La Vénus à la fourrure, reprise

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J’ai déjà rendu compte sur ce blog de l’inquiétant-hilarant dernier film de Polanski, à la faveur d’une avant-première parisienne en juin. J’y reviens pour souligner à quel point ce huis-clos dramatique, et néanmoins comique, analyse finement les situations de soumission, ou de séduction, avec des prolongements introspectifs assez vertigineux du côté d’un Polanski qui ne put que méditer, au fil de sa vie mouvementée… faut-il dire le sado-masochisme ? Mais ce mot fait écran, par des associations d’idées trop communes, à la complexité de la jouissance masculine quand elle prétend diriger, et aux surprenantes ressources de la position féminine qui lui fait face, et lui répond en retour.

Quels abîmes dissimule ou recouvre l’exercice narcissique du pouvoir ? Quels retournements ponctuent le duel où s’engage cet improbable couple, passant avec brio de l’ironie à la terreur ? Contentons-nous de rappeler qu’on verra dans ce film le metteur en scène Roman Amalric (ou Matthieu Polanski), d’abord assez sûr de son projet, désespérer de dénicher celle qui interprètera Wanda, la subjugante « Vénus à la fourrure » de sa pièce ; il n’a toute la journée auditionné que des pétasses. Puis, quand une autre Wanda se présente et le force à lui confier un bout de texte, il prétend d’abord dominer cette fille avant que celle-ci ne le prenne subtilement à son propre jeu : « Tu cherches ton maître ou ta maîtresse, eh bien mon vieux tu l’auras… », lui déclare en substance l’intruse à métamorphoses qui clôt le défilé des postulantes – mais qui répond surtout avec une perspicace autorité aux attentes d’abord informulées du macho.

Wanda éducatrice : sous l’affabulation du scénario sado-masochiste auxquels se prennent ou se prêtent les deux protagonistes, ne s’agit-il pas de délivrer chez le directeur qui se la joue (jusqu’à l’épuisement) une part féminine qu’il combat de toutes ses forces, avant d’y céder goulûment ? Cette intrigue apparemment drôle, voire grotesque, en cache ainsi une autre d’une singulière acuité : comment, au-delà de la jouissance fascinée qui le domine ici dans la peur et le tremblement, l’homme recouvrera-t-il ses facultés en accordant davantage à sa propre féminité ?

Le théâtre n’est pas vraiment un lieu sûr. Et le cinéma ? On a dit que ce chef d’œuvre de fourberie démystifiante n’avait reçu à Cannes qu’un accueil mitigé, comme à l’avant-première du Pathé-Gaumont Opéra il me semble ; et sur ce blog même, un correspondant m’a reproché de trop aimer ce film dont il ne voyait guère l’intérêt. Il est évident que Polanski n’y flatte pas la jactance masculine ; il plaira néanmoins, ou comblera, quelques spectatrices qui le remercieront d’avoir, lui et son épouse Emmanuelle Seigner qui trouve enfin ici un rôle à sa taille, si bien servi la revanche des femmes.

5 réponses à “La Vénus à la fourrure, reprise”

  1. Avatar de bellanger monique
    bellanger monique

    merci pour vos remarques sur la révélation de la part féminine du metteur en scène. pour ma part j’ai perçu également dans cette éblouissante mise en valeur de la « puissance féminine  » de Vanda… un certain rapport avec la terreur masculine devant les ruses de la séductrice et les conséquences civilisationnelles que l’on peut lui imputer.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui, tout à fait, de sorte que ce film d’une merveilleuse acuité consonne pour moi, aussi, avec « Les Garçons et Guillaume, à table ! », consacré à la part féminine du jeune homme qui tente de survivre face au monde tout-puissant de sa mère… Ah le cinéma, quelle école !
      Je rentre hier d’un voyage d’un mois à Cuba (où internet n’existe pratiquement pas) ; je retrouve avec plaisir ce blog, et vous-mêmes cher(e)s lectrices-lecteurs qui avez continué à cliquer (près de mille fois) malgré l’inertie de mes pages. A très vite maintenant !

  2. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Ce film ? Pouah !
    J’ai plaint ce pauvre Mathieu Amalric de s’être plié à la farce lugubre proposėe par Polanski ! Le rôle d’Emmanuelle Seigner, en reine de séduction, ne m’a pas convaincue.
    Qu’en dire de plus ?
    A son entrée dans le théâtre, bien que trempée jusqu’aux os par une pluie diluvienne, la force de Wanda apparaît très vite à l’ėcran. A contrario, le directeur qui refuse de lui donner sa chance pour obtenir un rôle se montre fatigué et indėcis.
    Mais la partie de jeu tourne rapidement au perdant/ gagnant. Et le jeu sado-maso se termine par l’acceptation d’Amalric de porter un collier de chien qu’Emmanuelle Seigner/ Wanda va s’empresser d’attacher à un pilier du théâtre.
    Pui, elle quittera tranquillement la scène en abandonnant sa proie dans un théâtre plongé dans l’obscurité.

    La jouissance ne fut pas de mon côté. Et, quel gain en retirer ?

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Cécile, je ne suis absolument pas d’accord, je trouve (et l’ai écrit ici) ce film assez vertigineux, et comme toujours chez Polanski drôle et grinçant. J’avais aimé le théâtre filmé de « Carnages », je trouve également très bon ce plateau resserré aux deux personnages, dans un huis-clos en forme d’éprouvette ou de tube à essais pour observer les précipités entre eux du désir et de l’ambivalence des sentiments ; je connais peu de cinéastes doués d’un tel talent d’analyste, et les acteurs nous donnent aussi le meilleur – Amalric, dans chacun de ses films, décidément excellent, et Emmanuelle Seigner, la propre femme de Polanski, d’une inquiétante royauté.

  3. Avatar de Cécile d'Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Admettons que pour moi, c’est le refus de ce que je ne connais pas ou … plus exactement, ce qui m’insupporte dans la relation femme / homme.
    J’ose avouer n’avoir pas une grande culture cinématographique, ce qui m’enferme probablement dans des représentations peu élaborées. Donc j’apprécie d’autant plus votre critique argumentée.
    Une seconde approche, par beau temps, modifiera-elle mon point de vue ? L’hiver dernier, en sortant du ciné du quartier latin, le ciel mouillé et gris était lugubre. Moi aussi !

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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