Captifs d’« Engrenages »

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20174181.jpg-c_100_100_x-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxLa capitaine Laure Berthaud

Nous avons pris l’habitude de regarder (presque) chaque soir en DVD la série Engrenages, qui nous fascine par la maîtrise de ses personnages et de ses intrigues. Non seulement on y apprend beaucoup sur les rouages ou les imbroglios de la police et de la justice, et sur la marche en général des enquêtes et d’« affaires » bien de chez nous, mais on se passionne aussi pour le destin de ses personnages. Or nous voici, après avoir épuisé les quatre premières « saisons », en panne de DVD. On m’assure que la cinquième va paraître sur Canal dès ce mois de novembre, et que tous les épisodes (une douzaine ?) en seront immédiatement disponibles, mais seront-ils en DVD ? Nous préférons en effet ce support, pratique pour insérer le disque dans l’ordinateur portable, posé sur nos genoux le soir dans le lit.

Que va-t-il donc arriver à Laure Berthaud (Caroline Proust) après la mort de Samy ? Gilou (Thierry Godard) parviendra-t-il à la consoler ? Une indiscrétion de la chaîne nous prévient qu’à la saison cinq, ce personnage-clé risque de tourner « ripou », je n’arrive pas à y croire, holà scénaristes ! Gilou (après des débuts difficiles) est devenu une icône du flic battant et courageux, vous n’allez pas nous le gâcher ? Et l’adorable juge Roban (Philippe Duclos), célibataire endurci avec ses cheveux en pétard et ses complets approximatifs, va-t-il trouver une femme pour le peigner, et pourquoi pas sa greffière Marianne, qui le regarde en héros et aimerait tellement partager la vie de « François » ? Hélas, le dernier épisode n’a pas laissé à celle-ci beaucoup de chances, et le juge d’instruction réintégré dans ses (dures) fonctions semblait surtout pressé de rouvrir ses dossiers. Va-t-il devoir payer auprès de ses nouveaux amis francs-maçons un soutien qu’il ne leur a pas demandé ? Avec l’affreux procureur Machard (Dominique Daguier au doucereux regard de crocodile), on ne sait jamais… J’ai tout de suite adoré le personnage de Marianne, avant de découvir au générique qu’elle était interprétée par Elisabeth Macocco, ça alors ! Car j’ai connu cette Elisabeth il y a bien trente ans, mon souvenir la rattache (à tort peut-être ?) à la compagnie de Denis Guenoun « L’Attroupement », elle avait monté à l’époque un one woman’s show sur la Callas, pure merveille d’incarnation et de délicatesse, spectacle pour lequel je l’avais, chez elle à Lyon, interviewée… Deux autres flamboyants dont nous attendons avec impatience les nouvelles aventures, c’est le « couple » d’avocats Joséphine Carlsonn (pulpeuse, dangereuse Audrey Fleurot) et l’immensément sympathique Pierre Clément (Grégory Fitoussi), quelle classe celui-là ! Non sans dérapages ni dangers pourtant, il aime trop quoi, l’argent ? les plaidoieries difficiles ? la prise de risque du côté des truands ou des sans-papiers  ? (Avec la petite frappe qui l’accusait de pédophilie, ça a failli très mal tourner.) « La » Carlsonn a un sacré abattage, on ne tue pas un pareil personnage et il était difficile de croire à son suicide quand elle s’est tailladé les poignets dans sa baignoire, nous étions bien sûrs de la revoir par quelque astuce du scénario…

20174121.jpg-c_100_100_x-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxPierre Clément et sa collègue-

associée Joséphine Carlsonn

Et les méchants, les trafiquants, les proxos ? Le pitoyabe serial killer qui dépèce ses victimes, Mexicain à gueule de perdant… (Mais quelle mère il a eue !) Eux aussi, je ne dirai pas qu’on s’y attache mais on les suit, on en redemande. Dans la section des monstres, il faut accorder une palme spéciale à Sophie Mazerat (Judith Chemla), la stupéfiante Violaine de L’Annonce faite à Marie dont j’ai rendu compte ici même en juillet (« L’annonce faite à Judith »). Voir notre frémissante Violaine brandir en plein commissariat le téléphone portable qui va mettre à feu la bombe placée au même étage, au moment où elle vient d’apprendre que son complice Thomas Riffaud (Jérôme Huguet en terroriste très convaincant) la laisse tomber – c’est clouant, c’est hallucinant !

Catégorie sales types, ne négligeons pas les salauds plus ordinaires : mention spéciale à Herville, le si petit chef de notre équipe gagnante ; au procureur Machard déjà cité, ou à tant d’autres, car les polices se font la guerre autant que les « chers confrères » du barreau. Que dire en particulier du répugnant avocat Szabo (que trois balles dans la peau n’ont pas achevé) ? Du si jeune juge Wagner, qui s’acharne sur Pierre Clément avec un zèle sadique ? Ou du plus jeune encore stagiaire Ledoré, trop aimé de sa mère celui-là et qui va flanquer une sacrée pagaille dans les affaires du juge Roban, avant de se suicider ?

Or, ce carnaval d’embrouilles et de coups de théâtre tourne autour d’une femme, déjà citée mais à laquelle il faut crier notre admiration, notre éperdue gratitude : Caroline Proust, en « capitaine Berthaud », fait merveille, elle est mieux que bonne, elle est courageuse et craquante, fière (voire indomptable) et fragile, rusée voire teigneuse comme un chien de chasse en pleine action et sensuelle, adorable en gros plan avec ses mèches et ses fossettes… Il faut la voir planquer devant la maison suspecte, murmurer dans son téléphone, ou de retour au commissariat interroger durement sa proie en tentant de la faire craquer avant l’irruption de l’avocat, pour mesurer les difficultés de sa vie si remplie, de ce job auquel elle se voue corps et âme. Voilà, ce qui frappe aussi dans ce film c’est combien les personnages aiment leurs rôles et le défendent. Près d’un million de spectateurs suivent, dit-on, Engrenages, tant mieux, gageons qu’ils connaîtront mieux grâce à cette série (française !) le Palais de justice de Paris ou les dédales du commissariat. On y apprend par exemple, en assistant aux audiences, l’admirable discours judiciaire, si précis dans son rebutant formalisme ; ou, au fil des gardes à vue et des interrogatoires, les rapports de force et de ruse, le jeu des dits et des non-dits, la perspicacité du criminel comme de l’enquêteur qui le file et le presse, avec quelle patience et quel flair ! Tandis que des personnages comme Gilou, ou son pote Fromentin (Fred Bianconi) nous révèlent parfois l’envers de cette force, les cauchemars, la panique, la tentation des drogues, le tube de Lexomil en prévention des coups durs…

20174117.jpg-c_100_100_x-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxGilou et Laure

Une pareille série suscitera sûrement quelques vocations de flic, ou de magistrat (professions également dépréciées, sinon diabolisées, et que ces films peuvent contribuer à faire aimer). Il n’y a pas que les courses-poursuites engagées par Laure ou Gilou contre les truands qui donnent le frisson, et le sentiment d’un héroïsme contagieux ; les réflexions ou la tirade du juge Roban contre l’enterrement des affaires, au moment par exemple où sa supérieure hiérarchique le dessaisit d’un dossier (affaire de la « mairie de Villedieu »), sont des modèles de pugnacité intellectuelle, et de probité, face à un monde servile – de tels discours mériteraient une diffusion en boucle dans les écoles ! Parmi les nombreuses leçons morales glanées aux successives visions d’Engrenages, je relève particulièrement un plaidoyer systématique pour l’esprit d’équipe et les vertus de l’entraide, contre tous ceux qui jouent perso. Or c’est le penchant naturel du juge Roban, du petit chef Herville mais aussi de la capitaine Berthaud, trop prompte à faire de sa traque une affaire personnelle ; quand elle dézingue pour finir le monstrueux serial killer dans ce hangar où il s’apprête à découper sa victime, le droit est pour elle bien sûr mais la police des polices ne l’entend pas de cette oreille et elle encourt (malgré notre indignation) de sérieux ennuis car elle a enfreint les règles en faisant de cette chasse un duel, et de son dénouement une estocade. « On a inventé la justice pour rendre la vengeance inutile », comme lui (et nous) rappelle solennellement le flic chargé de corriger les flics.

20174185.jpg-c_100_100_x-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxLaure avec le juge Roban

A quelle autre série se vouer en attendant ? Sur un conseil (ancien) de Louise Merzeau, nous avons tâté l’autre soir du premier épisode de Game of thrones – déception cuisante, désastre sur toute la ligne ! Qui m’avait vanté une série « shakespearienne » ? C’est se faire une bien piètre idée du grand Will, ou de quel que soit celui qui écrivit ses pièces… Dès les premières minutes, la prétention à afficher de belles images trahit le désir d’en mettre plein la vue :  un Moyen-Âge de convention forcément « grossier », une sexualité racoleuse égarent le scénario vers des images-chocs, qui dispensent de construire l’intrigue. Je n’en suis qu’au premier épisode mais je doute que la série s’améliore, ou que j’ai envie de voir le second.

Mais vous, cher lecteur, quelles sont vos séries, et quel conseil me donneriez-vous ?

20227566.jpg-c_100_100_x-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxGilou, Carlsonn et Clément

cherchent la sortie…

11 réponses à “Captifs d’« Engrenages »”

  1. Avatar de jfsadys

    Je boude la télé. En ce moment ma série préférée c’est François Mauriac dans la collection  » La Pléïade ». :+)

  2. Avatar de Vyrgul
    Vyrgul

    Je n’imaginais pas pouvoir un jour être en position de vous donner un « conseil » en matière de culture. Et pourtant, j’étais animé d’un sentiment de dette envers vous depuis votre enseignement suivi en 1987 et 1988. D’abord parce que votre cours toujours en prospective s’ouvrait à de multiples influences (alors qu’à l’époque, je rageais de devoir subir d’autres cours monolithiques, défendant une chapelle unique et peu ouvertes sur le présent, sans parler de l’avenir) mais aussi parce que je vous dois quelques idées de lectures essentielles comme Peirce et La Chambre Claire (mais il y en eut d’autres), et, plus tard, au détour d’un article, Aragon (l’Aragon-Protée de Défense de l’Infini, Blanche, etc. ) dont je n’avais pas perçu l’intérêt lors d’une unique lecture (Les cloches de Bâle). Enfin parce que lors d’un cours entretien, j’avais pu partager avec vous un cours moment de complicité en pouvant vous avouer sans gêne que j’étais un lecteur de Wittgenstein et de Derrida (jusqu’à la Carte postale).
    Alors si vous ne les avez pas déjà vues, je vous recommande :
    The Wire en 5 saisons, focus sur une brigade de policiers qui rend compte d’une société dans son ensemble
    The Killing, 3 saisons pour le moment. Une série Danoise qui vaut pour son atmosphère scandinave, ses personnages et un bel art du suspense.

    Et encore merci pour ce que vous m’avez transmis

  3. Avatar de annette merle
    annette merle

    Vous m’avez alléchée avec ces Engrenages. Essayez les Sopranos !

  4. Avatar de annette merle
    annette merle

    Vous m’avez alléchée avec ces « Engrenages ».
    Essayez les « Sopranos »!

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Je vais vous décevoir mais nous avons détesté « les Sopranos », dont j’ai réussi à revendre les DVD contre Engrenages je crois bien , ou peut-être l’excellent « Village français ». Ces Sopranos me font penser à un film vu hier soir, « Gone girl », médiocre thriller terriblement américain, avec effets et psychologies décidément très stéréotypés.

  5. Avatar de Maxou 0204
    Maxou 0204

    Bonjour si vous avez Canal plus tous les épisodes de la saison 5 sont déjà dispo en replay. Et lors de l’épisode 6…. Séisme

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Hélas je n’ai pas Canal, et comme je l’ai dit dans mon billet, nous adorons le DVD introduit dans l’ordinateur portable, avec l’écran sur les genoux, au lit… Mais savez-vous quand les DVD vont paraître ? Je vais me renseigner d’urgence. Vous me parlez déjà de la saison 6, qu’en savez-vous ???

  6. Avatar de Maxou 0204
    Maxou 0204

    Non pas la saison 6 , l épisode 6 de la saison 5

  7. Avatar de Robert Briatte
    Robert Briatte

    Je ne regarde guère les séries télévisuelles (et d’ailleurs, à la télé, je regarde surtout.. des films). A l’époque, ma fille – petite encore – me demanda de regarder avec elle « Urgences » (« Emergency Room ») afin de lui permettre de détourner les yeux pendant les scènes trop « saignantes », mais sans rien rater de l’action – par regard interposé. On voit que les temps ont changé. J’ai donc suivi presque tout le déroulement d’ »Urgences », avec des trous quand même c’est vrai, mais assez fidèlement en fin de compte : la preuve en est que je me souviens de scènes vraiment émouvantes (le dernier épisode avec le Dr Greene qui va mourir, et celui où il reçoit son père chez lui – avec qui il se réconcilie – avec la fin sur le « Bookends » de Simon and Garfunkel ; l’accident du Dr Romano – au bras droit haché menu par un rotor d’hélicoptère quand même ; et tous les cas de conscience qui bouleversèrent Abby, Lucas ou Carter…). Autre preuve de la prégnance d’ »Urgences » : des noms surnagent encore, devenus suffisamment familiers pour avoir laissé un souvenir bien longtemps après… Et maintenant, me dira-t-on ? Les séries de maintenant ? Eh bien, sans remonter à « Twin Peaks », dont on nous annonce pour bientôt la suite, vingt ans plus tard, je n’en vois guère plus – mais dans les plus récentes, je citerais « Borgen » – l’histoire d’une femme politique danoise qui lutte pour devenir Premier ministre. Des sentiments, des coups tordus, des convictions : on quitte à regret à la fin des trois saisons Birgit Nyborg et son équipe, sans oublier les journalistes qui gravitent autour des milieux du pouvoir, pour le meilleur et parfois pour le pire – le spectacle à la fois exaltant et terriblement quotidien d’une démocratie en ordre de marche…

  8. Avatar de sylvain
    sylvain

    bonjour, je trouve votre blog ce jour suite à une recherche sur un personnage de la saison Engrenages. Je vois que votre article date de 2014 … alors que je viens juste de démarrer la saison 5, j’ai quelques wagons de retard mais la série continue, je suppose que vous avez continuer à regarder les saisons 5, 6 et 7.
    En effet, je trouve aussi que cette série est marquante par la qualité des personnages.
    Je souhaitais vous citer certaines séries qui m’ont marqué par certains scénarios très bien ficelés et d’autres pour les ambiances ;
    – True Detective 🙁 3 saisons) : du policier à l’américaine qui tient en haleine.
    – Le bureau des légendes (4 saisons et bientôt une cinquième) : les coulisses de la DGSE et de ses agents infiltrés.
    – Homeland : un peu similaire au Bureau des Légendes en version américaine, au coeur de la CIA.
    – Fargo (3 saisons) : ambiance pesante du policier à l’américaine
    – Peaky Blinders (5 saisons) ; la mafia gipsy dans une ville ouvrière britannique
    – Breaking Bad ( 5 saisons) : à mon goût la série avec le scénario le mieux ficelé jusqu’au bout, sans parler du jeu des acteurs, un bijou. Bon ça parle de drogues … mais pas que.
    – Black Mirror : assez effrayant car tellement réaliste sur ce qui pourrait nous arriver rapidement si l’on ne se pose pas plus de questions sur nos modes de vie actuels. A regarder avec modération 😉 !

    au plaisir d’échanger sur ces séries ou d’autres que vous souhaiteriez me faire découvrir.
    sylvain

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Sylvain pour toutes ces précisions-suggestions, mais hélas ! je ne regarde plus de séries, pas même Engrenages, depuis la date que vous mentionnez (six ans déjà ?!), ma vie a beaucoup changé à la suite du décès de ma femme, mais je garde votre message, et ne manquerai pas de vous dire si je reprends goût aux séries, et lesquelles… Passez de bonnes fêtes !

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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