La prise de parole d’Emmanuel Macron était très attendue ce lundi 13 avril, et elle a d’ailleurs battu un prévisible record d’audience. Dans l’état de pause, et de grandes incertitudes, où la plupart se trouvent plongés, l’intervention du chef de l’Etat se devait de faire événement, et de toucher.
Autant le dire d’emblée : moi qui ne vote pas Macron, j’ai trouvé ce discours de 27 minutes très réussi, émouvant et particulièrement approprié aux circonstances que nous traversons. Nous vivons en effet collectivement une situation inédite de marasme et de sacrifices dont chacun se demande s’ils servent vraiment à quelque chose, ou si les mesures prises sont à la hauteur des enjeux.
Sur ce point le Président a rassuré, en affirmant que la pandémie, sans être vaincue, était sérieusement contenue et que le si pénible confinement commençait à porter ses fruits. Et il a remercié longuement et sincèrement tous ceux qui ont contribué à ce premier succès, et qui continuent d’entretenir entre nous une forme de vie commune, pas trop dégradée. Cet hommage était important, il mettait en évidence l’effort collectif constitutif d’une nation ; et il reconnaissait en passant comment cet effort montait d’en bas, depuis ces catégories sociales délaissées, sous-payées ou stigmatisées il n’y a guère, des femmes notamment, infirmières, personnels d’entretien, caissières, mais aussi routiers, agriculteurs ou autres « gilets jaunes »… Qui fait tourner le pays et prend vraiment soin de nous ces jours-ci ? D’où nous vient la « vraie vie » ?
Là où croît le danger croît aussi ce qui sauve, écrivait Hölderlin. Jamais plus qu’en temps de crise ou d’épreuves communes ne se manifeste mieux l’existence d’un nous, ou d’une solidarité organique. Cette communauté devenait palpable dans les mots du Président évoquant notre vulnérabilité, les incertitudes partagées autant que les nécessaires partages à venir. « Nous reverrons les jours heureux » : cette allusion assez claire au programme du Conseil National de la Résistance, intitulé Les jours heureux, nous annonce donc une profonde refonte des priorités et des hiérarchies dans les choix économiques et sociétaux à venir ; Emmanuel Macron nous a promis hier beaucoup de vraies réformes, en reconnaissant combien, avec ce virus, les choses venaient de changer, « à commencer par moi ». Sachons saluer ce renversement, et prenons-le au mot ; ce constat empreint d’humilité, et riche d’ouvertures sur l’avenir, est une belle preuve de courage politique, et il nous en redonne donc en retour.
Il était très important, dans cet état de pause où nous nous trouvons, fait à la fois d’empêchements, d’incertitudes, de réflexions et de remises à plat, de conjurer le chaos en esquissant un point fixe, ou un surplomb qui redonne au pays son élan. Car notre collectif existe bien, mais à l’état virtuel : nous nous conformons, chacun dans notre coin, aux directives venues d’en haut, nous respectons plus ou moins les gestes-barrière, nous attendons de l’Etat les mesures redistributives qui permettront aux plus démunis, ou menacés, de traverser vaille que vaille cette crise. Nous vivons une terrible ou lancinante attente. C’est le ressort de cette attente que le Président a touchée. Il a mis le doigt il me semble sur le nerf d’une énergie nationale latente, et qui ne demandait qu’à être réveillée, ou stimulée.
On vérifie par de tels discours à quel point dire c’est faire, selon le titre-phare d’Austin pour nos études de communication. Plus on monte d’ailleurs dans la hiérarchie des tâches et des métiers et plus cette équation s’applique ; la parole d’un ouvrier ne pèse guère, celles d’un trader, d’un magistrat ou, au sommet de l’échelle, d’un chef d’Etat ont des effets bien réels, le monde autour d’eux change de cours selon quelques petits mouvements de langue, le travail est devenu « symbolique », ou la parole performative. Gouverner, cest trouver les mots. Par exemple, nous donner hier en pâture la date du 11 mai n’était pas une mince annonce. Tous les médecins savent quel réconfort apporte au patient d’une longue maladie l’indication d’un terme, d’une étape ou d’une direction de la cure ; os à ronger ou grain à moudre, il est vital d’alléger le temps morfondant de l’épreuve en lui fixant un agenda. Gouverner c’est ponctuer, ou maîtriser un tant soit peu le temps.
Je parlais avec un ami de la prestation de notre Président au lendemain du 12 mars, « Quelle belle machine ! me disait-il. – Oui, mais ce n’est encore qu’une machine, tu n’as pas trouvé qu’il manque décidément de compassion ou d’empathie pour les sacrifiés de la crise ? » Or c’est ce don d’empathie, assez mal distribué, qui donne sa force principale au charisme, et constitue à coup sûr la vertu principale d’un dirigeant, au moins en régime démocratique. Voici que le maître des horloges n’est plus un Jupiter tonnant, ou qui étonne et décide d’en haut au nom de règles tirées d’un catéchisme néo-libéral ; le Macron d’hier soir était un homme lui-même vulnérable, qui reconnaissait ses erreurs, celle notamment d’avoir sous-estimé la France d’en bas (tellement plus altruiste, tenace, et exposée que celle d’en haut), et qui nous appelait à la maîtrise collective de cet agenda du 11 mai. La sortie du confinement est l’affaire de tous, elle dépend de notre aptitude à le respecter. Plus que jamais nous sentons et nous comprenons que nous sommes dans le même bateau. Et lui avec nous.
Si les promesses du discours historique que nous venons d’entendre ne sont pas du vent (et nous serions nombreux, dans ce cas, à opposer au Président ses propres paroles), il faudra élever au coronavirus une statue puisque la bestiole aura réalisé parmi nous ce qui semblait avant elle impossible : la refonte d’un corps collectif réuni dans un effort commun, la renaissance d’une Nation dotée d’un chef non plus arrogant mais blessé, à l’écoute lui-même des blessures et décidé à se réinventer, en bref un tournant dans la politique intérieure et extérieure de la France… Sa parole hier soir rencontrait enfin nos attentes, le Président n’avait jamais mieux incarné sa fonction ni parlé aussi justement – un discours longuement mûri, et comme en état de grâce. Puisse l’avenir en confirmer chaque mot !
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