Pour un Shakespeare vrai

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Couverture d’un livre introuvable

Je suis plongé depuis quelque jours dans une œuvre bien étrange : le livre, déjà annoncé supra à la suite du dossier de La Croix (évoqué sous le titre « Shakespeare un et multiple ») de Lamberto Tassinari, John Florio, The Man Who Was Shakespeare (Giano Books, Montréal 2009). Ne cherchez pas ce bouquin sur Amazon, on l’y signale indisponible, et j’ai vainement cherché à l’acquérir sur d’autres sites. La copie que j’ai en mains m’a été prêtée par Georges Banu, qui la tenait de son auteur et sollicitait mon avis. J’ai laissé dormir l’ouvrage six mois avant de l’ouvrir, aiguillonné par La Croix, et je viens seulement d’achever la lecture (en anglais, il n’existe pas encore de traduction française) de ses 386 pages, alors voici.

La « question of authorship » des pièces signées William Shakespeare (trente-six, plus deux longs poèmes et les fameux, et très énigmatiques, Sonnets) est un serpent de mer, ou un marronier ; l’évoquer suffit donc auprès de certains à vous disqualifier, en vous rangeant parmi les amateurs d’OVNI, ou pire les négationnistes ou ceux qui mettent en doute les attentats du 11 septembre… Une pétition néanmoins circule, grosse de 2 ou 3000 signatures (notamment académiques) pour déclarer qu’un doute raisonnable existe, et qu’il convient donc de considérer ce sujet comme ouvert.

Tassinari a pris à bras le corps ce dossier épineux et sa démonstration est sidérante. Qu’on ne se méprenne pas (comme me l’assènent certains auxquels je cherche à faire partager depuis quelques jours mon enthousiasme), l’auteur n’a rien d’un illuminé, d’un « Geo trouve-tout » ni d’un cabaliste exalté. Dans un livre d’abord plaisant à lire, puis peu à peu décevant (Shakespeare, Antibiographie, Petite bibliothèque Payot 2012), Bill Bryson énumère dans un dernier chapitre la liste des « Prétendants », en effet assez cocasse : aux noms de Francis Bacon, d’Edward de Vere et de Marlowe s’en ajoutent une cinquantaine d’autres, tous anglais. Bryson se gausse de ces « recherches » (menées pour la plupart de la façon la plus discutable), avant de conclure prudemment (et péremptoirement) son livre par une tautologie digne de la vertu dormitive de l’opium : « Un seul homme était en position de nous faire ce présent incomparable, un seul en possédait le talent. William Shakespeare était indiscutablement cet homme, et qu’importe, au fond, qui il était ? »

Cet argument me rappelle la remarque de celui (Marcel Schwob ?) qui contemplait le portrait de Descartes par Franz Hals, « comme il est ressemblant ! – A qui ? » rétorqua finement Valéry, façon de rappeler à son interlocuteur que nous n’avons accès aux traits de l’intéressé que par ce (célèbre) tableau.

Dans le cas du « Barde de Stratford », il est d’autant plus urgent de rompre ce cercle herméneutique que nous ne connaissons pratiquement aucun élément qui, dans sa terne vie, semble à la hauteur de sa production. « Si peu de contexte pour tant de textes » ! Et certes, on allèguera la situation des auteurs du théâtre élizabethain qui ne signaient ni ne conservaient leurs pièces, propriété des troupes ; on rappellera la rareté des manuscrits conservés de cette époque (Grand incendie de Londres en 1666…), l’anachronisme de la notion d’auteur ou de paternité littéraire. D’autres (mouvance structuraliste des années soixante) se barricadent encore derrière l’autonomie du texte, à quoi bon savoir au-delà, l’œuvre dans sa clôture suffit. Etc.

Eh bien non, justement ! L’œuvre signée Shakespeare est tellement grande, riche, exaltante, elle a eu un tel impact sur la formation de la langue et de la conscience (pas seulement anglaises) que certains ne peuvent se résoudre à cette petite critique, retranchée derrière une poignée d’évidences toujours ressassées. Les « stratfordiens » (ceux qui croient au Barde-upon-Avon) me font irrésistiblement songer à l’anecdote bien connue de l’ivrogne qui cherche ses clés perdues au pied du réverbère, « parce que là du moins on a de la lumière pour chercher » – et qu’on y est vu comme un chercheur sagement éclairé, conforme aux préceptes reçus en l’Ecole… Le premier mérite de Tassinari, parce qu’il n’était pas shakespearien estampillé, est d’avoir congédié le réverbère, changé de territoire ou emprunté sa lumière à d’autres lampes.

Je le disais précédemment, cette question à mes yeux est typiquement médiologique, et de deux façons : un « esprit » de la force de WS ne tombe pas des nues, et il semble puéril d’invoquer le « génie ». Les stratfordiens traitent cet argument de snob, pourquoi un bourgeois de province, acteur et entrepreneur de spectacles, individu par ailleurs procédurier et médiocre agioteur en grains, n’aurait-il pas droit au génie ? On peut leur rétorquer leur idéalisme : écrire une pareille œuvre supposait d’immenses ressources matérielles, conditions sine qua non de « l’esprit », et des circonstances à l’époque rarissimes ou très spécifiques, telles que la possession d’une riche bibliothèque, la connaissance de langues étrangères (au premier rang desquelles l’italien), des voyages en Europe (et surtout à Venise, Vérone ou Milan, villes précisément décrites dans plusieurs pièces), la fréquentation de la cour, de la noblesse et en général des « Grands »… Mais encore, plus abstraitement ou vaguement dit, la présence d’une flamme spirituelle tenace, l’ambition d’enrichir la langue anglaise et son vocabulaire de quantité de néologismes, ou de mots forgés, une intimité passionnée avec la musique, avec l’Ecriture sainte, une connaissance précise, ardente des humanistes de la Renaissance continentale (Dante, Boccace, l’Aretin, Giordano Bruno pour l’Italie, Montaigne chez nous) et la volonté farouche de féconder par eux un pays quelque peu demeuré en arrière, la ténébreuse Albion… Mais aussi, et c’est notamment l’objet du dernier chapitre du livre qui fut le premier dans l’ordre de la recherche, l’examen de La Tempête, œuvre inclassable qui dit de façon poignante, quoique cryptée, la plainte de l’exilé, la perte du premier langage, sa consolation par la fantasmagorie, et les méandres douloureux du rapport générationnel…

Les tourments de l’exil hantent, à fleur de texte, celui des Sonnets :  sont-ils vraiment de la plume du lourdaud qui voyageait pour ses affaires de Stratford à Londres, et ne sortit jamais de son île ?

Tassinari consacre des dizaines de pages à chacune de ces questions. Une par une, méthodiquement. Il ne discute pas à coups d’a priori, il exhume les dates de fabrication des textes qu’il croise, il sait que la création consiste d’abord à beaucoup lire et à plagier ; il retrouve au détour d’une réplique un mot de l’Arétin, de Montaigne, de Bruno ou surtout de John Florio. Qui fut un personnage extraordinaire, beaucoup trop négligé par la critique académique. Plus vieux que « Shakespeare » d’une douzaine d’années, il naquit à Londres d’un père Michel Angelo émigré d’Italie, car protestant et d’abord juif, prédicateur, érudit en religions… Lexicographe, auteur de dictionnaires, polyglotte traducteur de Boccace puis Montaigne, précepteur à la cour de Jacques 1er, employé à l’ambassade de France…, John (et son père ?) ne cessèrent de côtoyer les Grands, et de jouer les « passeurs » culturels dans cette Europe en formation.

Toute cette enquête se lit comme un haletant « roman de formation » ; pour peu qu’on répudie la fable de la table rase qui prétend faire surgir de nulle part les créations de l’esprit, on voit enfin « Shakespeare » rendu à sa richesse, à sa complexité nées notamment des souffrances de l’exil, et du polylinguisme. Des influences capitales, celle de Bruno cotoyé seize mois à l’ambassade de France qui l’héberge (on sait qu’il finira sur le bûcher), ou de l’Aretin se dessinent en clair (l’index de la biographie d’Ackroyd, champion des stratfordiens, ne leur consacre pas une seule entrée !) ; mais surtout le dialogisme d’une langue toujours surprenante se comprend mieux, et comme in statu nascendi : on a souvent remarqué l’étrangeté de la langue de Shakespeare sans jamais faire l’hypothèse qu’il pourrait être étranger, et venir du dehors… (Chauvinisme oblige ?)

Avec son acuité coutumière pourtant, Borgès ici cité en exergue l’avait prévu : « Shakespeare es – digamoslo asi – el meno inglés de los escritores ingleses. Lo tipico de Inglaterra es el understatement, es el decir un poco menos de las cosas. En cambio, Shakespeare tendia a la hyperbole en la metafora, y no nos sorprenderia nada que Shakespeare hubiera sido iatliano o judio, por ejemplo » – qu’il ait été juif ou italien par exemple…

Thèse renversante, inacceptable pour beaucoup et que Tassinari, à petites touches, patiemment, tout en douceur (et en érudition) finit par rendre tellement évidente !

Je suis, venant de lire son ouvrage, partagé entre deux sentiments, d’admiration et d’indignation : je crois vraiment qu’il a raison, et ça renverse tout ce qu’on croyait savoir, ça remet tout à l’échelle. « Imaginez, écrivait encore Borgès dans Fictions (« Tlön Uqbar Orbis Tertius », je cite de mémoire n’ayant pas dans cette maison de vacances le livre) que L’Odyssée et, disons, Les Mille et une nuits aient été écrites par la même personne, et rêvez à la psychologie de cet intéressant homme de lettres… »

Tassinari bouleverse le champ des études shakespeariennes, et depuis qu’il s’y est attaqué, lisant La Tempête (aux alentours de 2000), et se persuadant peu à peu de sa thèse, voyant les visages du « Barde » et de Florio peu à peu glisser l’un vers l’autre jusqu’à se recouvrir, notre chercheur a dû passer par des moments de transe, de jubilation et d’excitation intenses, comme peu de thésards en éprouvent – je l’envie donc aussi pour cela ! Mais je le plains infiniment, au vu du maigre dossier de la réception de son ouvrage : sur le site qu’il a ouvert, dix articles favorables en cinq ans (depuis la parution de la traduction anglaise d’un ouvrage d’abord écrit par lui en italien) – et qu’il a publié à compte d’auteur ! A quoi s’intéressent donc les éditeurs ? « A quoi pense la critique ? Petite paresseuse, va ! » (Aragon, Traité du style).

Ce dédain, pour ne pas dire plus (incurie, censure, ostracisme…) pose un problème médiologique de fond, celui des conditions de naissance et de circulation d’une vérité. « The end of a lie », la fin d’un mensonge, proclame fièrement son bandeau de couverture. Lamberto, tu es loin du compte ! Le mensonge risque de survivre longtemps à ses plus intelligentes réfutations, aux plus claires raisons de penser autrement. Le « stratfordisme » à cet égard semble un cas d’école, car ces gens sont organisés, puissants, à la tête d’une industrie (touristique, festivalière, éditoriale, « nationale »…), ils ont pour eux la tradition et la raison d’Etat, pourquoi se laisseraient-ils détourner de leur lucratif trafic par quelque thèse italienne forcément chauvine, biaisée… On est toujours dans cette histoire, le « chauvin » d’un autre ; et c’est ainsi qu’un stratfordien ne daignera pas s’asseoir face au conférencier Tassinari ni surtout l’affronter, relever ses raisons, argumenter. Silence et mépris sur toute la ligne !

Je propose donc aux lecteurs de ce blog d’être les premiers en France à s’intéresser à cette thèse, au moins à l’entendre et à l’examiner. La « vérité » en cette matière ne peut naître que d’un débat loyal, sans arguments de principe ni d’autorité. S’il fallut à Lamberto Tassinari un courage immense pour entreprendre et soutenir contre vents et marées son ouvrage, il serait juste que celui-ci, chez nous, trouve quelque écho. Bonne occasion, il me semble, de rendre au « plus grand dramaturge (et poète) de tous les temps » un peu de sa chair, de ses langues et de sa vraie vie (qui fut moins simple qu’on ne pense)…

Amis lecteurs, et que je suppose amoureux de Shakespeare, qu’en dites-vous ?

 

P.S. : le site à consulter est < www.johnflorio-is-shakespeare.com >

26 réponses à “Pour un Shakespeare vrai”

  1. Avatar de Michel Pierssens

    Cher Daniel,
    Ton plaidoyer me ravit et ton analyse médiologique du dossier me paraît absolument juste. Lamberto et son livre (je les connais tous deux) sont d’un sérieux total et d’une parfaite crédibilité, du moins pour le non-spécialiste que je suis, lecteur par ailleurs des classiques comme Bryson sur le sujet. Mais au-delà de la séduction de l’imprévu et de l’incorrect, comment aller plus loin et valider ou invalider la thèse de fond? La seule chose à faire serait d’organiser un vrai débat sur un terrain neutre – ni en Angleterre (bastion stratfordien trop puissant), ni à Montréal (trop marginal). Donc à Paris (Lamberto est parfaitement trilingue), avec des shakespeariens ET des médiologues. En effet, plus peut-être que la question de l’identité réelle de Shakespeare (Florio ou pas), qui restera vraisemblablement indécidable, c’est la mécanique des processus qui font la recevabilité ou non des hypothèses hors-paradigme reçu qui est intéressante. La chose est parfaitement connue en sciences mais pas du tout en histoire littéraire. Tu t’y mets?

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Bravo pour ton ralliement – que je guettais bien sûr ! Un colloque oui, certainement, aux Treilles ou à Cerisy, mais occupons-nous d’abord du buzz à faire autour de ce livre, car il faut le relancer, et surtout en France le traduire et lui trouver un éditeur « décent » !

  2. Avatar de Jean Claude Serres
    Jean Claude Serres

    Belle analyse méthodologique et incitation à toujours mieux comprendre ce qui a pu généré, à propos d’une oeuvre, l’histoire de son itinéraire de vie et de ses héritages. Un rebond de Michel Piersses me pose question. « la chose est parfaitement connue en science ». Je ne le pense pas du tout car les scientifiques sont confrontés à la même problématique du contournement des paradigmes établis. Ce n’est pas le choix d’un terrain neutre qui me parait essentiel mais d’une communauté ouverte, en appétit de devenir, sortir des communautés closes (Les deux sources de la religion et de la morale de H Bergson). En sciences « dures », tout comme en histoire littéraire, ce qui fonde la créativité et l’inventivité est nourri de la subjectivité, des systèmes de croyances et des convictions intimes des chercheurs. Leur démarche n’est pas que rationnelle. La preuve scientifique n’est jamais une preuve de vérité mais seulement une preuve de moindre erreur. J’ai eu le bonheur ces derniers jours de revoir les vidéos des séminaires de Daniel et Edgar Morin, à Grenoble en 2005 puis 2012. Morin, ce « monument national » reste rejeté encore aujourd’hui par la communauté scientifique alors qu’il a trouvé une communauté ouverte en Amérique du sud. Là-bas il est devenu une idole. La problématique de renversement des paradigmes autant en intra discipline qu’en inter disciplines ( ex neurosciences, psychologie et sociologie à propos des apprentissages fondamentaux de la lecture) reste un impensé méthodologique en dehors justement de la « Méthode », de Edgar Morin.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui cher Jean-Claude, méthodologique et surtout, à mes yeux, médiologique : on oublie toujours les paramètres techniques et relationnels dans l’administration des preuves, la force des arguments et la circulation de la « vérité » en général. Il y aurait tant à dire… Mais « Shakespeare » (à mettre entre guillemets toujours), avec ce livre de Tassinari, fait loupe grossissante.

  3. Avatar de Chesnel Jacques

    et le pape François, c’est la reine d’Angleterre peut-être !!!

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Vous avez tout compris !

  4. Avatar de Antoine Perraud
    Antoine Perraud

    Il y a, cher Daniel, une possibilité moins radicale ou sensationnelle : Florio en éditeur avec quelques réécritures à la clef :
    http://www.theguardian.com/books/2013/jul/12/who-edited-shakespeare-john-florio

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      En effet, cher Antoine, c’est une hypothèse moins grandiose. Son auteur annonce un livre à paraître, à partir de recherche commencées quatre années après la parution du livre de Tassinari, qu’il ne prend pas la peine de mentionner dans ses deux articles du Guardian. Je ne suis pas assez « scholar » moi-même dans les Shakespeare’s studies pour arbitrer cette querelle, mais l’ombre dans laquelle Frampton repousse Tassinari ne me fait pas bien augurer de sa recherche. Le site de Tassinari (mentionné supra) signale la recherche de Frampton, et renvoie aux deux articles du Guardian. Le grand mérite du livre que je viens de lire est de sonder, en profondeur, l’italianité avérée de « Shakespeare », qui peut difficilement se borner aux quelques manipulations tardives (1623) d’un Florio simple éditeur du Folio. Mais je laisse cette discussion ouverte, à de plus savants que moi.

  5. Avatar de Michel Vaïs
    Michel Vaïs

    C’est vrai, Lamberto Tassinari a publié son livre en italien d’abord (en 2008), puis en anglais (en 2009) à Montréal, et «The Guardian» en avait reçu un exemplaire, qui a été complètement passé sous silence. Après la «découverte» de John Florio par Saul Frampton, en juillet 2013, Tassinari a écrit au «Guardian», d’abord pour rappeler son ouvrage, ensuite pour noter que dire de Florio qu’il avait «révisé» Shakespeare est une demi-vérité. En fait, Florio s’est révisé lui-même, à 30 ans d’intervalle, car entre temps, il avait publié sa traduction des «Essais» de Montaigne, dont on trouve de nombreuses traces dans l’édition du «First Folio» des œuvres signées WS. «The Guardian» a répondu à LT qu’après avoir consacré deux longs articles à Shakespeare (ce qui est inhabituel pour un quotidien), il devra se passer «des années» avant que l’on revienne sur le sujet! Il y a eu cependant des commentaires de lecteurs sur le site Web du journal.

  6. Avatar de Michel Vaïs
    Michel Vaïs

    Dans l’exposé que Tassinari et moi présentons aujourd’hui même au Festival Shakespeare de Craiova (Roumanie), nous précisons que dans l’œuvre shakespearien, on trouve plusieurs hapax, soit des mots utilisés une seule fois, qui ont été forgés par John Florio, et que l’on retrouve auparavant uniquement dans son dictionnaire ou les «Essais» (tels handy-dandy, hugger-mugger, leaping-house ou multitude). La parution en 2013, 415 ans après la première édition, du Dictionnaire de Florio dans une édition critique par le professeur Hermann Haller de l’Université de New York permet aujourd’hui ce genre de recoupements, puisque le Dictionnaire est enfin numérisé.

  7. Avatar de Maurel-Indart Hélène

    Comme pour l’affaire Corneille-Molière, chacun y va de sa propre intuition pour avancer les hypothèses les plus hasardeuses et quelquefois les plus drôles quant aux anachronismes (voir Du plagiat en Folio, chapitre « Les maîtres dépossédés » sur Louise Labé, Bakhtine, Jarry, Shakespeare, Molière).
    Il n’est pas totalement exclu qu’un fils de gantier comme Shakespeare ait pu avoir accès à l’érudition, d’autant que le père connut une ascension sociale comme échevin puis bailli de sa ville, ce qui lui valut la qualité de gentilhomme. Je m’arrête là…
    Ce qui est amusant, c’est qu’en l’absence de manuscrit (tout à fait normal pour l’époque) et de preuves irréfutables, au lieu d’admettre que certaines attributions de textes du corpus Shakespeare restent délicates, on veuille absolument trouver à Shakespeare un substitut, comme si les mêmes qui rejettent Shakespeare retombaient dans le même travers de vouloir qu’une individualité parfaitement identifiable soit l’auteur d’une œuvre parfaitement délimitée. Le fantasme de l’histoire littéraire transparente avec des filiations simples a la vie dure. Cela est effectivement un bon sujet de réflexion, que j’affectionne particulièrement.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Eh bien Hélène, j’en ai parlé avec Régis avec lequel j’étais aux rencontres littéraires de Cassis, nous allons préparer là-dessus dans « Médium » un dossier auquel j’aimerais beaucoup que tu participes !

  8. Avatar de Fulvio Caccia

    je suis un ami de l’auteur et j’ai suivi de près les péripéties de son livre,de la thèse qu’il défend et à laquelle j’adhère évidemment. Car la vie et le travail de passeur de Florio illustrent magnifiquement ce que nous savons tous : une culture se fait en étant ouverte à toutes les influences. D’ailleurs les premiers concernés, les artistes, les écrivains n’ont pas été dupes. Je pense à Charles Dickens, Virginia Wolf, et Jorge Luis Borgès…
    J’en viens maintenant à ma proposition. Lamberto Tassinari sera à Paris et j’explore avec lui et par le biais de l’association que j’anime, l’Observatoire de la diversité culturelle, la possibilité à Paris d’un débat de deux heures au début de juin avant le grand colloque que propose l’ami Michel Pierssens. Qu’en pensez-vous? Faites-moi part de vos suggestions et , le cas échéant , de vos disponibilités.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Bonjour Fulvio, nous nous connaissons je crois ; le colloque évoqué par Michel n’est encore qu’un projet, en revanche Lamberto sera avec moi aux Treilles, du 2 au 7 juin, pour dialoguer sur l’inter culturel avec et autour de François Jullien. Donc OK pour une autre rencontre avec vous Fulvio, mais à partir du 10/6 (je crois que Lamberto repart de Paris à Montréal le 11).
      P.S.: Je sens que dans cette affaire, Tassinari va contourner le barrage anglo-saxon par la France ! Mais il lui faudra trouver chez nous un éditeur digne de son livre.

  9. Avatar de Fulvio Caccia

    Cher Daniel,
    J’ai eu le plaisir de vous rencontrer, c’est vrai, il y a bien longtemps, autour de la médiologie. Je suis content que vous vous en souveniez !
    J’ignorais que vous aviez déjà pris un engagement avec Lamberto aux Treilles précisément au début du mois de juin. Et notre ami, sans doute dans la précipitation du voyage, a oublié de m’en avertir. Je n’aurai pas ainsi engagé des démarches auprès de certains théâtres de Paris et de sa région et lieu de culture. C’est dommage. Ce sera pour une prochaine fois.

    Quant à moi, je serai ravi de vous revoir autour de Florio ou des thèmes qui nous préoccupent mutuellement.
    Bien cordialement
    P.S. je me réjouis de votre réflexion . Je lui avais fait la même remarque naguère : passer par Paris pour atteindre Londres! La stratégie est comme un jeu de billard !

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      A vrai dire cher Fulvio, l’engagement des Treilles a été pris tardivement, cette semaine, en profitant d’une opportunité favorable : un colloque autour de François Jullien qui traitera du passage entre les cultures, entre les langues ou les identités. Le cas « Shakespeare » proposera un joli recul, et de belles discussions. On se verra donc à Paris, et nous aurons le plaisir de reparler de tout ça. Et d’ici là, j’aurai mis l’écho de nos discussions des Treilles sur ce blog, comme je l’ai fait en septembre pour le colloque Jullien de Cerisy.

  10. Avatar de Michel Pierssens
    Michel Pierssens

    Cher Daniel,
    Tu as promis un compte-rendu des Treilles: ne l’oublie pas!

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      J’ai dû faire cette promesse avant, et parce que j’avais copieusement rendu compte des échanges de Cerisy autour de Jullien en septembre dernier. Hélas ou à franchement dire, les rencontres des Treilles n’étaient pas au niveau des très riches échanges précédents, faute d’un nombre suffisant d’intervenants sans doute, et donc il n’y a pas eu à mon avis de percée, de chose nouvelle à dire ou à sortir sur le blog. J’y ai mis ma propre communication, non le résumé des autres. Mais les échanges autour de FJ se poursuivent, et comme il sort un livre en moyenne par an, tu auras d’autres synthèses ou fiches de lecture bientôt !

  11. Avatar de Torsade de Pointes
    Torsade de Pointes

    Je suis très peu au fait des études shakespeariennes et de la littérature anglaise en général, mais, à la suite de l’émission d’Antoine Perraud sur France Culture, j’ai eu la curiosité de lire l’article John Florio sur la wikipédia anglaise. On y découvre notamment que la thèse défendue par Tassinari n’est pas neuve, et qu’elle eut cours, en Allemagne d’abord, dès les années 1920 ; puis on y lit aussi ce commentaire fait par un certain McCrea sur l’ouvrage de Tassinari :

    « McCrea compares Florio’s own poetry to Shakespeare’s, observing that « Reading Shakespeare alongside Florio makes one painfully aware of how beautiful and poetic even the two dedications to Southampton are, and how prosaic and fundamentally different is Florio’s mind.»

    Autrement dit: les poèmes écrits par Florio, dont je suppose que la paternité est certifiée, font pâle figure, quant à la qualité et à la beauté, à côté des poèmes attribués à Shakespeare. D’où mes questions : ces poèmes de Florio existent-ils, et Tassinari en a-t-il eu connaissance ? si oui, peuvent-ils soutenir la comparaison avec les poèmes de Shakespeare ? ou faut-il au contraire, à les lire, comme l’a fait ce McCrea, en déduire que les poésies de Shakespeare et celles attribuables à Florio appartiennent à des univers esthétiques et mentaux totalement différents (auquel cas l’on disposerait, me semble-t-il, d’un argument imparable contre la thèse de Tassinari) ?

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      C’est tout le contraire, lisez je vous prie la suite du blog où Tassinari répond à Henri Suhamy sur les objections de McCrea, les dédicaces (il ne s’agit pas de poêmes) de Florio et Shakespeare montrent un bel écart – en faveur de Florio.

  12. Avatar de arvois alain
    arvois alain

    bonjour

    résolument d’accord avec vous quant à l’importance de l’ouvrage de Tassinari ,mais j’objecterai à votre critique du structuralisme selon laquelle l’oeuvre seule importe ,ce n’est ni juste ni pertinent le concept d’etude structurale dispose d’une extension infiniment plus grande ,je ne sache pas d’ailleurs que l’ouvrage de Tassinari ne soit pas comme toute recherche critique privé d’exigence structuraliste ,(ni la « médiologie » j’espére ,,)

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      D’accord, je voulais seulement dire que le structuralisme avait détourné la recherche des approches biographiques, en insistant sur une certaine autonomie du texte. La combinaison de ces deux voies est évidemment souhaitable, et c’est à quoi nous aboutissons aujourd’hui.

  13. Avatar de Robert Paris

    Effectivement, la thèse selon laquelle Shakespeare n’est pas l’auteur du théâtre à son nom mérite réflexion.
    Voir ici :
    http://www.matierevolution.fr/spip.php?article3770

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui Robert, la thèse officielle est insoutenable, n’en déplaise aux « stratfordiens » ; il faut lire Diana Price pour s’en convaincre – mais son livre, « Shakespeare’s Unorthodox Biography » n’est toujours pas traduit, et les officiels évitent d’y faire la moindre allusion, pour ne pas parler de réfutation ! Je ne roule cependant pas pour Bacon, mais pour Florio dont l’oeuvre et la personnalité, en rapport étroit avec Shakespeare, sont extraordinairement documentés par Tassinari. Son livre a plus de chance, il paraîtra en français aux éditions « Le Bord de l’eau » en janvier prochain. Et mon propre livre « Shakespeare, Le Choix du spectre » paraîtra de son côté aux Impressions nouvelles début février. Une double parution qui ébranlera l’orthodoxie ? Ces gens ont l’oreille très dure, croisons les doigts…

  14. Avatar de Donne
    Donne

    Comme il est fâcheux, cher Daniel Bougnoux, que, dans un article consacré à un philologue émérite, expert des circulations entre les langues, vous employiez, comme tant de gens désormais, l’anglicisme « copie » (i. e. copy) pour parler de « l’exemplaire » qui vous a été confié par G. Banu pour recension…

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Mon Dieu, j’avais oublié (et je n’entends plus) l’anglicisme dans ce mot. Et moi qui me croyait puriste dans le maniement de notre belle langue ! Un puriste finit toujours par rencontrer un plus pur qui l’épure…

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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