Aragon pornographe ?

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Une journée du séminaire Aragon à l’ITEM-CNRS (Institut des Textes et Manuscrits), que nous tenons depuis plus de dix ans, Luc Vigier et moi-même, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, sera consacrée le samedi 9 décembre prochain à « Erotisme et pornographie » dans l’œuvre de notre auteur (de 9 h 30 à 16 h, salle Daniel Reig).

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Louise Mai, qui coordonne cette session, m’a chargé de l’ouvrir, et elle fait circuler sur le site de Fabula un lien qui donne le détail des deux séances, ouvertes à toutes et tous :

http://www.fabula.org/actualites/erotisme-et-pornographie-dans-l-oeuvre-de-louis-aragon_82084.php

Je relaye l’information sur mon blog car ce sujet à tous égards curieux devrait susciter quelque affluence. Il pose de fait un problème majeur.

J’ai moi-même édité (commenté, annoté) au tome I des Œuvres romanesques complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade, l’essentiel du corpus qu’on peut dire érotique d’Aragon, qui tient en quelques titres contemporains de sa période surréaliste : Le Con d’Irène (publié anonymement en 1928 et qu’il n’a jamais reconnu), L’Instant (titre posthume ajouté à une liasse de manuscrits vendus circa 1930, et qui contient quelques-uns des textes les plus scabreux d’Aragon), Jean-Foutre la Bite (1930) et peut-être Entrée des succubes (1925), à quoi il conviendrait d’ajouter, ou de lire à leur lumière, telles pages flamboyantes du Paysan de Paris, ou encore du Mauvais plaisant… La question est en effet de raccorder Aragon à lui-même : comment le poète courtois des Yeux d’Elsa (1942), du Fou d’Elsa (1963) a-t-il été aussi l’auteur de ces pages (laissées pour l’essentiel sans signature) ? Comment mettre d’accord deux démarches, deux modes d’approches de l’amour apparemment aussi incompatibles ? La première chose à rappeler, au moment d’ouvrir ces textes peu frayés d’Aragon, c’est sa très haute conception de l’amour, dont il fit une sorte d’apprentissage sacré au terme duquel il écrit :

« Un vrai critique est celui qui apprend à aimer, et attention ! j’emploie toujours le verbe aimer au sens fort (…). Je suis peut-être un fou, peut-être un esclave, peut-être un sot, mais je vous le dis, de cette vie je n’ai appris qu’une chose, j’ai appris à aimer. Et je ne vous souhaite rien d’autre, savoir aimer » (J’abats mon jeu, 1959). De l’auteur du Libertinage au chanteur lyrique des poèmes à Elsa – du romancier qui fixa dans Les Cloches de Bâle ou Aurélien d’inoubliables rêveries amoureuses jusqu’au vieillard homosexuel de Théâtre/roman – quel usage de l’amour propose Aragon, et qu’a-t-il à nous apprendre d’essentiel sur ce sujet brûlant, le nouage de l’amour et de l’écriture ?

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Il faut en effet repartir du tissu textuel, et sonder quelques phrases : « J’envie beaucoup les érotiques, dont l’érotisme est l’expression. Magnifique langage. Ce n’est vraiment pas le mien. (…) Je suis probablement fermé à cette poésie particulière et immense. (…) Erotisme, ce mot m’a bien souvent mené dans un champ de réflexions amères. (…) L’idée érotique est le pire miroir. Ce qu’on y surprend de soi-même est à frémir » (Le Con d’Irène).

Ce livre dont Camus, Pieyre de Mandiargues ou Julia Kristeva disent qu’il constitue, pour parler du sexe, l’un des plus beaux accomplissements de notre langue, ne pouvait que décevoir les amateurs spécialisés : Aragon y passe en effet des scènes les plus explicites à des réflexions morales et métalinguistiques étrangement mêlées ; une tête s’affronte à la bête sexuelle, et considère avec étonnement ces deux extrêmes du moi fichés dans un même corps ; une parole s’étire et s’y emporte jusqu’au vertige de la jouissance ; la « langue ardente de l’orage » se déchaîne, et retombe. Jamais vulgaire (l’auteur pourrait dire à la manière de Monsieur Teste « la gaudriole n’est pas mon fort »), Aragon écrit par exemple : « Il ne me vient pas à l’idée, la gauloiserie n’est pas dans mon cœur, que l’on puisse aller autrement au bordel que seul, et grave » (Le Paysann de Paris, Pléiade OPC 1 page 221).

Au titre de cette gravité, on lit encore : « Je ne veux pas des rieurs de mon côté » (Le Libertinage).

Ou cet avertissement définitif, à propos de Matisse : « L’énorme chasteté de l’intelligence ».

Ou encore, concernant la pauvre Paulette des Voyageurs de l’impériale : « Elle n’était pas de ces femmes à qui le monde est un vertige ».

Et toujours : « Je n’ai jamais cherché autre chose que le scandale et je l’ai cherché pour lui-même » (Le Libertinage)…

On n’en finirait pas de citer ces phrases qui claquent superbement, qui subjuguent, provoquent et relancent. Parce que le monde réel et l’approche des autres lui furent vertige, Aragon ne cessa de se risquer, voire de se compromettre en de scabreux chemins, également baptisés par lui « défense de l’infini ». Apprendre à aimer, au sens fort du verbe, passait donc par ces pages mal famées, anonymes ?

J’essaierai, au cours de cette séance, de revenir sur quelques passages particulièrement dérangeants, ou frémissants, pour tenter de comprendre, sans mutiler ni édulcorer Aragon, son étrange pédagogie de l’amour.

30 réponses à “Aragon pornographe ?”

  1. Avatar de Vyrgul
    Vyrgul

    En lisant les textes regroupés dans « La défense de l’infini », j’ai eu le sentiment qu’il s’agissait d’une ode à la liberté, d’un écrivain cherchant à s’affranchir du regard normé et de l’étroitesse des genres, aussi bien littéraires que sexuels, ce qu’il ne s’autorisait pas à faire complètement dans son œuvre publiée et dans sa vie. Une sorte d’ode à une androgynie généralisée, assez fascinante et enivrante. Mais je ne suis pas un spécialiste d’Aragon ; il s’agit d’une impression de lecture.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Très bonne impression cher Vyrgul ! C’est ce que je suggérais moi-même par le titre de mon essai (Gallimard 2013) : « Aragon, La confusion des genres », en suggérant de prendre le mot genre dans un sens également sexuel.

  2. Avatar de thomas
    thomas

    Pourquoi ne pas dire que Aragon était gay. mais avec Elsa il avait intérêt à filer droit, vous m’écrirez cent lignes sur « hétérosexualité et communisme »! c’est dur de se forcer à regarder les yeux d’Elsa quand on en préfère d’autres!!. Aragon était coquet!

  3. Avatar de thomas
    thomas

    d’où vient l’incapacité des intellectuels français à dire que chez Aragon tout était faux, la mère/soeur, le père/parrain, le communiste des Datchas inattaquable, le romancier (Aurélien les dix premières pages pétaradantes, du Diderot après il s’emm, c’est un courreur de 100 mètres pas de marathon….!), les yeux d’Elsa, ……. qui n’a pas vu un soir d’octobre à l’heure où Paris grisaille une frêle silhouette en costume Saint Laurent partir vers des rencontres improbables ne sait pas ce que c’est la misère du monde!!.
    Bref la figure inversée de LF Céline, qui ne l’a jamais critiqué, allez savoir pourquoi?

  4. Avatar de Vyrgul
    Vyrgul

    « Aragon, La confusion des genres » que j’ai lu avec grand intérêt pour cet raison. Un livre déséquilibré par l’amputation invraisemblable dont il a été victime, ce que vous avez pu corriger partiellement grâce à Internet – qui nous offre ici son meilleur visage ! –

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Vyrgul ! Et je saisis l’occasion de redire ici que j’adresse, à qui m’en fait par mail (ou sur ce blog) la demande, le texte intégral de ce chapitre scandaleusement censuré non par l’éditeur JB Pontalis, ni Gallimard, mais par le chantage de l’héritier et « prolongateur » Jean Ristat – avec lequel je suis donc définitivement brouillé. Le chapitre s’intitule « Pour ne pas oublier Castille » : j’y relate une drague homosexuelle assez carnavalesque dont j’ai été le destinataire, dans une chambre de la résidence du Cap Brun à Toulon, où Aragon prenait alors (juillet 1973) comme chaque année ses vacances d’été.

  5. Avatar de Vyrgul
    Vyrgul

    « Pourquoi ne pas dire que Aragon était gay ». Parce que Aragon n’était pas QUE gay, pas plus qu’il n’était QUE poète ou QUE romancier, pas plus qu’il n’était l’apôtre QUE du vrai ou QUE du faux. Réduire Aragon en chaque occasion à une seule alternative, c’est d’après moi passer à côté de l’homme et de l’écrivain et donc à côté de l’opportunité qu’il nous offre de lire une autre littérature et de toucher du doigt une nouvelle anthropologie.

  6. Avatar de thomas
    thomas

    c’est tellement évident, vyrgul que je me demande comment il se fait que je n’y avais pas pensé plus tôt!! Moi ce qui me gonfle c’est cette recette du pâté d’alouette et de cheval qui permet à nos intellos de dédouaner ces 2 crapules que furent Aragon et Céline. Mais il est vrai que cela cache beaucoup d’ ambiguïtés incrustées bien profondément chez ces braves gens..
    Bon on ne va pas sénerver, qui lit encore Aragon me direz vous!

  7. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    A Thomas
    Que voilà une attitude méprisante qui vous barbouille la figure !
    Qui lit Aragon ?
    Moi …

  8. Avatar de tthomas
    tthomas

    Vous ne vous sentez pas trop seule?commentaire

  9. Avatar de spartacus
    spartacus

    Parle t on littérature?
    Si oui alors peu d’écrivains ont marque le 21 eme siecle autant que Céline ou Aragon (j’ajoute Perec).Paté d’alouette la bisexualité?
    on peut se dire homo à 28 % et hétéro à 72% ?
    et où voyez vous que « nos  » intellectuels dédouanent deux crapules?
    je répéte : littérature .
    je sens comme un petit mépris pour les « intellectuels » ,n ‘était ce pas le fait de certaines crapules que vous dénoncez ? je réponds :oui .

    Quant à dire que Celine n’a jamais critiqué Aragon, c ‘est totalement faux.
    Quand Céline veut revenir en France Aragon s’en offusque assez fortement.
    D’autant plus que Céline fera connaître qu’Elsa Triolet a traduit « le voyage au bout de la nuit  » en russe pour être édité en URSS.
    qui lit Aragon? les fous de littérature,même chôse pour Céline.

  10. Avatar de thomas
    thomas

    Spatacus Céline à attaqué Sartre mais pour Céline j’attends vos exemples; suffit pas d’affirmer!
    Mépris pour les intellectuels, en général non! mais certains oui,

    vous imaginez la traduction du voyage au bout de la nuit en russe par l’arriviste/commissaire politique, belle soeur du bucheron Maïakovski, ça doit être quelque chose! Epouse du poëte qui appelait au meutre de Blum et d’Aristide Briand, et hurlant son amour à la GUEPEOU?
    Et l’autre qui n’a écrit qu’un seul bouquin « le voyage » comme il disait! qui traitait Hitler de couille molle dans le traitement de la question juive en 1941 alors que le dit Hitler semblait avoir gagné la guerre!

    ils se sont assis sur 80 millions de morts ces deux clowns!

  11. Avatar de thomas
    thomas

    mais pour Aragon j’attends Scusi!

  12. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Un commentaire, Thomas ! Qu’en feriez-vous ? Vous mettez votre plaisir à dézinguer
    Aragon. Sans guère de finesse littéraire de votre part …

    Dommage pour vous, que vous ne puissiez goûter à ce qui fut mes bonheurs à la lecture de certains poèmes.

    Il eut un parcours d’existence chaotique ?! En quoi cela dérange vos choix et votre propre volonté de vivre. Pas moi, certainement.

    Faces lumineuse et sombrede sa Vie. Elles le sont comme celles des vous et moi. Je peux regretter que notre cher D. Bougnoux relate crûmement « les branquignolesques  » d’un Castille. Mais ça ne m’enpêche pas de respirer.

    J’ai reçu, avec bonheur, le cadeau des 2 tomes d’Aragon de la Pléiade.

    Ah … cette prose poétique, goûteuse à souhaits. En mots brefs, précis … sans le gras des surplus.

    Un commentaire, Thomas ? Nulle envie de vous convaincre. Si cela se bornerait à vaincre vos représentations fausses.

    Une invitation : lisez Aragon. ! Jusqu’à y trouver du bonheur pour vous-même …

    Cordialement.

  13. Avatar de thomas
    thomas

    faut que je termine L’Affreuse Embrouille de via Merulana, et que je fasse après son risotto alla milanese, si vous croyez qu’avec tout ça j’ai le temps! et je préfèrerai un mauvais Pessoa ou Pavese à un bon de ce danseur d’Aragon, j’ai le droit?. Non?!

  14. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    … Alors, tentez de regarder du côté de la lumière. Bon vent en 2018 !

  15. Avatar de s
    s

    Mon commentaire
    je n’ai pas sous la main le livre ,mais Céline se paie Aragon en le rebaptisant « Laragoun » .
    le rappel de la traduction du  » voyage « par Elsa est aussi une attaque aussi contre Aragon quand Céline veut revenir en France.Aragon s’en serait bien passé .
    Céline a bien attaqué Aragon.
    Vous avez pris l’appel au meurtre au 1er degré?
    C’est feu sur la social démocratie qui est signifié.Et quand on a vécu dans sa chair la guerre 14 et la trahison de la 2eme internationale ,que cela est encore si proche (des millions de morts ,une généraions assassinée) je comprends la colére .
    Aragon ne s’est pas assis sur des millions de mort,quand il saura il fera plus qu’amende honorable.

    j’ai eu un oncle qui fut gazé ,ces copains tués ,4 ans de guerre ,il crachait sur les « socialos » quand je lui disait que c’etait un peu facile,il me regardait en disant ,tu sais pas,tu sais rien,imaagine tes potes de 18,20ans et que la moitie ne verront pas 25 ans .
    Aragon a regretté cette voilence verbale(Breton défendra Aragon en y voyant une métaphore)
    Vous dites ne pas mépriser « les « intellectuels ,mais certains ,sauf que vous ecrivez:

    «  »d’où vient l’incapacité des intellectuels français à dire que chez Aragon tout était faux, la mère/soeur, le père/parrain, le communiste des Datchas inattaquable, le romancier «  »

    « des » et pas certains .

    précision avant toute chôse .
    ou bien ne serait ce qu’une métaphore comme Aragon ?
    juger une œuvre sur le parcours politique de son auteur risque de passer à coté de chef d’œuvres.
    Oui le » voyage  » est magnifique.
    je hais l’antisémitisme totalement ,absolument ,c ‘est une abjection immonde,ET je recommande la lecture du Voyage ,de mort à credit.

  16. Avatar de thomas
    thomas

    ils ne trouveront pas le remède habituel

    et tomberont aux mains des émeutiers qui les colleront au mur

    Feu sur Léon Blum

    Feu sur Boncour Frossard Déat
     »
    Feu sur les ours savants de la social-démocratie

    Feu feu j’entends passer

    la mort sur Gachery Feu vous -dis-je

    Sous la conduite du parti communiste »

    « il s’agit d’assasiner Aristide Brian, ministre à vie des affaires extérieures »
    Dans Front Rouge

    Visiblement ça vous a échappé! ou vous manquez de lecture?! Vive Beria ça vous dit quelque chose?. L’action française demandait la même chose à la même époque!.
    Comme disait Stephen Spender: « Si le bain de sang est un critère du communisme, Hitler est communiste tout autant que M Aragon, à ceci près que sa réthorique est plus efficace. La capacité intellectuelle de Hitler et celle de ce poète semblent tout à fait identiquesé ( à propos de Prélude au temps des cerises)
    Et ses attaques contre Victor Serge qui venait d’être emprisonné?
    et sa demande à Kolstov ambassadeur de Russie en Espagne (en présence de de Pierre Herbart présent dans le bureau de ce dernier) de fusiller le dit Pierre Herbart secrétaire de Gide après la publication de Retour d’URSS?
    Bon si vous avez encore besoin de quelques précisions………..

    Bien sûr si une réaction du genre: « Pas gentil le Célinou » vous semble d’un courage hors du commun, on n’est pas sur la même longueur d’onde! mais comme tout les deux avaient largement donné pour le terrorisme d’Etats……..

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Thomas, Je rentre d’un voyage de dix jours où je ne pouvais accéder à l’ordinateur, et à peine à ce blog, qui appellerait de précises mises au point. J’espère pouvoir m’y consacrer dans les jours qui viennent, pour contrer vos commentaires qui passent souvent la mesure de la discussion entre gens de bonne foi. Sans entrer ce soir dans la polémique, il se trouve que le même jour me met sous les yeux la page FB de Nicolas Mouton ; il a posté ce matin un billet sur Céline et son « oeuvre » comparée à celle de quelques écrivains résistants, que je ne me retiens pas de recopier ici, tellement je le trouve sensible, et juste, pour rétablir un minimum de vérité, ou de réalisme dans la discussion :
      « Quitte à scandaliser l’intelligensia, troupeau de perroquets terrorisés à l’idée de ne pas dire la même chose que tout le monde, je commencerai par affirmer qu’à mes yeux Louis Ferdinand Céline n’est pas un grand écrivain.
      C’est l’auteur d’un grand livre (dans lequel on peut déjà repérer les germes de ses délires futurs), mais certainement pas d’une oeuvre. Au sens où Hugo, Montaigne, Zola, Balzac, Proust, Aragon etc. ont fait une oeuvre : c’est-à-dire une suite de livres admirables qui se tiennent et forment, qu’on les prennent à la suite ou séparément un tissu se mêlant à la Nation, la culture, la langue et le peuple qui la pratique et en porte l’héritage.
      Un des effets pervers (et pourtant bien prévisible) du débat autour de l’éventuelle republication des pamphlets de Céline, est de donner une fois de plus à l’engeance que je nommais en commençant l’occasion de se répandre en articles, émissions de radio, manifestes, pétitions etc… Bref, de parler à tort et à travers de Céline pour bien montrer que eux, pas vous, mais eux savent… Ils savent que Céline est le « plus grand écrivain de son siècle » (appréciation qui est dépourvue du moindre sens, puisque, chaque artiste étant unique en sont art, il ne peut se comparer qu’à lui-même) et qu’ils sont en mesure de s’en apercevoir ! En réalité ils ne jugent de rien : ils ne font que répéter un lieu commun, fabriqué par la presse, toujours avide de frissons. C’est le propre des petits bourgeois que de se fantasmer trinquant avec des voyous.
      Et cela au détriment d’autres auteurs, prétendument moins intéressants, qui se trouvent (les sots !) ringardisés parce qu’ils auront portés des valeurs humanistes, tolérantes ou pire, qu’au lieu de se griser à la gnôle antisémite ou de tâter du vertige collaborationniste, ils aient, les niais, risqué leur peau dans la Résistance, ou mis leur talent au service de l’honneur. Ainsi Céline et Drieu ont-ils droits à leurs pléiades, et tout érudit se doit d’en posséder une (et feindre de l’avoir lue). Mais Desnos, mort en déportation n’y a pas le droit ; mais Jean Prévost, mort dans le Vercors les armes à la main ne voit pas ses livres réédités ; mais Elsa Triolet, première femme à recevoir le prix Goncourt et la médaille de la Résistance n’a pas le droit au moindre Quarto ; et Vercors ? et Philippe Soupault, inventeur du surréalisme, journaliste, romancier, poète, créateur pendant l’occupation de Radio Tunis, arrêté et torturé pour faits de résistance n’existe pour ainsi dire plus dans les bibliothèques… La liste serait longue. C’est comme s’il y avait une prime au fascisme, et un blâme au courage. Et que dire de mon cher Aragon, auteur je crois d’une oeuvre autrement importante que celle de Céline, un des chefs de la résistance intellectuelle, ayant pris des risques insensés, ayant écrit des poèmes, des journaux clandestins, des romans, des nouvelles jusqu’au bout de ses forces pour se soulever contre les nazis… et que je vois régulièrement insulté dans la presse (voir le dernier Transfuge) comme s’il était responsable des crimes de Staline, au prétexte qu’il était communiste…
      Il y a clairement là deux poids deux mesures dans les moeurs du monde de l’édition et de la presse, et peut-être aussi du côté du public pour lequel il est plus excitant de fricoter (de très loin) avec le mal que faire l’effort de se rapprocher du bien.
      Faut-il « protéger » ce public comme un enfant en interdisant les rééditions de Céline ? Ce qui suppose qu’il ne serait pas capable de faire la part des choses et que tous les racistes vont trouver du grain à moudre dans cette ignoble brèche ? Ou bien faut-il considérer le public comme adulte et capable de juger d’un texte et de reconnaître l’infamie quand on la lui met sous les yeux ? C’est un pari, je le reconnais, risqué sur l’intelligence ; mais c’est le seul que l’on puisse faire si on croit en l’homme. C’est pourquoi je ne suis pas contre la réédition de ces textes, qui montreront qui était réellement Céline, et contribueront à dévaluer son « oeuvre ». Si on croit à la littérature, on ne doit pas l’absoudre de ses dérives : et les pamphlets de Céline font bien partie de son oeuvre ; ce ne sont pas des accidents ou de simples prises de positions. Ce qu’il y exprime (très mal) peut se retrouver ailleurs sous une forme atténuée, et de cela il faut se mettre en garde.
      La vraie réponse aux écrits infâmes de Céline n’est donc pas le silence, ou l’interdiction, mais d’y opposer une protestation majeure par la voix de ceux de ses contemporains qui ont combattu avec talent ces idées. Eux aussi doivent être réédités et réévalués. La bataille de la bibliothèque française oui, toute notre histoire en est faite : mais à armes égales. »

  17. Avatar de thomas
    thomas

    Pour moi Le voyage au bout de la nuit c’est l’anarchisme à la portée des caniches, l’émerveillement des ados boutonneux qui ne le reliront jamais, quelques bonne scènes ‘l’enrolement,, l’arrivée à new york) dans un amas de pête épaisse, un livre qui sue déjà la lâcheté et le racisme.
    et puis les noms des bateaux: d’un ridicule (vous voulez la liste on dirait l’almanach vermot en plus mauvais!)

  18. Avatar de spartacus
    spartacus

    Déjà le refus de reconnaître que le mépris envers les intellectuels etait flagrant , »les  » et non des » puis la fuite,le silence,l’attitude: je fais comme si j’avais rien dit,on fait le gros dos,on attend que ça passe ..bref malhonnetété intellectuelle majeure,mauvaise foi absolue, ça m’ennerve .
    c ‘est le genre de trucs qui ne passent jamais dans les sciences.
    une immense majorité de critiques littéraires ne feraient pas une journée en labos de physique.
    pas une !! fraudeurs,illogiques,etc
    ajoutons la fable de l’affaire de la demande de fusiller Herbart ,car jamais confirmée ni par Gide,ni par Malraux deux protagonistes essentiels de l ‘affaire.
    Seul Herbart et ses dires .
    cela fait beau temps que l’affaire est entendue.
    Aragon ne veut pas de la publication,c ‘est vrai,fait préssion,oui tout le monde le sait ,le reste est affabulation jamais confirméé par Gide,jamais.
    non « front rouge » ne m’a pas échappé,Aragon y va très fort,plus tard regrettera,sera défendu par Breton qui y verra une métaphore.Comme des millions de lecteurs.
    bref Aragon fut Stalinien,et c ‘est condamnable,et cela sera une douleur pour lui plus tard.
    il le dit et redit.
    tout le monde le sait,tout le monde n’y ajoute pas des mensonges.
    relire Rousseau qui m’est une joie et une richesse ne me fait pas oublier qu’il abandonna ses enfants.
    rejeter ses écrits pour cela ?
    Qui devient lisible,acceptable?
    personne!
    des limites ? oui mais pourquoi?
    pour éditer? non tout doit être éditer,tout.
    je refuse qu’on m’interdise de lire ce qu’un autre homme a pensé,écrit.
    des écrits me gênent,me scandalisent,me révulsent,indépendemment parfois du parcours « politique » de l’auteur,je les critique sur ce qu’ils sont,pas sur ce que l’auteur fit.
    peut être tout le monde n epeut pas faire cette séparation,c ‘est dommage car j’ai bien plus de joie à lire .
    ‘aragon,rousseau,gary,de gaulle,sade,cohen racine,le clézio,yourcenar,houellebecq,blondin
    à droite, à gauche encore heureux que je lise pas que de mon camp ,que je n’aime pas que dans mon camp,sinon quelle triste vie

  19. Avatar de thomas
    thomas

    Faisons court:
    « non « front rouge » ne m’a pas échappé,Aragon y va très fort, »
    c’est ce que j’appelle avoir le sens de la nuance,pour des appels au meurtre ou de la presbytie intellectuelle, c’est ce qui nous sépare.
    et pour Céline le beau mec , boxeur super nippé qui revient en haillons en déclarant » vous n’avez rien compris, nan j’déconnais » alors tout le monde a appelé ça pamphlets et basta; mort dans son lit.'(en plus pour moi c’est un écrivain médiocre, un seul bouquin!)

  20. Avatar de thomas
    thomas

    bref si il avait appelé au meurtre d’Hitler, de Himmler et compagnie, ç’eut été plus couillu et en passant ne pas appeler la France à signer le pacte germano-soviétique… quant à la parole d’Herbart elle vaut bien une autre..

  21. Avatar de thomas
    thomas

    Rousseau abandonnant ses enfants c’est en classe de première que ça me perturbait; maintenant je me dis ils n’ont pas su la chance qu’ils ont eue de s’épargner un tel père!. un sacré service pas assez souligné!

  22. Avatar de thomas
    thomas

    « À peine sommes-nous descendus de voiture que Philippe de Rothschild nous convie à sa piscine, couverte et chauffée, où nous apprenons entre deux brasses le nom des autres invités, dont un membre du bureau politique du Parti communiste français : Louis Aragon, rencontré lors d’un précédant voyage… Nous reconnaîtra-t-il en ces lieux ?
    Nous serons fixés le soir même, au dîner. En djellaba et mules de tapisserie, le baron accueille ses invités. Aragon fait son entrée le dernier, le regard bleu vacille un instant… dira, dira pas, Finalement il jette à l’un d’entre nous : « Celui-là, je le connais… » On passe à table, couverte de bouquets savamment dressées par une décoratrice florale préposée à cette tâche. À côté de chaque convive, le menu dont, pour votre édification nous citerons les vins : avec l’entrée, un cheval-blanc 1959, avec le rôti, mouton-rothschild 1949 et 1916 (celui-là, quel souvenir !) et, avec le dessert, yquem 1921.

    la conversation se déroule de façon un peu chaotique parce qu’Aragon, qui se veut le centre d’intérêt principal de la soirée, devient sourd, ce qui oblige Philippe et ses invités à crier et rend difficile le dialogue. À cause de cette infirmité ou par choix délibéré, le poète est parfois absent, d’où une atmosphère un peu irréelle. À quelques traits, on voit cependant apparaître certaines réminiscences de son époque surréaliste : « est-ce que vous connaissez la talmouse ? » demande Aragon au passage d’un plat. (2) « Est-ce qu’on peut en emporter la peau pour faire une descente de lit ? » répond Rothschild sur le même ton guilleret. Aragon : « ce n’est pas un animal, c’est un plat. » « Qu’est-ce qu’il y a dedans ? » demandent les autres. « Vous le saurez en mangeant », conclut Aragon.
    Peu avant le dessert, la conversation devient politique. À une allusion de Rothschild qui semble impliquer les communistes, Aragon lance superbe : « Tu ne connais pas la cause que je sers ! »
    Il est ensuite, question de la dernière guerre. Le poète qui, avant qu’elle ne fût déclenchée, « conchiait l’armée française » dans un texte célèbre, évoque aujourd’hui ses souvenirs farfelus d’adjudant-médecin et de confident du colonel de son régiment ; « un officier très convenable » : « Au fond, j’aimais assez le milieu militaire. »
    Comme dans bien des conversations mondaines, on saute les époques et l’on en vient à Malraux : Aragon raconte que Malraux, à la Libération, était persuadé qu’il le recherchait dans tout Paris avec un pistolet pour l’abattre. « Quand il était Ministre de la Culture, nous nous sommes vus souvent en secret, chez Gallimard. » Un silence, puis avec le sourire du mystificateur qu’Aragon redevient ou qu’il n’a jamais cessé d’être, il ajoute : « J’ai pu dissiper cet affreux malentendu…

    Plus encore que hableur Aragon était coquet!!
    In les patrons de Harris et Sédouy seuil 1977

  23. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

     » En attendant, Monsieur, c’est vous
    Qui sérieusement nous chauffez les oreilles
    De cette liberté de quoi vous prétendez user
    Comme d’un point que l’on amène aux dés
    De la balle à tout coup au carton qui fait mouche
    Et qui vous sort à tout bout de champ de la bouche

    Votre philosophie à la fin, je m’en fiche
    Ramassez vos outils.
    À la niche … à la niche  »

    Extraits de « Les poètes », Aragon, bibliothèque de la Pléiade

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Cécile ! Thomas aurait dû préciser, dans son dernier billet, que Philippe de Rothschild et Aragon étaient très liés depuis la guerre : en 1940, le premier avait sauvé la vie du second, alors (toujours) médecin-auxiliaire, en lui interdisant d’accéder à une zone très exposée où Aragon courait ramasser des blessés…

  24. Avatar de thomas
    thomas

    M Bougnoux au moins ça lui permettait de boire bon et de faire l’intéressant

    Cécile poème pour poème je parodie Roger Nimier parodiant Aragon

    Aragon, mon Loulou toujours tu eus raison
    Aragon, Aragon au coeur de notre France
    Chaque femme filant la fileuse Espérance
    Te dit qu’il fait plus chaud quand tu tiens la maison. (Variétés)

  25. Avatar de thomas
    thomas

    Anastasie chez Bougnoux, je vous expédie la paire de Ciseaux?

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Thomas, J’ai toujours « approuvé » vos commentaires, quelle que soit leur brutalité ; je suis partisan de tout publier, et que les lecteurs de ce blog se fassent leur propre opinion. Vous êtes donc mal placé pour me reprocher une quelconque censure – simplement et depuis quatre jours, mon ordinateur a buggé et je n’avais plus d’accès à ce blog. C’est tout !

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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