La Religieuse, nouvelle Antigone

Publié le

La critique a déjà largement vanté le fort beau film de Guillaume Nicloux, La Religieuse, et je n’en ferai pas ici la recension, sinon pour dire ou redire (après quelques autres) combien cette réalisation doit sa force à son interprète principale, la très touchante Pauline Etienne. Il s’agit en effet moins, en reprenant cette histoire, de peindre la condition des filles enfermées dans les couvents (ou dans les familles déjà), et les mœurs très dures qu’on y rencontre (mère supérieure tour à tour sadique puis lesbienne), que de cerner comment une très jeune fille trouve la force de résister, et pour finir de s’échapper. Dans un Ancien régime qu’on devine croulant, à la veille de 1789, la jeune Suzanne Simonin, par la grâce de son interprète, incarne ici avec une irrépressible fraîcheur de source la force de dire non : non aux mensonges, à la violence, aux impostures parées du manteau de la religion. Le personnage de Pauline Etienne est frêle, timide, au bord des larmes, mais elle a la foi chevillée au corps et c’est au nom de Dieu, qui en permanence l’habite et la juge, qu’elle se dresse contre les paroles mensongères qu’on lui souffle au moment de prononcer ses vœux. Scène bouleversante, qui sera répétée quand elle trouvera ensuite la force de s’opposer aux mauvais traitements (le cilice, la prison) puis aux avances déshonorantes de la troisième mère supérieure : c’est au nom de la religion qu’elle s’oppose aux religieuses, et éventuellement au prêtre, en retournant contre les mauvais ministres de Dieu les armes de sa foi. Or le génie de l’interprète est de mener ce terrible combat avec toutes les apparences de la crainte, et d’une solitude mortelle : Suzanne ne comprend pas dans quel monde tordu elle est abandonnée, et ne trouve de ressource que dans la prière, et sa propre droiture. Comme Antigone, et comme elle encore presque enfant, Suzanne/Pauline en appelle aux principes de ses persécuteurs pour les vaincre, elle incarne la résistance des dissidents qui n’ont comme seule ressource, contre un ordre écrasant, que de réaffirmer à la face de celui-ci les fondemens du pouvoir dont il se réclame. Dieu ne peut vouloir cet « ordre » où on la force, et ce film nous bouleverse par l’évidence d’un Dieu incarné (défendu, proclamé) par une créature si faible, et néanmoins rayonnante. Cela s’appelle, décidément, la grâce.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

    Lire la suite

À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

    Lire la suite

Les derniers commentaires

  1. Bonsoir! Est-il vraiment certain, notre maître, que le spectre n’était pas là dans ce capharnaüm où il cherchait à reposer…

  2. Incroyable cher M. comme, au dernier mot de ce commentaire, vous faites sortir le lapin du chapeau… C’est de la…

  3. Bonjour ! Un sacré billet qui me rappelle la fin de « L’homme neuronal » de Jean-Pierre Changeux, citant Spinoza (Éthique, IV).…

  4. Merci mon cher Jacque de vous adresser directement à ma chère Julia ! Je lui signale votre commentaire, car les…

  5. Lettre à Julia Bonjour ! À vous, Mademoiselle, cette épistole, écrite sur écran au fin fond d’une campagne, dans un…

Articles des plus populaires