Entre la vie et la mort

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Comment allez-vous ? s’enquièrent avec sollicitude nos amis, et j’hésite à leur faire une réponse qui pourrait sembler emphatique, « Nous allons entre la vie et la mort »… Et c’est pourtant la seule appropriée, depuis la mort de Brieuc notre pensée ne le quitte plus, nous n’avons d’intérêt que pour lui, nous lui consacrons toute notre énergie, tous nos instants disponibles. Mort, il envahit notre vie.

C’est ce qu’on appelle en clinique je crois le phénomène du membre fantôme : un amputé de la jambe aura des démangeaisons d’orteils, ou souffrira d’arthrose au genou, pourtant manquants. Le membre absent proteste de sa présence, il harcèle la conscience ou le schéma corporel de son porteur, il fourmille. Curieusement, cette présence lancinante ou spectrale ne concerne pas (pas encore ?) mes rêves ; plus malléables, ils devraient pourtant moins résister à cette poussée du fantôme que les perceptions de la veille, eh bien non : dans les miens, toujours abondants, la mort de Brieuc ne s’est pas faufilée, ou du moins pas directement.

Je revis par exemple mon enfance à Melun, je parcours la ville qui s’est transformée d’étrange façon, j’y remarque une concentration inhabituelle de boutiques d’obsèques et de marbriers, pourquoi ? La raison m’en échappe complètement. Le même rêve saute de là à la maison de nos amis D., à la campagne : pour franchir le seuil de leur imposante demeure, il faut désormais traverser une enfilade de tombes qui encombrent la façade et l’entrée principale, quel disgracieux entassement de marbres, de croix et d’inscriptions funéraires, à quoi donc ont pensé nos amis ? Ou encore la Croix-rouge collecte du sang, d’un seul coup on en manque gravement, il faut rassembler beaucoup de donneurs – pour la Syrie, pour quelle cause étrangère ? Ce n’est pas dit mais l’urgence est impérative et ne se discute pas…, « on donne son sang ».

Bizarre comme le négatif pénètre le rêve par litote, obliquement ; la nuit dernière, c’étaient des titre de journaux, barrés de noir qui annonçaient une catastrophe nulle part lisible en clair, je n’arrive pas dans le rêve à déchiffrer la une, je la survole du regard en m’étonnant de loin devant « tout ce noir », qu’est-il arrivé ?

La mort respecte le rêve, ou le rêve tient quelques temps encore la mort en respect, lui oppose un cordon sanitaire : tant que tu dormiras, semble me signifier le rêve, je te mettrai à l’abri de ça. Vérification de la thèse du « rêve gardien du sommeil », ou de l’affirmation princeps de la Traumdeutung, le rêve-réalisation-du-désir ? (Théorie qui m’a toujours parue forcée, invérifiable.) Si comme le prétend Freud nos rêves épousaient nos désirs, Brieuc devrait pousser la porte de la chambre, s’entretenir familièrement avec nous ou jouer avec ses enfants dans la pièce, notre vie se dédoublerait, on le pleurerait le jour mais la nuit nous le rendrait pour quelques heures, comme avant.

Le rêve qui enregistre si mal la réalité n’est donc pas non plus un film de fiction, ou de fantaisie. Il ne me propose pas de rembobiner l’histoire, d’effacer l’accident et de tout remonter, en enfonçant quelque fictive commande Replay ; l’imaginaire du dormeur n’a pas cette complaisance. Comme dans les contes d’Aladin, le bon génie ne peut pas tout faire, ou encore : il y a une hiérarchie entre les pouvoirs des fées. Mes rêves accueillent a minima le trauma, ils le suggèrent à petites touches comme on prévient un grand malade ou une personne âgée, avec ménagement. Ça, la réalisation-du-désir ? A d’autres !

De jour autant que de nuit, nous vivons donc d’un compromis « entre la vie et la mort ». Comme le dit François Truffaut dans La Chambre verte, son dernier film que je viens d’acheter en DVD pour le revoir – film didactique, plein de défauts mais néanmoins assez touchant – il arrive un moment dans l’existence où nous connaissons plus de morts que de vivants. Avec le deuil, cette majorité des morts enregistre un grand bond, « un seul être vous manque et tout est dépeuplé » (Lamartine), nous n’avons plus de goût à la fréquentation de nos voisins, de nos amis à moins qu’ils ne nous parlent de l’unique objet de nos pensées ou de notre désir.

Déjà nous avons enduré quelques soirées où pour bien faire, et nous « changer les idées », ceux-ci nous proposent un dîner ou une conversation de salon au cours desquels on nous assure que la vie continue. Cette phrase dans des bouches bien intentionnées fait un mal qu’on ne soupçonne pas, non elle ne continue pas, elle ne doit en aucune façon continuer, tout a basculé, foutez-nous la paix avec vos lamentables histoires de vivants ! L’histoire de celle à qui l’on vient de voler sa télévision, elle nous bassine un bon quart d’heure de cette perte vraiment majeure, ou cet autre avec ses Jeux olympiques, il est apparemment scotché à Sotchi, et celui qui nous détaille la recette (il en raffole) de la confiture de poivrons…, vous voulez vraiment d’où nous sommes nous intéresser à ça ?

Nous tournons un peu aux pestiférés et je comprends que la société se referme devant nous, on n’aime pas les fanatiques ou les maniaques d’une seule idée. Qu’exigeons-nous de nos parents, de nos amis ? Qu’ils nous parlent de Brieuc, ou du chagrin de perdre un être cher, de ce que cet arrachement fait à l’âme, à la lumière du jour, aux rêves ou à nos désirs… Mais pas plus que l’inconscient ou les formations de compromis du rêve, cette vie comme on dit courante ne dispose de mots pour la perte d’un mort ; le vivant n’aime pas ou ne peut fixer celle-ci, l’examiner – « Ni le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face », merci La Rochefoucauld de cette forte maxime que je me suis beaucoup répétée ces jours-ci (et dont Peter Sloterdijk a fait le titre d’un livre d’entretiens sur son œuvre, un de ses meilleurs que je recommande en passant). La plupart des amis bavardent donc à côté, et comment les blâmer ?

Inversement, notre deuil réveille ici ou là la douleur jamais enfouie d’une mort étrangère ; la corde vibrante de notre chagrin en fait résonner à distance une autre, subitement accordée. Un parfait inconnu m’écrit un mail de dix pages par lequel il me devient « plus intime à moi que moi-même », il trouve des mots qui nous bouleversent, et qui surtout nous soulagent car – nous exigeons de ne pas être seuls à porter l’insupportable, à fixer l’irregardable. Et vous, comment réagiriez-vous ? C’est de cela et cela seul, chers amis, que nous aimerions nous entretenir avec vous. (S’entre-tenir, quel mot puissant !)

Je ne les ai pas comptés mais nous avons dû recevoir deux à trois-cents messages de condoléances, certains assez formels, d’autres très touchants qui nous assuraient de la proximité de leurs auteurs, de leur étroite sympathie. Que de « en pensées avec vous », « nous partageons votre peine », « nous nous tenons à vos côtés » !… Mes amis je vous crois et vous remercie, mais combien de correspondants ont poursuivi cette union par voie de téléphones, de SMS ou de mails ? Moins d’une vingtaine. Par quel bout prendre le deuil des autres, comment articuler ou développer son empathie (que je crois néanmoins réelle) ?

Il est vrai que nous-mêmes entendons vivre avec notre chagrin, que nous nous isolons délibérément ; et pourtant nous n’en pouvons plus d’être deux, l’issue du deuil passe par un plus large partage. La douleur de la perte est-elle un cadeau empoisonné fait aux amis, aux parents ? Je ne crois pas, bien au contraire. Vous ne pouvez pas nous comprendre ? Si, vous pouvez. Question de tempo, de ponctuation ou de vitesse dans cette vie qu’on dit justement courante. Foncez un peu moins en avant, ralentissez ; ne vous laissez pas trop vite distraire ; ne vous contentez plus des informations (l’annonce d’une mort est capitale – et après ?), ne vous fiez plus aux paroles en l’air, recentrez-vous sur la relation. Et essayez de méditer sur votre propre chétive existence.

Très peu d’information à vrai dire depuis trois semaines nous touchent. L’Ukraine, la Syrie, les J.O., pfuitt ! Vraiment, littéralement, nous avons désormais un pied dans la tombe, nous traversons les jours en boitant ou en regardant ailleurs, entre la vie et la mort, passionnément. C’est triste ? Oui et non, c’est captivant. Brieuc nous prend un temps fou. Depuis qu’avant nous il a franchi les portes de bronze et de glace derrière lesquelles il se tient désormais, nous savons que nous ne pouvons le rejoindre et pourtant nous demeurons avec lui ; ou nous sommes par lui, de ce côté-ci, très occupés. Absurdement ou stupidement affairés à lui donner nos pensées, nos phrases, « tout ce sang » qui le maintient mentalement dans la chaleur de nos vies. Membre fantôme absent et pourtant tellement sensible. Fourmillante présence ! Nous nourrissons le mort de cette transfusion qui nous dévitalise.

Maïakovski avant son suicide a laissé un dernier billet : « La barque de l’amour s’est brisée contre la vie courante ». Dans notre amour de Brieuc nous vivions embarqués ; avec cette mort, quelle voie d’eau dans notre barque ! Mes amis, vous n’y êtes pas ; aidez-nous, car ce sera long, à colmater, à pomper… A retracer la juste démarcation entre la mort et la vie.

10 réponses à “Entre la vie et la mort”

  1. Avatar de Pierre-Emmanuel PELCENER
    Pierre-Emmanuel PELCENER

    La goutte de pluie,

    Je cherche une goutte de pluie
    Qui vient de tomber dans la mer.
    Dans sa rapide verticale
    Elle luisait plus que les autres
    Car seule entre les autres gouttes
    Elle eut la force de comprendre
    Que, très douce dans l’eau salée,
    Elle allait se perdre à jamais.
    Alors je cherche dans la mer
    Et sur les vagues alertées.
    Je cherche pour faire plaisir
    A ce fragile souvenir
    Dont je suis seul dépositaire.
    Mais j’ai beau faire, il est des choses
    Où Dieu même ne peut plus rien
    Malgré sa bonne volonté
    Et l’assistance sans paroles
    Du ciel, des vagues et de l’air.

    Jules Supervielle.

    il y a une dizaine d’années, nous avions reçu au service ce poème accompagnant la photo d’un jeune homme, John, tenant son enfant dans ces bras. John est mort à l’Olan et sa femme, professeur de lettres, nous avait envoyé ces mots que je n’ai jamais oubliés.
    Vendredi 31, je venais le cœur léger saluer mes amis et collègues du secours en montagne dans cette unité que j’ai quittée en 2011 après l’avoir dirigée plus de quinze ans. Ma légèreté s’est immédiatement évanouie en apprenant le drame qui venait de se jouer et en apercevant une jeune femme sidérée dans notre salle de repos. J’ai gardé mes distances avec cet accident qui ne devait plus me concerner, pourtant je suis rentré anéanti chez moi en pensant à cette mère qui allait retrouver ces deux petites filles…
    J’ai juste redis aux miens que je savais pourquoi il m’était devenu impossible de faire ce métier là!

    Aujourd’hui, en repassant voir mes collègues, je suis tombé sur ce très beau faire part qui invitait à connaître qui il était, et j’ai découvert le visage et le prénom de Brieuc, la victime du grand Colon . Me voilà à parcourir ce blog, emplit d’intelligence et de douleur mélangées. Je ne peux pas ne pas penser à Bernard Chambaz et à son témoignage bouleversant, Martin cet été, livre qui m’a ouvert la compréhension de cette douleur incommensurable. Mais qui m’a également illuminé sur ce que pouvait être une vie de famille construite sur l’intelligence et la profondeur des sentiments d’un père qui clame avec fierté son rôle paternel.
    Il me semble qu’il y a tellement de points communs entre vous et Bernard Chambaz qu’il me paraît difficile que vous ne le connaissiez pas. Si tel était le cas, lisez son livre, il peut faire partie de ceux qui vous aideront un tant soit peu dans ce naufrage sans nom.

    Quelle beauté et quelle folie que cette montagne.
    Ne jamais oublier la dualité de ce milieu qui nous enivre et qui nous décime. J’ai voué une partie de ma vie à lutter contre cette hécatombe montagnarde et une tragédie comme celle de Brieuc m’incite à continuer. Puisse les membres de la communauté montagnarde comprendre à travers votre, blog les conséquences souvent occultées d’une mort en montagne. C’est pour moi une condition essentiel de toute démarche de prévention et de pratique vers un risque socialement acceptable.
    Merci infiniment pour votre témoignage.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Et merci pour votre commentaire, Pierre-Emmanuel, qui nous bouleverse : vous avez donc vu Brieuc mort ce fatal vendredi ? Et Mado sous le choc dans la salle de repos ? Où cela ? Dites-moi… Oui, je suis en train de lire Chambaz, aiguilllonné par les conseils de plusieurs amis. Les deuils font la chaîne – et la mémoire ne tarit pas. Je lis Forest aussi, que par ailleurs je connais bien. La condition de deuil rend très sélectif, je ne pourrais pas lire grand chose d’autre. Quant à prévenir les risques en montagne ??? Il n’y a pas de risque zéro, me redis Jean-Claude Serre, et là où Brieuc est mort la neige semblait OK : le CRS que nous avons rencontré aux obsèques, Jean-Baptiste Bois, a été formel, lui-même aurait pris cette descente. Alors ?…

  2. Avatar de Pierre-Emmanuel PELCENER
    Pierre-Emmanuel PELCENER

    J’ai aperçu Mado et j’ai su que votre fils venait d’être déposé par l’hélicoptère. Ce n’était ni mon rôle, ni ma place d’aller le voir. Et vous l’avez compris, je n’en ai plus la force car, quand j’étais à ce poste, je me suis toujours fait un devoir de tenter de comprendre l’événement qui venait de se dérouler et de saisir quelques bribes de l’existence de l’homme ou de la femme que nous ramenions. Je me suis toujours refusé de considérer que nous ramenions des corps, j’ai toujours pensé que cette déshumanisation était un manque de respect, voire parfois le terreau de la barbarie.
    Peut-être parce que depuis longtemps j’ai fait mienne cette citation de John Donne sur laquelle s’ouvre « Pour qui sonne le glas », d’Hemingway.
    « No man is an Island, entire of itself ; every man is a piece of the continent, a part of the maine ; if a clod bee washed away by the Sea, Europe is the lesse, as well as if a Promontoire were, as well as if a Mannor of thy friends or thine owne were ; any man’s death diminishes me, because I am involved in mankind ; and therefore never send to know for whom the bell tolls ; it tolls for thee. »
    « Nul homme est une île en soi. Chaque homme est un morceau du continent, une part du tout; si un bout de terre est emporté par la mer, l’Europe en est amoindrie, comme si un promontoire l’était, comme si le manoir de tes amis ou le tien l’était. La mort de chaque homme me diminue car je fais partie de l’humanité. N’envoie jamais demander pour qui sonne le glas, il sonne pour toi. »

    Vous pouvez avoir toute confiance dans l’analyse que vous a faite Jean-Baptiste Bois, c’est un guide-sauveteur exceptionnel, professionnellement et humainement. Je me suis bien gardé de porter le moindre jugement sur cet accident, je n’ai pas eu les éléments d’analyse mais je crois comprendre que Brieuc s’est fait prendre par le piège le plus difficilement décelable de l’avalanche de profondeur où ce n’est pas exclusivement la dernière couche fraîche qui part. Il faudra que je vois la procédure d’accident pour aller plus loin dans ma réflexion et ma compréhension.
    Un des éléments sur lequel peut-être Jean-Baptiste n’a pas osé insister, est, qu’il ne fait plus jamais de randonnée à skis sans porter son sac airbag. Il a toujours fait figure de modèle dans ce domaine-là en nous exhortant à porter cet outil de protection en permanence quel que soit la course entreprise. C’est une question fondamentale dans la gestion du risque avalanche. Depuis de nombreuses années, je me suis battu pour équiper individuellement chacun des sauveteurs grenoblois. Pour moi, en matière d’avalanche, on est dans la règle des 80%/20%. 80% de prévisibles, 20% de très difficilement visibles. Avec un bon travail d’analyse, on devrait pouvoir éviter les 4/5 des accidents, mais l’expérience montre que beaucoup de montagnards avertis se retrouvent, y compris guides et sauveteurs, parfois dans ces conditions manifestement défavorables parce que souvent, des facteurs humains ( pièges de l’inconscient, pression commerciale, effets de groupe…) n’ont pas permis d’agir et décider avec pertinence. Si on rajoute ces 20% très piégeux, on voit bien qu’il est difficile, voire impossible de maitriser ce risque à 100%; le port de ce sac ne constitue en aucun cas une garantie absolue et ne doit surtout pas être utilisé comme un joker pour se lancer n’importe où mais il constitue indéniablement un élément de sécurité très complémentaire aux arva/dva. S’il n’y avait pas de contraintes de prix et de poids, je ne doute pas un seul instant que tout le monde en systématiserait le port. Dans le cas de Brieuc, on ne peut rien dire, il a notamment fait une chute très importante pour lequel ce sac n’aurait peut-être pas eu d’effet. Mais je peux dire ici à tous les pratiquants que sur l’ensemble des avalanches auxquelles j’ai été confronté, cet outil aurait permis de sauver de nombreuses vies. Il y a 4/5 ans un jeune père de famille de trois enfants est décédé à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau de Brieuc dans la pente finale de la combe du Grand Sorbier. Dans sa dernière contribution au site camptocamp, il rendait hommage à son instructeur du CAF de Thonon, père de trois jeunes enfants lui aussi, et décédé en fin de saison dans une avalanche. Dans ce post, il se posait ouvertement la question de l’achat d’un sac airbag…, mais au mois de novembre, pour sa première rando, il ne l’avait pas encore fait !!!
    Pardonnez-moi de rentrer dans toutes ces considérations mais je pense sincèrement que la communauté montagnarde peut faire mieux dans la prise en compte des risques considérables liés à ces pratiques alpines. Je pourrais en parler des heures, j’ai du mal à entendre les discours fatalistes et encore plus ceux qui atténuent voire idéalisent cette mort dans la pratique d’une passion. C’est une question très difficile, très délicate avec des enjeux psychologiques et philosophiques très importants. Dire que le risque-zéro n’existe pas est une chose, en déduire comme je l’entends souvent que tous les risques se valent en est une autre. Puis se pose une question fondamentale : qui assume le risque ultime qu’est la mort, celui qui le prend ou ceux qui restent ? Ça fait longtemps que j’ai trouvé la réponse à cette question et cela doit en permanence nous amener à reconsidérer nos choix.
    Je n’ai pas de doute que Brieuc n’appartenait pas à cette espèce assez répandue chez les montagnards qui élèvent la prise de risques, l’engagement comme ils disent, en vertu cardinale. Justement, c’est pourquoi l’accident de Brieuc et Mado, avec qui je m’identifie, doit nous questionner pour essayer d’aller encore plus loin dans notre appréhension de notre sécurité en montagne.
    Je suis sûr que vu son esprit critique, j’aurais pu échanger longuement et passionnément avec Brieuc sur ce sujet.
    Merci de m’avoir permis de le faire avec vous et éventuellement avec tous ses proches dont beaucoup partagent la même passion.
    Toutes mes pensées de père et d’homme vous accompagne ainsi que tous ceux qui ont eu la chance d’aimer Brieuc et d’être aimés de lui.
    Pierre-Emmanuel.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Superbe mise au point, Pierre-Emmanuel, je vais la faire lire dès ce soir à Mado. Je ne connaissais pas l’existence de cet airbag, mais comme vous le savez Brieuc a été brassé par l’avalanche sur une longueur de 500 m. Oui, l’avoir aimé et être aimé de lui a été le grand bonheur de notre vie…

  3. Avatar de Pascale Galliard
    Pascale Galliard

    Très émus par la perte de votre fils, nous nous sommes imprégnés du visage de Brieuc que nous ne connaissions pas. Nous aurions voulu le connaître tant l’expression de votre amour pour lui est forte et nous sommes sincèrement attristés de vous savoir dans la peine.

    Les mots manquent car ils sont trop faibles pour espérer vous apporter un peu de soutien, mais tu les as Daniel pour exorciser ta peine et je l’espère, un jour arriver à la tenir à distance. Continue à la dire et sache que nous l’entendons. Affectueusement
    Pascale

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Chers Pascale et Philippe, Ce blog est tout ce qui me reste pour parler avec lui – merci d’y venir, et de découvrir un peu Brieuc à travers ces pages.

  4. Avatar de BOUGNOUX JEAN-MARIE
    BOUGNOUX JEAN-MARIE

    Cher DANIEL
    ton texte est très beau. Ce qui me touche entre autres est ce décalage que tu ressens avec des amis qui voudraient te faire savoir qu’ils partagent ta douleur, mais qui ne peuvent pas te le faire ressentir, parce que probablement ils n’ont pas vécu ce que tu ressens, ou qu’ils n’en sont pas au même point ..Perdre un proche.. Comment peut-on en parler ? Et toi tu en parles, à travers tes rêves, tes ressentis à travers les paroles des gens que tu connais, ou de proches, ou de la famille. Je ne suis pas habitué aux blogs : c’est même la première fois que j’en parcours un. Les préceptes enseignés durant l’enfance font que je me sens mal à l’aise, à la vue de tous les regards pour parler à mon Frère. Mais ce blog est le tien et ce que tu y mets m’intéresse, me touche et me permet de mieux te connaitre. C’est le blog d’un coeur qui bat, qui vit  » entre la vie et la mort « . En face de votre douleur, moi, Jean-Marie, ton Frère, je me sens seul, ému, mais incapable de te soulager.. Je me souviens de la mort de Maman, la mort qui m’a certainement le plus bouleversé dans ma vie, en attendant d’autres, certainement..Je marche sur une voie de plus en plus dallée par le départ de celles et ceux qui m’ont accompagnés. En attendant mon propre départ. C’est la destinée de quelqu’un qui vieillit. C’est aussi la raison pour laquelle la compréhension de la vie est de plus en plus profonde. Pas sa compréhension : sa sensation, son apprentissage. Il y a le départ de ceux qui quittent la vie, il y a aussi ceux qui se mettent au bord du chemin, en perdant la mémoire, en ne reconnaissant plus leurs proches… Que ressentent-ils ?
    Mon cher Frangin, j’espère que tu n’endures pas trop ces mots que je sens pauvres, si en décalage avec tes pensées envers Brieuc. Je tenais à vous dire, ou à essayer d’exprimer, par ces modestes phrases, combien je vous aime. Combien vous êtes présents en moi, et combien je vous embrasse, Toi et Françoise, très affectueusement.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui, cher Jean-Marie, Je ne savais pas que tu lisais ce blog, depuis ta lointaine, ta peu accessible retraite à la campagne… Et il est étrange en effet de se dire ici, quasi publiquement, ce qu’on n’oserait pas articuler face à face. Et pourtant, l’intimité n’est pas contradictoire avec cette « publicité », les gens sont saturés de messages impersonnels, de fictions sentimentales, de sorte que quand une parole plus sincère s’élève elle trouve beaucoup de récepteurs attentifs, et qui témoignent à leur tour parce qu’ils sont d’un seul coup touchés dans leur histoire, dans leurs propres affects. Le blog élève ainsi la conversation, et le niveau des relations interpersonnelles. Pour te répondre sur le deuil, je me rappelle que tu avais fortement réagi, mieux que moi, à la mort de notre grand-mère ; que pour Maman c’était compliqué, je ne lui ai pas pardonné je crois ce suicide « sec », ce départ sans un mot, sans un appel – indice sans doute d’un profond désespoir, mais qui marquait aussi la déliaison dont souffre notre famille. L’espèce de froideur qui a marqué toute notre enfance. J’ai donc reporté mes investissements familiaux sur mon propre cercle, de Françoise et de nos enfants ; le deuil de Brieuc nous frappe de plein fouet et c’est la première fois pour moi que je ressens à ce point la perte d’un être cher, très très cher… Brieuc, que tu as peu connu, n’aurait jamais dû mourir à cet âge, il lui restait tellement à vivre, et à donner, c’était un père, un fils, un frère exceptionnel, et c’est ce qui me fait tenir ce blog transformé en journal du deuil : dire celui que fut Brieuc, faire que son sourire continue un peu de briller, d’embellir nos vies et nos pensées. Tes garçons nous ont écrit, ils auraient je crois beaucoup gagné à le connaître. Je t’embrasse très affectueusement.

  5. Avatar de Sylvie Postel-Vinay
    Sylvie Postel-Vinay

    Chers Daniel et Françoise,
    La photo de Brieuc est sur mon bureau, je contemple son sourire et celui de Mado. Je lis le blog de Daniel qui suscite tant d’échos avec ce que nous avons vécu.(Vécu, de vivre, étrange d’employer, ici, ce mot).

    Hier, nous avons assisté à la projection de Don Giovanni retransmise par le Royal Opera House. Je suis attachée à cet opéra que m’a révélé le film de Losey, revu en compagnie d’Augustin quelques heures avant sa mort.
    Et je repensais à ce que m’avait répondu une amie à qui j’avais proposé de nous accompagner : « Tu veux vraiment voir ça, qui te rappelle de mauvais
    souvenirs ? »
    Nul besoin de rappel pour des souvenirs comme celui-là, il sont toujours présents, mais ils s’associent parfois avec les bons, comme cette dernière soirée passée avec Augustin.

    Je suis touchée par ce que tu écris, Daniel, sur ces amis pleins de sollicitude qui s’emploient à nous « distraire », qui n’osent pas prononcer un nom qui pourrait « nous rappeler » ou qui s’en excusent s’ils le font involontairement. Ils n’imaginent pas, je le leur dit, comme nous aimons entendre prononcer le
    nom d’Augustin.
    Nous ne sommes plus dans la période terrible que vous traversez où il faut comprendre ce qui est incompréhensible, accepter ce qu’on ne peut pas croire, se réveiller tous les matins en se disant, non, ce n’était
    pas un cauchemar, c’est bien ça, Augustin est mort, Brieuc est mort.
    Mais 22 ans après, il nous plait d’entendre encore Don Giovanni en pensant à Augustin et, maintenant, à Augustin et à Brieuc.

    Je vous embrasse,
    Sylvie

    PS : Tu évoques ton attirance pour des lectures qui relatent de semblables épreuves, notamment Bernard Chambaz. Ayant connu la même attirance, j’avais eu avec lui un échange très émouvant au moment de la parution de « Martin, cet été ». J’ai lu aussi son dernier livre « Dernières nouvelles du martin-pécheur » qui témoigne de cette volonté de résister à la tristesse mais aussi de la présence constante de Martin. C’est lumineux.

  6. Avatar de bonnet anne
    bonnet anne

    Triste de ne pas avoir eu connaissance de ce si beau texte de Daniel sur la mot de Brieuc Je viens de le lire et de prendre connaissance de ceux qui ont suivi . Je partage tellement avec vous ce fossé qui nous sépare des proches dans ces moments tant les mots semblent ténus par rapport à ce que l’on vit Meme si nous nous sommes perdus de vue j’ai régulierement de vos nouvelles par Laure et notamment des ondulations des douleurs de Françoise
    Comme je vous le disais mon mari Jacques s’etant tué en montagne à 33 ans je communie bien plus etroitement a votre manque de ce Brieuc avec qui vous partagiez tant
    J’ai justement entendu Daniel à France Culture sur l’identité de Shakespeare et je vous redis que je pense a vous et vous donne toute mon affection Anne Bonnet

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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