Les fantômes d’Aragon à France inter

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J’ai le plaisir de signaler que Vincent Josse donnera dimanche 16 avril à France-inter, de 16 h à 18 h, un Grand atelier entièrement consacré au « Fantôme d’Aragon ». Je participerai à cette émission en compagnie de Nathalie Piégay.

Je ne connaissais pas personnellement Vincent Josse avant qu’il me contacte, la semaine dernière, mais en entendant l’intitulé de son émission, je lui ai fait observer combien ce thème du fantôme tombait juste, pour aborder notre auteur. Car Aragon se montra capable à deux ou trois reprises, intellectuellement, moralement, de refaire sa vie, mourant à soi pour mieux renaître. Tout lecteur du  Roman inachevé  (1956) se souvient, sans doute, des très saisissants poèmes consacrés à la guerre qu’il fit en 1918, et à sa découverte, passant par Couvrelles, d’une scène qui donne au jeune soldat le vertige :  sur un carré de terre fraîchement remuée, une croix de bois porte en toutes lettres son nom !

 « Le cœur muet les yeux au ciel

Depuis six semaines deux mois

Dans la terre au bord de la Vesle

À l’ombre d’une croix de bois

À huit cents mètres de Couvrelles

Quel est celui qu’on prend pour moi  »

(page 69 de l’édition Poésie/Gallimard)

La page suivante développe ce choc en formulant l’hypothèse d’une vie désormais spectrale,

« (…) Si c’était moi Si j’étais mort Si c’était l’enfer Tout serait /

Mensonge illusion moi-même et toute mon histoire après /

Tout ce qui fut l’Histoire un jeu de l’enfer un jeu du sommeil (…) ».

Dessin d’Ernest Pignon-Ernest

Hypothèse redoublée beaucoup plus tard ou lors d’une autre guerre (en 1940), dans l’évocation de l’enfer de la nasse de Dunkerque, superbement décrit dans Les Communistes (mais qui lit encore ce foisonnant roman, au titre impossible ?), où les hommes fourbus par la retraite se trouvent pris. « Il y avait tant de raisons de mourir à Dunkerque, si peu de chances que nous en revenions, (…) par quelle démence avons-nous survécu, si nous avons vraiment survécu, car de l’un comme de l’autre c’est encore à voir de près… Peut-être ne sommes-nous jamais revenus de Dunkerque et, notre vie, ce sont des fantômes qui l’ont à notre place vécue, des squelettes déguisés à notre semblance, emmitouflés dans leurs suaires, insensibles évidemment à tout ce qui a pu se produire par la suite, et qui traversent depuis ce temps le monde des choses visibles avec le ricanement de l’enfer… (Œuvres romanesques complètes, Bibliothèque de la Pléiade IV page 575).

Mais encore, le même Roman inachevé nous donne à lire une autre scène d’agonie,  privée celle-ci, quand Elsa frappée de péritonite est veillée une longue nuit de 1937 par un Louis impuissant, en proie à une compassion ou à une identification infinies : « Toute une nuit j’ai cru que je mourais moi-même / (…) Je me disais je meurs c’est moi c’est moi qui meurs… » (pages 204-205 de l’édition Poésie/Gallimard ; j’ai commenté cette page si prenante dans un précédent billet de ce blog).

Ces textes poussent le vertige identitaire à un comble, en frôlant la psychose. On ne lit pas forcément Aragon sous cet angle, mais pour ma part je ne séparerai pas son génie de ces moments de folie, ou de perte abyssale, qui constituent aussi les ressorts de sa création, et de sa personnalité follement plurielle.

J’espère que l’entretien de dimanche prochain, dont je ne sais d’avance rien, donnera d’Aragon une image qui reflète ses souffrances, et sa complexité.

Une réponse à “Les fantômes d’Aragon à France inter”

  1. Avatar de Jacques
    Jacques

    Esprit es-tu là?

    Telle est la question que va se poser sans doute plus d’un auditeur en écoutant parler des fantômes d’Aragon sur une chaîne nationale et publique de radio, en ce jour de Quasimodo.

    Les invités, au nom du réel, vont sans doute pérorer à l’envi sur « la présence » de quelque chose qui fait, dans ses dix lettres, « l’espérance ».

    Des Lettres françaises du début des années sixties à la confusion des genres de l’épigone aragonien, on va parler, parler entre intellectuels…Du masque peut-être qui a fait écrire à Honoré de Balzac dans sa « Pathologie de la vie sociale »:

    « J’étais descendu jusqu’aux grimaces de l’homme, je remontai vers la franchise de la nature »

    On pense à Gaston Bachelard parlant de la radio, celle qui n’est pas au service d’un pouvoir politique mais au service des citoyens de la logosphère. Une radio qui travaille sa fonction d’originalité, qui va chercher dans le fond humain, des principes d’originalité.

    De sa voix lointaine, saura-t-elle toucher celui ou celle qui préfère couper son bois et parler au soleil et aux forêts, aux arbres et aux ruisseaux?

    Sur la chaîne, enlevez le drap blanc, on verra mieux qui « il » est!

    Jacques

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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