Leonard Cohen, une interview

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Photo prise dans une rue de Montréal

Qu’est-ce que la poésie, Leonard Cohen ?

The continuous stutter / Of the word being made into flesh –  Le bégaiement sans fin du verbe quand il se fait chair (« The Window »).

Comment vous définiriez-vous, quelle sorte d’homme… ?

Taking from his wallet an old schedule of trains he’ll say I told you when I came I was a stranger –  Tirant de son portefeuille un vieil horaire de chemins de fer il te dira, je t’ai expliqué quand je suis venu que j’étais un étranger (« The Stranger Song »).

Qu’est-ce qui vous fait encore chanter ?

I was handsome, I was strong / I knew the words of every song / Did my singing please you / No, the words you sang were wrong – J’étais élégant, j’étais fort, je connaissais les paroles de toutes les chansons, est-ce que mon chant t’a plu ? Non, ses paroles étaient fausses (« Teachers »).

Au monastère de Mount Baldy, Roshi vous a baptisé Jikan, « le silencieux ». Frère Jikan, qu’est-ce que le silence ?

Silence / is nearer to peace than poems / but if for my gift / I brought you silence / (for I know silence) / you would say / This is not silence / this is another poem / and you would hand it back to me – Tu me dis que le silence est plus près de la paix que les poèmes, mais si en cadeau je te donnais le silence (car je connais le silence), tu me dirais ce n’est pas le silence, c’est un autre poème, et tu me le retournerais  (« Gift »,  The Spice-Box of Earth).

Pourquoi dans votre vie toujours le passage d’une femme après l’autre ?

I argued all night, like so many have before, saying Whatever you give me, I need so much more – J’ai discuté toute la nuit, comme tant d’autres avant moi, disant : Quoi que tu me donnes, j’en veux tellement plus (« Lady Midnight »).

Pourquoi ne vous être jamais marié ?

There is a war between the rich and poor, a war between the man and the woman. There is a war between the ones who say ‘there is a war’ and the ones who say ‘there isn’t’. Why don’t you come on back to the war ?  It’s just beginning –  Il y a la guerre entre les riches et les pauvres, la guerre entre l’homme et la femme. Il y a la guerre entre ceux qui disent ‘C’est la guerre’ et ceux qui disent ‘Il n’y en a pas’. Pourquoi ne retournes-tu pas à la guerre ? Elle ne fait que commencer (« There is a War »).

Pourtant, ne vous arrive-t-il jamais de regretter une femme ?

As the mist leaves no scar / On the dark green hill / So my body leaves no scar / On you and never will – Comme la brume ne laisse aucune trace sur la colline verte et sombre, de même mon corps ne laisse pas de trace sur toi, et n’en laissera jamais (« True Love Leaves no Traces »).

De tous les désirs que vous avez chantés, quel est pour vous le plus cher ?

Like a bird on the wire / Like a drunk in a midnight choir / I have tried in my way to be free – Comme un oiseau sur le fil, comme un soûlard à minuit dans une église, j’ai tenté à ma façon d’être libre (« Bird on the Wire »).

Parmi toutes les façons d’aimer, avez-vous en amour un modèle ?

It was deep into his fiery heart / he took the dust of Joan of Arc, / and then she clearly understood / if he was fire, oh, then she was wood. / I saw her wince, I saw her cry / I saw the glory in her eye / Myself, I long for love and light, / but must it come so cruel, must it be so bright ! –  Au profond de son coeur ardent il prit la poussière de Jeanne d’Arc, et alors elle comprit clairement que s’il était le feu, oh, alors elle était le bois. Je l’ai vue grimacer, je l’ai vue pleurer, j’ai vu la gloire dans son regard. Moi-même, je suis en quête d’amour et de lumière, mais cela doit-il être si cruel, cela doit-il briller autant ! (« Joan of Arc »).

L’amour côtoie la sainteté comme vos chansons parfois la prière, d’où les tirez-vous ? Et à qui sont-elles plus particulièrement adressées, à Dieu ?

If it be your will / that a voice be true, / From this broken hill / I will sing to you. / From this broken hill / All your praises they shall ring / if it be your will / To let me sing – Si c’est ta volonté qu’une voix soit vraie, depuis cette colline brisée je chanterai vers toi. Depuis cette colline brisée tous tes éloges résonneront, si c’est ta volonté de me laisser chanter (« If it Be Your Will »).

Vous demeurez en quête du nom, vous êtes quelqu’un que les mots illuminent…

There’s a blaze of light in every word ; / it doesn’t matter which you heard,  / the holy, or the broken Hallelujah ! – Il y a un rai de lumière dans chaque mot,  peu importe celui que tu as entendu, l’Alleluia sacré, ou le fracassé ! (« Halleluya »).

Vous voulez dire que prononcer certains mots ouvre comme une blessure ?

Ring the bells that still can ring. / Forget your perfect offering. / There is a crack, a crack in everything. / That’s how the light gets in – Sonne les cloches qui peuvent encore sonner. Oublie tes offrandes parfaites. Il y a une fissure, une fissure en toute chose. C’est par là que la lumière rentre (« Anthem »).

Finalement, sur quoi attirez-vous nos regards ?

Among the garbage and the flowers –  Parmi les ordures et les fleurs (« Suzanne »).

Que vous reste-t-il à faire ?

To laugh and cry and cry and laugh / About it all again –  À rire à pleurer à pleurer et à rire de tout encore et toujours (« So Long, Marianne »).

(à suivre)

Une réponse à “Leonard Cohen, une interview”

  1. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Commenter une relation d’entretien, est-ce bien raisonnable?

    Il semble que le plus important pour lui, Léonard Cohen, reste « en silence »…

    Le monde du silence a un son, une parole, mais comment le dire sans faire de citations?

    En chantant, peut-être, en passant par nos provinces de France et de Navarre…

    Bonnes fêtes pascales à tous

    Kalmia

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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