Un été avec Romain Gary, 3 : Adieu Gary-Delon !

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Pris par d’autres curiosités, entraîné sur d’autres chemins (parfois glissants), le Randonneur a laissé en plan le projet formulé en juin dernier d’ « un été avec Romain Gary », alors que la série proposée par Maria Pourchet (chaque matin sur France inter) n’était pas encore annoncée, mais se déroule désormais en quarante épisodes enchaînés avec brio. Cela m’a-t-il découragé ? Je dois avouer que je poursuis plus lentement que prévu mes lectures de cet auteur, dont il m’est difficile encore de traiter dans toute son ampleur : on n’embrasse pas une pareille œuvre en deux ou trois semaines…

J’espère, d’ici la fin de septembre, avoir rendu compte sur ce blog de quelques titres particulièrement saillants ; mais pour l’heure, un parallèle entre Romain Gary et Alain Delon (dont la disparition fouette ces jours-ci les gazettes) me saute aux yeux. Tout ce que je lis ou entends depuis dimanche sur le « samouraï » Delon, le gaulliste, le dandy réactionnaire, le solitaire ombrageux aux costumes impeccables, l’intransigeant personnage apte à se réincarner dans chaque rôle, mais qui laisse aussi en chacun une griffe ou une signature altière, véhémente et qui n’est qu’à lui…, tout ceci pourrait se dire aussi de Gary. Il semble donc tentant d’éclairer les deux hommes l’un par l’autre. 

« L’un dans l’autre » : ce petit jeu surréaliste très pratiqué à Saint-Cirq Lapopie, et qui consiste à mêler deux identités, ou à faire deviner l’une en décrivant l’autre, peut-il ici nous aider à mieux leur rendre hommage ?

Je ne savais pas à quel point mes compatriotes aimaient Alain Delon, je le découvre avec étonnement depuis son décès et je crois comprendre ceci : nous pleurons avec sa disparition celle d’une figure anachronique, et plus généralement d’un cinéma qui nous tirait vers le haut, au lieu de flatter nos préjugés et d’épouser la pente d’une niaiserie entraînante. Le parallèle avec Belmondo, si souvent fait, est suggestif : Jean-Paul était volontiers loustic, il aimait incarner la démerde, ou le Français râleur, le titi fort en gueule autant qu’en acrobatiques cascades ; expert en comédies, la tragédie n’était pas son fort. C’est l’inverse avec Delon : inapte à nous faire rire, ou jubiler, il règne par une exigeante distance posée entre lui et nous, il tourne le dos à notre époque, s’en éloigne avec un mouvement d’épaules ou s’élève au-dessus de la mêlée ; son monde ne sera jamais le nôtre. Il ne le dénonce pas, ne s’engage pas à le réparer, il vise ailleurs, d’un regard froid et déterminé difficile à percer, à partager. 

Romain Gary aussi regardait ailleurs, obstinément. Ancien combattant couvert de gloire, il n’aimait pas raconter sa guerre ; juif à la mémoire emplie de pogroms et d’ancestrales persécutions, il ne détaille ni ne dénonce dans ses livres la Shoah. Son gaullisme est, comme pour Delon, celui d’un samouraï ; tous deux se sont mis au service d’une certaine idée de la France, ou se sont rangés avec de Gaulle sous la tutelle d’un père. Ils ne lui marchandent pas leur fidélité, leur admiration ; la chicane, la rouspétance ne sont pas leur fort. Ils respirent un air plus vif, ils combattent par l’imagination, ou la création continuée de leur personnage, les inévitables blessures venues du monde réel, ou d’une société trop étroite pour leurs rêves.

L’amour ou leurs façons de se conduire avec les femmes fait peut-être, là aussi, pierre de touche. On a tout dit sur la beauté d’Alain Delon, en des termes qui me semblent exagérés ; on a vanté de même l’altière silhouette de Gary, sa foulée à grandes enjambées à travers les salons, les groupements d’un monde qu’il dépassait de sa haute taille. Sa tête gitane ou légèrement asiatique, son impeccable élégance (l’absence pointilleuse chez lui de tout débraillé), son regard bleu eurent de quoi en séduire plus d’une, mais il ne semble pas avoir multiplié les conquêtes, et ses livres nous parlent plutôt de la quête d’un amour véritable, ils traitent d’une économie sentimentale exigeante, qui ne doive rien aux dérives trop attendues ou faciles du sexe. Gary mettait la relation d’amour à plus haut prix.

La solitude qui résulte de pareilles dispositions semble inévitable chez les deux hommes. Obsédé par une écriture qui accaparait ses journées, en laquelle il avait sans doute le sentiment de renaître ou de s’accomplir, un Gary trop fidèle à ce monde idéal qu’il peuplait chaque jour de ses créatures s’est coupé à l’excès de ses contemporains, ou s’est consumé prématurément dans cette rupture : suicidé à soixante-six ans, la gloire qui entourait « Emile Ajar » ne sut pas le retenir, ni Mômo, ni madame Rosa ni le roi Salomon ne purent rien pour lui… Extraordinaire dédoublement que cette supercherie ! En 1975, alors que La Vie devant soi triomphait et que tous s’interrogeaient sur l’identité si soigneusement cachée de son auteur, Gary s’offrait le luxe de publier sous son nom un roman particulièrement dépressif, Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, et d’offrir chez Pivot le spectacle d’un auteur, et d’un homme, au bout du rouleau… Comme s’il voulait par cette sortie auto-destructrice nous inculquer la fable de sa stérilité, ou d’un enterrement prématuré alors que triomphait l’Autre, son jeune double ! Quel rire sous cape, et amer sarcasme, quel adieu à une époque et à des lecteurs assez médiocres pour ne pas le reconnaître…

Gary-Ajar, comme Delon, auront joué la défausse pour mieux nous tourner le dos ; ils auront avec élégance semblé donner raison à leurs détracteurs quand ceux-ci qualifient l’un de mal-baisant, l’autre de mégalo, de facho, de macho… La rigolade suscitée par un Belmondo, un de Funès ne les concerne pas, mais j’entends d’ici leur rire intérieur devant nos méprises, nos stéréotypes moralisateurs. Il y a chez Delon comme chez Gary une souveraineté qui échappera toujours aux étourdis, aux amateurs d’entertainment et d’oeuvrettes vite ficelées. L’acteur passé par l’école de maîtres comme Clément, Visconti, Losey ou Melville, l’auteur décoré en 1945 par le Général de Gaulle, et qui sut donner corps à tant d’histoires et de personnages dont les écarts, la saveur nous font rêver…, ont vécu comme volent les cerfs-volants, à quelques coudées au-dessus de nos têtes. Je ne sais s’ils se sont connus, fréquentés. Nous leur devons une idée renouvelée, intransigeante de la beauté – et je pense écrivant ces derniers mots à Aragon, qui de même suscita tant de sarcasmes, de mépris… Il faut toujours, disait Nietzsche, défendre les forts contre les faibles !

P.S. J’ai commis dans mon premier billet sur Gary une erreur impardonnable en croyant signaler qu’il n’était pas entré dans la bibliothèque de la Pléiade. Amende honorable, il y figure par deux volumes de romans, plus un album !     

12 réponses à “Un été avec Romain Gary, 3 : Adieu Gary-Delon !”

  1. Avatar de JFR
    JFR

    Première réaction à une heure du matin … Pas convaincu du parallélisme…. Gary se trouvait laid et Delon était beau. C’est d’ailleurs cette beauté qui l’a rendu célèbre. L’actrice Brigitte Auber l’emmène à Cannes où il est repéré par Henri Wilson agent de cinéma qui l’envoie à Rome voir David Selznick pour sa belle gueule. Il est ensuite repéré sur une photo par Romy Schneider qui veut tourner avec lui … Delon, visage inquiétant et sublime filmé par René Clement dans Plein soleil.. Delon icône masculine, également figure homo érotique, toujours inquiétante comme Ripley dans le film . Au jeu des ressemblances ce seraient plutôt les dissemblances qui surgissent. Delon voyou en Indochine où il se livre à des trafics et est renvoyé de l’armée mettant fin à son contrat après trois ans. Gary aviateur de la RAF sous la flak allemande ou aux commandes de coucous explosant dans le désert. Delon tournant mal à Pigalle, Gary tournant bien au Quai d’Orsay. Et surtout Delon Delon et toujours Delon, et même à la troisième personne quand il le faut. Roman Kachev multiplie les pseudos, Gary qui brûle, Emile Ajar la braise, Fosco Sinibaldi ou Shayan Bogat. Gary, l’insaisissable, le polyglotte et le multivers…Gary l’Europeen. « L’Europe, c’est lui » dit Maria Pourchet. Le Français, c’est moi, dit Delon. Moi la France, celle de De Gaulle et aussi celle de Le Pen pour faire ch… tout le monde… Pas du tout Le Peniste Delon et pas du tout antisémite,, j’ai retrouvé sa photo auprès de Jonny Hallyday le 31 mai 1967 sur le Boul Mich, lors d’une manifestation de soutien à Israël lors de la guerre des Six Jours…. Voir la photo…

  2. Avatar de Pierre Chédeville
    Pierre Chédeville

    Je connais mal l’œuvre de Gary mais mieux sa vie. Il y a naturellement des différences avec celle de Delon mais l’on s’en moque un peu contrairement au lecteur qui commente ton beau texte avec un pointillisme qui passe à côté du sujet. Car ce que tu pointes, et me parait pour le coup pertinent, c’est un mode d’être au monde et à la société commun entre les deux hommes, qui ne se réduit pas d’ailleurs à leur gaullisme ou leur dandysme. En ce sens, oui, les deux hommes ont une profonde affinité qui me paraît relever d’une vision pessimiste de la nature humaine et de la méchanceté des hommes. D’où la distance prudente pour ne pas dire instinctivement méfiante avec autrui, cette quête de la mère protectrice, ce camouflage (derrière le « il » en parlant de soi ou derrière le pseudo).
    Bref, ma conviction est que s’il existe une infinités de biographies, il n’existe que peu de variétés de rapport au monde, la plupart se rangeant derrière celle du mouton (de panurge). Avec Gary et Delon, nous avons bien affaire à deux loups (solitaires, ce qui est assez rare pour une espèce qui chasse en meute).

  3. Avatar de JFR
    JFR

    Suite…. Je rejoins néanmoins le Randonneur sur cette belle figure du dandy qui semble définir les deux hommes… Delon l’aurait-il assumée ? On peut le parier… Haute idée de sa propre valeur, désir de ce distinguer, horreur des conventions, élégance et raffinement vestimentaire, foncière solitude, le dandysme flirte avec la mort. « Soleils couchants », « astre qui décline » pour Baudelaire, « Soleil noir de la mélancolie » pour Gerard de Nerval. Le suicide est proche pour l’écrivain et le poète. Pendaison pour Nerval, calibre 38 pour Gary quand le ticket ne s’avère plus valable, Plein soleil en revanche pour Delon qui semble vivre, quant à lui, un éternel été.. Romy , Mireille, Nathalie, Anouchka, sa fille, ou Rosalie, la mère de ses deux derniers enfants, les femmes n’ont cessé d’aimer l’acteur. Les mères des deux séducteurs sont en revanche aussi dissemblables que possible. Delon fut confié à une famille d’accueil à l’âge de 4 ans, lors du divorce de ses parents, puis il se retrouva en pension à St Nicolas d’Igny. On connait fort bien, en revanche, la mère de Romain Gary si bien décrite dans « La promesse de l’aube ». Elle est sa pensée, son ambition, son itinéraire… Grâce à son amour total, aux lettres qu’elle lui envoie pendant la guerre et qui sont sans doute les propres lettres que Gary lui a adressées, l’écrivain est resté en vie toute la guerre malgré les obus, les mines et les crash d’avion. L’amour total d’une mère, ça tient en vie, mais jusqu’à quand ? Et puis qu’attendre ensuite..? Dans La promesse de l’aube, Gary écrit :  » La vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours »… L’humour chez Gary, c’est l’élégance du désespoir.. Un dandy, of course…!

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Oui cher JFR, les deux figures Gary-Delon, par-delà les biographies forcément divergentes, se touchent ou se fondent dans l’énigmatique posture du dandy – un choix esthétique et moral qu’il n’est pas facile de définir mais que ces billets et leurs commentaires aideront à mieux cerner.

  4. Avatar de Aurore
    Aurore

    Bonsoir !

    Ce randonneur pensif est extraordinaire.

    Quand on lit son billet, on se dit qu’on aurait voulu l’écrire comme tel.

    Et quelle élégance dans la réparation à l’endroit des travaux de Mireille Sacotte et de Maxime Decourt !

    J’ai le sentiment qu’il nous devance quelque part, qu’il sait lire nos pensées au point de nous forcer sans nous forcer à lui répondre.

    Et que dire de la célérité de notre JR du blogue ? De cette première réaction dans la nuit de son Dallas intellectuel ?

    Enfin, quel plaisir de relire Monsieur Pierre Chédeville qui a ravi plus d’un lecteur, en neuf pages, sur le mystère Delon, dans la revue « Médium » – À la Française – n° 51, dirigée par celui qui consacre sept pages à Gary dans son carnet de bal où s’affichent de vivants piliers !

    Une France pour faire « chant », c’est sans doute ce que rêve « l’onde Delon » (Voyez l’anagramme, cher JR)

    Ne point troubler avec les nymphes, cette onde mystérieuse, certes, mais s’y abreuver en toute discrétion pourquoi pas, Messires ?

    Cette France des clochers et des champs, que vous mentionnez, page 68, Monsieur Chédeville, rêve de trait d’union avec un au-delà substantif qui n’est pas la locution prépositive que vous écrivez avec une faute, dans la même phrase.

    (Le Littré heureusement sait faire la différence, n’en déplaise à tous ces réformateurs)

    Quid de cet au-delà, mon bon Seigneur ? Peut-être est-il caché dans ces religions de la délivrance dont nous parle Régis, à la fin de son hommage à celui qui n’est pas près de nous quitter…

    Cette France des clochers et des champs qui n’est pas « une émeute de souris dans un fromage » et qui va voir ses trois représentants députés, dans quelques heures, au Palais de l’Élysée, désire ardemment que ça change…

    De grâce, amis si érudits, ne nous regardez pas avec une « simple loupe » dont les lettres mélangées forment « le populisme » ! Allez de ce pas quérir, si cela vous chante, celle de la poétique de l’espace de notre intemporel Gaston Bachelard, et nous en reparlerons…

    Cher lecteur partisan ou non, ce n’est pas l’alarme, c’est le tournant.

    À prendre ou à laisser !

    Aurore

    Donné quelque part en France, quand minuit sonnèrent

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Je trouve toujours à vous lire, fureteuse Aurore, que vos lectures ne sont décidément pas celles d’une caissière de super-marché ! Mais soit, gardons nos masques. Et merci pour la référence au bel article dans Médium de Pierre Chédeville que vous me rappelez, et que je garde sur mes étagères parmi les numéros de cette défunte revue – je vais le reprendre…

  5. Avatar de JFR
    JFR

    Dandysme (suite)
    Combien Alain Delon avait-il de cravates dans son armoire ? Avait-t-il dépassé en nombre la collection et la passion d’Aragon, « l’homme aux mille cravates », pour le petit ruban que les hommes se nouent autour du cou ? Oui, disons le bien haut, « autour du cou », comme l’est la ceinture autour de la taille pour tenir le pantalon… Que faut-il donc tenir ici et de quoi la cravate est-elle le signe ? D’une attache, d’un lien, d’un contour, d’une corde pour se pendre, d’un verre que l’on se jette derrière la cravate… Et que surtout l’on ne parle pas de symbole phallique… plus personne aujourd’hui ne lit Freud. Trop compliqué, trop sexuel, trop philosophe, pour l’âme contemporaine… Allons voir plutôt du côté de Roland Barthes et de la sémiologie… Qui trouve-t-on alors ? Le Randonneur lui-même qui randonne jusque sur internet. Lisez l’article Sémiologie de Wikipédia : « L’homme descend davantage du signe que du singe », lit-on. « Il tient son humanité d’un certain régime symbolique ou signifiant. Nous vivons moins parmi les choses que parmi « une forêt de symboles » comme dit Baudelaire dans son célèbre sonnet Correspondances » Signé Daniel B. dans son Introduction aux sciences de la communication. (La découverte. Paris. 2001). La sémiologie peut donc tout étudier puisque tout est signe…
    Trop belles ces photos d’Alain Delon en smoking ou en costume foncé portant cravate. On le voit particulièrement dans L’Eclipse, en 1962, à côté de Monica Vitti, petit agent de change et séducteur irrésistible… Le total look noir et cravate du Cercle rouge n’a pas échappé au Journal des Femmes… Il existe une cravate vintage de marque Alain Delon, cravate bleue, fleurie, en pure soie, que l’on peut acquérir sur Etsy. Delon, héros ombrageux, au costume impeccable, s’oppose point par point au débraillé contemporain. Le dandy se joue des apparences et cultive l’artificialité et Romain Gary – comme Aragon – ne donne à voir que des masques. Les costumes comme les patronymes dont il se revêt sont bien différents. Jusqu’à apparaitre sous le nom d’un auteur jusqu’alors inconnu. Le signifiant Ajar rejoint pourtant, par son incandescence même, celui de Gary en russe. « Brûle » et « braise » à l’impératif, en russe, au choix ! Que personne ne l’ait compris, n’est pas le moindre des points gagnants pour Roman Kacew. Quant à Aragon, seule sa fausse carte d’identité portée pendant l’Occupation, à St Donat dans la Drôme, révèlera le nom de son père biologique. « Louis Andrieux » est le patronyme que pouvait lire, la police de Vichy, sur la fausse carte d’identité du poète. La supercherie va bien au-delà du dandysme, mais elle en fait partie. De qui véritablement Aragon voulait-il alors se jouer ?
    Mais le dandy le plus attachant, c’est Aurélien. Aurélien qui rêve comme sur les ruines de Carthage… « Je demeurais longtemps errant dans Césarée, Lieux charmants où mon cœur vous avait adorée »… Un témoignage d’André Breton lui attribue mille cravates. Le texte d’Aurélien peut nous en convaincre. Tout y est recherche, raffinement, féminité… Son pyjama est « à raies gris perle et gris fer », il nettoie « avec une rage minutieuse » au moyen d’un savon noir rapporté tout exprès de Londres « ce corps qu’il n’avait pas choisi «. Trouble dans le genre, chez Aurélien. « Il sortait son linge, le regardait avec un soin minutieux, pas cette chemise, celle-ci peut-être… ». Puis la cravate… « Si je mets cette chemise-là, je prendrai le costume gris-bleu et la dernière cravate de chez Pile… Non je n’ai pas de chaussettes qui aillent bien avec… Alors si je prends la foncée de Hilditch and Key… Après tout pour qui est-ce que je m’habille ? Pour moi ou pour elle ? Qu’est-ce qu’elle aime Bérénice ? Les chaussettes écossaises vont lui paraitre excentriques… Il y a moins de risque avec les tons éteint, une cravate foncée… » (chap 27). La cravate est à l’homme ce que la robe est à la femme dans Aurélien. (A suivre…)

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Oui cher JF, tu as raison d’aller d’aller chercher dans Aurélien les indices d’un dandysme bien réel d’Aragon, et le rapprochement de ces trois noms, Gary-Delon-Aragon, permet de mieux cerner cette posture énigmatique du dandy, pas facile à définir. Un refus de l’époque telle qu’elle va, une réaction aristocratique qu’on ne trouvera ni populaire ni très sympathique…, me paraissent caractériser l’éthique ou l’esthétique de ces trois grands personnages, qui marquèrent un écart évident avec leur temps, et qui manquent cruellement au nôtre.

  6. Avatar de Jacques
    Jacques

    Bonjour !

    Je viens de vous relire avec toujours le même plaisir, cher Monsieur JFR.

    Puis-je vous faire une confidence ? J’ai horreur des cravates.

    Une amie, amoureuse de la langue française, m’en avait un jour offert toute une panoplie, pour me taquiner sans doute ! Je les ai données.

    Est-ce pour autant un refus de raffinement dans notre chambre intérieure, Monsieur le savant ?

    Dans son « Introduction à la psychanalyse », l’auteur écrivait en mil neuf cent seize :

    « La cravate qui descend sur la poitrine et qui n’est pas portée par la femme, est manifestement un symbole masculin »

    Alors que direz-vous du charmant suivez-moi-jeune-homme derrière la nuque ou la robe de ma petite caissière préférée du supermarché du coin?

    Notre randonneur au beau chapeau de paille nous dira que « Les rêves du docteur Freud » ne sont pas la tasse de thé de cette gentille péronnelle, et qu’elle n’est pas du genre à chercher leur anagramme.

    Peut-être…Et comme vous, comme votre serviteur, mes bons seigneurs, elle aussi est concernée par cette renversante anagramme du syntagme entre guillemets ci-devant, à savoir : « Le fruste désordre du vécu ». Vous qui savez tant de si belles choses, expliquez-moi cette étonnante coïncidence lexicale, palsambleu !

    Coïncidence, alors qu’il nous faut désormais dé-coïncider !

    Nous savons, bien sûr, toute l’importance du tissu et les gens de « Médium » ne diront pas le contraire.

    Dans la foule sentimentale, on cherche encore la robe couleur du temps.

    Dois-je, de ce pas timide, aller lorgner par le trou de la serrure d’un cabinet de psychanalyse pour la contempler ?

    Au plaisir de lire vos bons conseils.

    Jacques

    1. Avatar de Daniel Bougnoux
      Daniel Bougnoux

      Superbe et surprenant commentaire, cher Jacques. La balle, je crois, est maintenant dans le camp du psychanalyste…

      1. Avatar de Jfr
        Jfr

        Alain D se voulait Gary Gant et Gary Cooper mais comment etre Romain Gary ?

  7. Avatar de xavier b. masset
    xavier b. masset

    Cary, comme l’homérique général Grant.
    Puisqu’il y a des russophones ici, on peut s’amuser à signaler que ‘Gary’ fait la bise à la braise lorsqu’on lit les lettres à l’envers, ou les mélange.
    On obtient : Igra, le ‘jeu’ en russe.
    La notion de jeu, chez tous les surréalistes, y compris après le split de 1930 et la dissolution post-1966, garda tout d’un leitmotiv.
    Quant à Gary, le nombre de « fourberies drôles », à la Aragon-Breton des grands jours ainsi qu’à la de Gaulle, commises sous le manteau, pourrait-on dire, est énorme.
    Je ne parle pas de l’Ajar, un pied dans la porte du Goncourt, l’autre posé dans les assiettes de Drouant, mais des positions antiaméricaines de Jean Seberg, qu’il soutenait, selon une doctrine proche du discours du Général à Phnom-Penh, en 1966.

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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