synthèse, facultés d’abstraction, de calcul, de mémoire, de créativité, d’intelligence stratégique, de vivacité d’esprit. A quoi il faut ajouter les vertus de concentration, de calme, et de détermination associées. Que de bénéfices humains perdus si d’aventure la machine écrasait tout !

    Si aujourd’hui, la popularité des maîtres mondiaux a reculé, c’est à mon sens pour des raisons conjoncturelles de géopolitique. Le champion Norvégien actuel Magnus Carlsen n’a pas l’audience de l’ex-virtuose Américain Bobby Fisher, non par désaffection pour le jeu mais parce que le gamin de 14 ans gagna « le match du siècle » en pleine guerre froide face à la Russie…avant de sombrer dans la folie. Mal qui ne guette pas Deep Blue et consort. En revanche, le héros du formidable roman de Nabokov, La Défense Lioujine, lui, a connu une destinée du même ordre. Avec l’éradication des Shakhmati de la planète, par capitulation des humains, qu’en serait-il de tels êtres à la pensée non orthodoxe et créative, à la passion quasi-pathologique mais si attractive et attachante ? Ces étranges personnes capables d’effectuer 25 parties simultanées à l’aveugle, ou encore comme dans le roman (et chez Fischer ?), transposer tout acte de la vie ordinaire en termes échiquéens ? Un dommage, pour les spécimens humains et pour la littérature aussi…

    En pensant au versant inquiétant de l’IA, appliqué à la médiatisation, on plonge dans une actualité sordide. A l’aide du logiciel Grok, en quelques mots- clés et requête antisémite d’un utilisateur, on génère un « visuel » d’affiche digne de la propagande de Goebbels, on jette ensuite en pâture sur la place publique ce portrait d’un animateur de télévision à la chaine abolie. Et le commanditaire de se retrancher derrière l’IA du méchant Musk (en l’occurrence c’est ChatGPT, mais tout est bon) pour se déresponsabiliser.

    Alors l’avenir de l’IA ? On pourra préférer répondre en chantant avec Mike Brant (en reprenant les mots surgis du précédent blog) : Qui saura qui saura qui saura / Qui saura me faire oublier dites-moi / Ma seule raison de vivre, essayez de me le dire / Qui saura oui qui saura…
    Anetchka

  4. Avatar de Perrin
    Perrin

    Daniel, Merci vos réflexions stimulantes sur l’IA
    Dans votre contribution vous écrivez « En bref, nous ne cessons d’externaliser nos sens, de les prolonger ou de les affiner par diverses prothèses » et plus loin vous décrivez les techniques « comme un processus progressif d’excarnation de nos capacités d’abord physiques ou repliées dans notre corps ».
    Au lieu d’excarnation, je préfère employer l’expression d’exosomatisation utilisée par Bernard Stiegler et le collectif Internation dans leur livre Bifurquer et proposé par le mathématicien et biologiste Alfred J. Lotka (1880-1949) . Lotka appelle processus d’exosomatisation la constitution de tels objets, qui sont extérieurs aux corps organiques, mais qui peuvent être considérées analogues aux organes endosomatiques (les organes au sein du corps physiques). Ces objets inorganiques sont le prolongement d’organes du corps physique ( la main, la mémoire, l’oeil, l’oreille, ..) ou constituent des organes humains nouveaux. « Ces processus d’exosomatisation conditionnent de part en part l’évolution des modes de vie humains ».
    Les expressions excarnation et exosomatisation semblent proches , mais au lieu de considérer les techniques comme des artefacts, des objets extérieurs à nos corps, le concept ou le mot d’exosomatisation nous amène à considérer les techniques comme des prolongements de nos organes, et de les considérer comme appartenant au monde du vivant, comme le fait d’autres philosophes dont le philosophe Camerounais Achille Membe. Cela permet de dépasser l’opposition Nature/culture (Philippe Descola) ; Cela peut permettre d’envisager l’IA d’une manière différente comme étant potentiellement une l’intelligence collective du vivant !!!
    Bien convivialement

  5. Avatar de Jean Claude Serres
    Jean Claude Serres

    Quel bon sujet ! Merci Daniel de cet article qui pose bien la problématique de l’IA avec ce penchant vers l’anxiété et cet autre vers la fascination ! Je voudrai rajouter quelques points à prendre en compte, il me semble, afin de prendre un peu de recul par rapport aux réactions par trop émotionnelles.

    L’IA est une machine , un outil qui n’intègre pas la méthode d’utilisation. Comme pour un marteau qui considère que tout objet a une forme de clou. L’IA ne pense pas, n’a pas conscience donc pas d’intuition de ce qu’elle produit (aujourd’hui !). C’est l’humain qui tient le manche au bon endroit pour le meilleur comme pour le pire.

    Comme pour les ordinateurs il y aura sans doute des grosses IA tel ChatGPT et sans doute arriveront sur le marché des IA de la “taille d’un PC” qui pourront travailler des infos sur les bases de données des utilisateurs par exemple l’IA de mon propre parcours de savoirs numérisé…..

    Des différentes IA à ma disposition, gratuitement, je n’utilise que ChatGPT qui me paraît la plus pertinente actuellement pour mon usage personnel. C’est pour moi un super wikipédia, boite de questionnement et source de créativité. les données, les informations ne sont pas sûres à 100 pour cent. Dans les domaines que je maîtrise les résultats sont cependant surprenants. L’IA proprement dite n’est pas capable de créativité ou d’innovation de rupture. Elle est cependant capable de créativité intégrative ou associative par la vaste capacité de consultation des bases de données, ce qu’un humain ne peut pas faire et surtout en un temps si court. Pour moi c’est un outil d’aide à la créativité personnelle, c’est à dire humaine.

    Le dernier point que je souhaite aborder ici est celui de la contribution de la recherche sur l’IA qui à permis de faire progresser les neurosciences dans la connaissance du fonctionnement du cerveau humain et vice versa !

    Depuis que les sciences progressent, l’homme s’est progressivement éloigné de se penser centre du monde. Aujourd’hui le fonctionnement cérébral non conscient ( pas si éloigné de celui de certaines IA à réseaux de neurones artificiels – c’est normal puisque inventé par des humains !) peut se laisser découvrir par certains chercheurs en neurosciences dont Lionel Naccache excellent vulgarisateur .

    Deux livres passionnants de Lionel Naccache ( “Le cinéma intérieur” puis “l’apologie de la discrétion “ nettement plus difficile d’accès ) permettent de comprendre un peu comment émergent nos états de conscience : états discrets comme des images d’une durée de quelques dizaines de millisecondes dont nous avons l’illusion d‘un film continu. Plus facile d’accès par une belle suite de vidéos sur YouTube produite par Lionel Naccache dont le DECLIC (Eureka!) de moins de 20 mn

    https://www.youtube.com/watch?v=sO_n89lQt0U&t=920s

    peut illustrer un peu mon propos et inviter à l’humilité vis-à-vis du fonctionnement cérébral humain.
    Bonne poursuite
    Jean Claude

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Merci Jean-Claude ! Je vais chercher ces livres de Naccache dont j’ignore tout…

    2. Avatar de Anetchka
      Anetchka

      L’intervention de jC Serres nous oblige avec justesse et humilité, à recadrer un peu nos élans émotionnels vers plus de rationalité. Tour à tour on peut être vite enclins (j’en fais partie) à pratiquer l’humour, la dérision, la déploration craintive. Cela s’applique évidemment aux utilisateurs de l’IA et non à l’invention elle-même, tout à fait d’accord!
      Je soulignais précédemment qu’il serait nécessaire à nous humains d’anticiper l’innovation, pour l’utiliser à bon escient, et éviter les dérives.

      Je retiens bien les propos de l’intervenant sur l’aptitude étonnante de l’IA à « la créativité intégrative ou associative » qui « a permis de faire progresser les neurosciences dans la connaissance du fonctionnement du cerveau et vice versa ». Et notamment « permet de comprendre comment émergent nos états de conscience: états discrets comme des images d’une durée de quelques dizaines de millisecondes ».

      Je lisais récemment une présentation de l’Institut Pasteur via Le Journal de la Recherche du 21. 09. 22 dans laquelle j’avais retenu quelques phrases éclairantes et porteuses:
      « Ce modèle pourrait combler le fossé entre l’IA et notre compréhension des mécanismes biologiques qui sous-tendent les troubles mentaux »…. « Le modèle démontre comment la convergence entre la neuroscience et l’IA met en évidence les mécanismes biologiques et les architectures cognitives qui peuvent alimenter le développement de la prochaine génération d’IA et même à terme conduire à une conscience artificielle. Pour atteindre cette étape, il faudra a priori intégrer également la dimension sociale de la cognition humaine »

      Bémol: il faudrait à mon sens intégrer aussi d’autres dimensions: ethnologique, diachronique (toutes les sédimentations historiques inclues dans la transmission intergénérationnelles du groupe), celle de l’évolution personnelle et ses empreintes, qui concerne la psychanalyse, entre autres.

      La présentation de Pasteur ne touche certes que l’axe « Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neuro-dégénératives » et n’entend pas tout pas tout embrasser ! A ce titre, ces recherches sont prometteuses.

      Et pour revenir au domaine d’application que j’avais abordé plus haut, le jeu d’échecs, on doit mettre en lumière un versant positif allant dans ce sens. Un livre intitulé Un coup d’avance (JM Pailhol, M Choisy et B Kouatl) envisagent les échecs à la fois comme défi par rapport à la révolution digitale et comme laboratoire social.

      De fait, l’IA a transformé le monde du jeu d’échecs en révolutionnant les méthodes d’apprentissage, d’entraînement et d’analyse. Il y a une dimension de connaissance pure dans ce va-et-vient entre le cerveau et l’IA et une dimension d’application dans tel et tel domaine. Sans doute est-ce la raison pour laquelle l’homme-joueur n’a pas capitulé devant le robot.

  6. Avatar de JFR
    JFR

    Ah quel plaisir de lire le Randonneur ! On apprend tout sur l’I.A. Des neurosciences à la philosophie… Lionel Naccache, qui a lu Freud et qui cite L’Esquisse, volera-t-il aussi sur l’attelage ailé de Phèdre avec Socrate ? L’excarnation ou l’exosomatisation de nos fonctions intellectuelles, nos facultés « augmentées » vont-elles résoudre l’énigme du langage ? D’où vient-il ce langage, de l’extérieur ou de l’intérieur ? De voix externes ou de mon inconscient ? Ça parle partout autour de moi. J’entends des voix. On meurt de rire en lisant le billet de Daniel qui nous rappelle La nuit des morts vivants. Grâce à un deadbot, nous allons pouvoir faire le deuil de nos chers disparus. Un agent conversationnel est désormais à notre disposition. Une boite magique va assurer la recollection de l’âme des morts qui nous entourent. Nous allons pouvoir reconstituer leur parole grâce aux traces qu’ils ont laissées sur les réseaux sociaux. Attention, lecteurs et rédacteurs du Randonneur, tout ce que vous écrivez sera désormais retenu contre vous. Les traces informatiques de vos propos les plus aberrants, sont désormais collectées, collectionnées, engrammées, par les algorithmes Big Brother. Grâce à Éternos, vous pouvez d’ailleurs enregistrer en ligne votre voix et vos pensées sans laisser disparaître une seule ligne de vos élucubrations. Après votre mort, vos enfants, vos amis, auront le plaisir de votre conversation. Enregistrez 300 phrases afin de capturer les inflexions de votre voix. Survivez grâce à deadbot, créez votre miroir numérique, créez votre nécrophone… Suite avec Derrida. Avait-il pensé la question dans L’écriture et la différence ? .

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Oui cher JFR, merci de ces développements – inquiétants, ou risibles ? Tout cela, en effet, est vertigineux, et nous n’en sommes u’au début ! Il faudra réécrire ce billet chaque année, chaque mois… Pour Derrida, je te rappelle surtout qu’il est revenu, dans « Echographies de la télévision » (un long entretien avec Barnard Stiegler, et l’un de ses meilleurs livres) sur la question du fantôme, ou comme il aime à dire du spectral, t c’est dans ce livre je crois qu’il prophétise, concernant l’évolution des médias et des NTIC, que notre avenir s’annonce de plus en plus SPECTRAL ! Une affirmation à méditer;..

  7. Avatar de Jean Claude Serres
    Jean Claude Serres

    suite au précédent propos

    Quelques autres commentaires pour aborder notre relation à cet outil magique et préoccupant. Magique car les chercheurs et ingénieurs en IA ne maîtrisent pas vraiment les productions de leurs inventions.

    Un premier regard apporté par le psychiatre Raphaël Gaillard dans une superbe conférence. Le cerveau du sapiens, le notre, fruit d’une sélection, a certes gagné en pouvoir d’adaptation et d’intelligence. Cela s’est effectué au détriment de sa fiabilité.
    Pour Raphaël Gaillard, l’avenir paraît sombre pour le nombre de personnes de plus en plus important qui seront touchées par la dépression. Cela rejoint les propos de Pascal Chabot qui décèle dans l’infobésité les sources de la digitose : burn-out et éco-anxiété
    Raphael Gaillard considère que l’IA et les différentes facettes du numérique seront à la fois pourvoyeurs de maladies cérébrales et aussi des outils nécessaires à leur maîtrise.
    Après l’invention de l’écriture et celle de l’imprimerie est la troisième mutation qui enrichit les capacités humaines et aussi les fragilisent.

    Un autre regard porté par la philosophie. Hannah Arendt, dans son ouvrage “La condition de l’homme moderne” en 1958 avait parfaitement anticipé la nécessité de s’adapter à l’incertitude consécutive de l’accroissement de la complexité du monde et ainsi l’arrivée d’un nouveau métier : la gestion de projet. Cependant elle n’a pas anticipé l’évolution des métiers du faire aux métiers de la surveillance, de l’ouvrier à l’ingénieur. Et cela s’est produit bien avant l’arrivée de l’IA. Michel Foucault avait décelé l’émergence de la société du contrôle, de la surveillance et de l’autocontrôle, de l’autodiscipline dans le cadre de la dilution des pouvoirs des sociétés démocratiques. Le monde numérique, la maîtrise statistique des processus ont contribué à mettre en œuvre cette société de la surveillance dans les multiples activités sociétales.

    Aujourd’hui l’IA comme les outils de modélisations numériques en recherche opérationnelle sont devenus indispensables pour prendre des décisions complexes dans le domaine industriel comme dans l’univers du monde politique. Par exemple, dans l’horizon des deux décades à venir , quel citoyen, quel gestionnaire politique pourrait appréhender sans les outils numériques les 10 ou 15 catastrophes-métamorphoses qui vont transformer simultanément nos sociétés démocratiques roches et industrielles ? Dans la réalisation de diagnostics d’actions stratégiques, évaluer les risques identifier les stratégies les mettre en œuvre et les corriger demandent de visualiser et d’analyser :
    1 – les risques et stratégies de chaque domaine ( dérivés climatiques , pollution des sols, numérisation de la société, nouvelles modalités de vie familiale et émergence des familles monoparentales) etc….
    2 – les effets induits des risques et stratégies des couples de domaines : pollution des sols/numérisation de la société, dérives climatiques / nouvelles modalités de vie familiale, etc.
    3- l’identification des stratégies racines cohérentes dans la prise en compte des différentes catastrophes-métamorphoses
    4- communiquer cette complexité d’engagements politiques aux populations dont 40% au moins cherchent à fuir toute forme d’incertitudes, de complexité, d’efforts de compréhension et se rassurent dans des pseudo croyances de bon sens.

    Notre société semble évacuer les besoins d’écritures et de lecture au profit de la parole immédiate. Hors Lionel Naccache montre combien il est indispensable pour faire fonctionner notre cerveau dans toute sa potentialité de prendre le temps de digérer les informations , de mettre en forme et d’ajuster ses cartes du monde externe et interne. Cela nourrit les processus cérébraux non conscients qui produisent par “embrasement” les états de consciences vitaux.

    Pour clore ces commentaires, juste un mot à JFR qui pose la question de l’origine du langage : découvrir les travaux de Hélène Loevenbruck sur les mystères de la parole intérieure et sa relation aux langages d’externalisation écrits ou parlés

    C’est un sujet immense que se confronter aux productions des IA et aussi des outils de réalité virtuelles beaucoup plus immersifs et difficiles à contrôler

    Bonnes recherches et réflexions
    Jean Claude

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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