« Le chef d’œuvre inconnu » au Théâtre Essaïon

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J’étais dimanche soir au Théâtre Essaïon de Paris pour assister avec quelques amis à l’audacieuse mise en scène, par Catherine Aymerie et Michel Favart, du conte classique de Balzac : point ici d’atelier de peinture, de chevalets, de lourdes draperies masquant ou démasquant dramatiquement les toiles, nul décor particulier n’encombrait l’étroite cave aménagée d’où semble renaître un théâtre des catacombes. Seule en scène, à voix nue, l’actrice posée sur un fauteuil d’un velours « bleu Poussin » (me souffle Michel qui filme la soirée) suffisait à incarner ou mettre en voix les dialogues de Porbus, de Frenhofer et du jeune Nicolas, ou les soupirs de sa tendre Gillette. Et je vérifiais une fois de plus, à l’écoute de ce texte connu, qu’on peut faire théâtre de tout, à condition d’y engager son corps, et sa voix ; nous voyions littéralement les trois protagonistes tour à tour voir, et ne pas voir quand le chef d’œuvre à admirer n’offre qu’un amas confus de lignes et de taches colorées… Car la situation imaginée par Balzac reproduit assez précisément celle du théâtre, où l’on s’extasie devant d’assez sommaires artifices, less is more, que chaque regard enrichit de ses propres projections.

Savons-nous où s’arrête un corps ? « Le corps humain ne finit pas par des lignes. En cela les sculpteurs peuvent plus approcher la vérité que nous autres. La nature comporte une suite de rondeurs qui s’enveloppent les unes dans les autres. Rigoureusement parlant, le dessin n’existe pas ! », monologue durement le vieux Frenhofer. Balzac veut-il dire qu’un corps résonne ou rayonne par cercles concentriques ? Qu’il nous atteint en émettant des ondes ? Ce magnétisme, bien attesté dans tant de communications artistiques, devenait palpable entre le corps si éloquent de Catherine Aymerie et nous autres, placés au contact de la scène. Et ces massages à courte distance, plus sensibles que tout message, façonnaient hier soir notre condition de sujets subjugués, mesmérisés.

Photo jean-François Delon

J’avais relu le texte dense et court de Balzac avant de me rendre au théâtre, comment Catherine, que nous avions tellement admirée interprétant dans le même lieu, en novembre, la pièce Darius, allait-elle se tirer de cette « adaptation » ? En fait, la prose du conte est assez claire, très visuelle ; parlant de peinture, Balzac se fait peintre à son tour, tellement son écriture donne fortement à voir. En s’emparant de cette parole ostensive, Catherine peint ou dessine elle-même impérieusement de ses lèvres, de ses doigts (qui semblent disséquer l’air) plusieurs tableaux convaincants. Le conte de Balzac anticipe ainsi la rêverie ou la leçon formulée par Mallarmé dans Crise de vers, « Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus,  musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets ».

Lire un texte littéraire au fond, c’est croire au pouvoir démiurgique des mots, à leur incantation. Et c’est le poète, ou mieux encore l’acteur au théâtre qui matérialisent ou réalisent cette croyance : une énonciation bien placée, enchâssée dans un corps sinueux, svelte et virevoltant, fait advenir sous nos yeux (nos oreilles) ce qu’elle dit. Entendons-nous : il ne suffit pas de dire pour faire, et toute la théorie des « actes de langage », ou des paroles performatives laborieusement proposée par John L. Austin, se vérifie au théâtre (dont il parle à peine) ; sous certaines conditions  en effet (de visibilité, de mise en scène) le miracle opère, les mots ne décrivent plus un état préexistant du monde mais ils instaurent un nouvel état, ils nous le jettent en pâture ou à la figure – pour un moment. Faire avec des mots, ce pourrait être une définition de la magie, abracadabra… Cette magie n’étonne pas l’amateur ou le faiseur de théâtre, elle y renaît chaque soir, où elle touche aux mêmes ressorts que le jeu de l’enfant, les paroles entre amoureux ou celles, sacramentelles, du prêtre ou du sorcier…

Balzac il me semble tourne autour de ce pouvoir réalisateur des signes, ici deux fois enchâssés sur eux-mêmes : Frenhofer par ses traits de pinceaux rapides et surnaturels fait advenir aux yeux de Porbus et de Nicola Poussin le surgissement et la présence vivante de Marie l’Egyptienne ; mais ce sont les mots de Balzac qui nous font assister et adhérer à la scène : le contrat de lecture est mis en abyme par le regard des peintres sur la toile, comme au Théâtre Essaïon (troisième déclinaison du spectacle), nous croyons aux paroles véhémentes et aux mimiques de Catherine.


Photo Jean-François Delon

Le tableau plus particulièrement désigné comme « Le chef d’œuvre inconnu », dérobé aux regards et enfermé dans son atelier par Frenhofer, qui s’en réserve l’unique (et délirante) jouissance physique, figurait un portrait de Catherine Lescault, une illustre courtisane nommée aussi « La belle noiseuse ». La noise en vieux français, c’est la querelle, mais en anglais c’est le bruit, soit le désordre au sens cybernétique du terme. Je n’ai pas un grand souvenir du film de Rivette qui portait ce titre, ni de son couple formé de Michel Piccoli et d’Emmanuelle Béart ; je sais que sous ce titre aussi, Michel Serres a écrit de belles pages sur les relations contradictoires et complémentaires de l’ordre et du bruit, pour toute organisation vivante, ou psychique, ou artistique. « Order from noise » est un de ces axiomes qu’on enseigne comme le b.a-ba de la cybernétique, ou des nouveaux paradigmes de l’organisation.

Ici, sur la toile si longtemps cachée, si longuement travaillée de Frenhofer (dix ans de reprises et de repentirs !), l’amas informe des taches et des lignes accouche, dans le bas du tableau, d’un pied délicieux ; à moins que ce pied ne soit en instance de retour au chaos visuel dans lequel, éperduement, Frenhofer cherche à capter la source vive de toute figuration. Imaginez Kandinski, ou Pollock, retouchant un Titien, quelle correction ! C’est un peu ce qu’avec un siècle d’avance Balzac, méditant sur les voies du peindre, anticipe : le basculement de la figure dans l’art abstrait au nom d’un concept générique, génétique de l’art : l’artiste n’a pas à représenter mais à exprimer ; il doit se détourner de toute figure tirée de la nature naturée pour s’attaquer à la nature naturante, à la danse brownienne des atomes, aux entrelacements capillaires des sèves, aux miroitements des lymphes et des plasmas. Plus fort que les nymphéas, par lesquels Monet descend aux limons, aux fonds nourriciers sous toute figure, Frenhofer plonge avant lui à la recherche d’une source idéale de la vie. Idéale : cette peinture se dérobe à la vue, mais voudrait toucher aux secrets de la création, s’égaler au créateur, à Prométhée, à Dieu ! Ou du moins au spirituel en nous, à ces forces natives, ces connexions mentales que Kandinski opposait aux « ordures de l’extériorité ».

Ou, pour caractériser autrement ce triomphe du sujet sur toutes formes ou sortes d’objets : il est arrivé vers la fin du dix-neuvième siècle que le romantisme, qui signifiait la prise de pouvoir de l’individu avec ses passions, ses traits singuliers, sa folie virtuelle, nous détourne de la représentation des belles formes, pour baptiser beau l’effort inverse de l’invention, de la projection de soi dans des giclées, des pulsations, des rythmes, des mouvements détachés de toute figure. Le fond, un certain fond(s) remonte à la surface ou au plan de composition. Voir devient une danse, une transe par laquelle Frenhofer, qu’on peut en effet traiter de fou, croit s’unir plus étroitement avec sa maîtresse la toile.

Balzac en d’autres termes annonce dans ce petit conte daté de 1831 le virage de l’art abstrait, soit d’une peinture où les forces ont remplacé les formes, où la matière et le fond dominent, ou l’imagination, le rêve, les visions ou les hallucinations, en un mot la projection plus ou moins délirante des facultés de son corps constituent le moteur par excellence de la création artistique, non plus secondaire (imiter, à quoi bon ?) mais expressive, ou primaire.

Vous trouverez tous ces mots dans la bouche de Frenhofer, donc sous la plume de Balzac, génial observateur des mutations de son époque. Que cette histoire se termine en catastrophe pour son principal protagoniste n’étonne pas ; trop seul, Frenhofer avait quelques décennies d’avance. Voici aujourd’hui ce petit chef d’œuvre de critique esthétique porté au théâtre, logé dans la bouche et le corps d’une femme qui concentre, dans le melting pot d’une heure quinze, toute cette réflexion, et tant de passions !


Photo J-F Delon

Grâce à Catherine et Michel, la peinture mais aussi ce théâtre méritent plus que jamais d’être appelés, comme disait Vinci, cosa mentale.

(Les dimanche, lundi et mardi au théâtre Essaïon, 75004)

6 réponses à “« Le chef d’œuvre inconnu » au Théâtre Essaïon”

  1. Avatar de Aurore
    Aurore

    Bonjour!

    En ce conte fantastique, je retiens cette phrase : « La mission de l’art n’est pas de copier la nature mais de l’exprimer »

    Puis, relisant « L’Hermaphrodite » de Michel Serres, je trouve ce passage, page 87 :

    « Le chef d’œuvre inconnu suscite Aphrodite comme précognition de l’œuvre, née de la palette, issue du bruit nautique »

    Ce sont là choses littéraires et l’on pourrait jusqu’à demain matin déployer les références.

    Reste la blanche sirène dans les abysses de son lac obscur…Où trouver la clé pour l’en faire issir?

    Aurore

  2. Avatar de JFR
    JFR

    Mon commentaire
    Le chef d’oeuvre inconnu d’Honoré de Balzac laisse le lecteur perplexe et presque dans le désarroi. Que penser de l’échec tragique du peintre Frenhofer ? Dans un accès de folie, il brûle ses tableaux, détruit son oeuvre puis se donne la mort. De grands écrivains, des poètes, ont failli suivre son exemple. On frissonne devant l’élan créateur du peintre, le vacillement identitaire du poète, devant les dangers de la création.
    Pendant dix ans, écrit Balzac, Frenhofer avait poursuivi en secret l’édification d’un chef d’œuvre. La création d’une femme dont il ne souhaitait pas reproduire l’image, mais à laquelle il voulait donner vie à travers une représentation. Il se devait de réussir ce chef d’œuvre absolu, cette création parfaite, pure image de la Beauté. Pygmalion, Prométhée, sont convoqués, dans la nouvelle de Balzac, pour décrire cet exploit, en saisir également le caractère transgressif. Sur la toile du peintre, un corps parfait, ineffable, sublime, devait apparaître comme une création divine. Zeuxis avait réussi à leurrer les oiseaux qui venaient du ciel picorer ses cerises peintes sur une assiette, Parrhasios avait encore fait mieux avec un tableau imitant une tenture que ses juges allaient pouvoir tirer, mais ces peintres ne cherchaient qu’à imiter la Nature. Frenhofer, lui, voulait donner un corps mais aussi une âme à son modèle. Il voulait participer à l’œuvre divine, donner réellement la vie. Découvrant la paternité, le père Goriot s’écrie : « Quand j’ai été père, j’ai compris Dieu. Il est tout entier partout puisque la création est sortie de lui ». L’orgueil de la création est immense, mais cette puissance souveraine, cette ubris, est aussi illusion et Lear après avoir doté puis perdu ses filles sombre dans la folie.
    « Parce que vous regardez de temps en temps un femme nue, vous croyez avoir imité la nature, vous vous imaginez être des peintres et avoir dérobé le secret de Dieu », déclare Frenhofer dans la nouvelle de Balzac. A l’imitation de la nature, il préfère « la flamme céleste », « le flambeau de Prométhée ». L’évocation de Prométhée éclaire toute la démarche. En dérobant le feu aux dieux de l’Olympe, Prométhée avait pour but de donner la vie aux hommes. Cependant, en se voulant l’égal des dieux, en se laissant dépasser par cette ubris, Prométhée se voit condamné. Puni par Zeus, il est enchainé sur un rocher, le foie dévoré par un aigle. Gaston Bachelard a rapproché le mythe de Prométhée de la démarche conquérante d’Œdipe. Pour lui, le complexe de Prométhée est le complexe d’Œdipe de la vie intellectuelle. Il est défini comme le jeu des « tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres ». Nicolas Poussin deviendra un grand peintre après la mort de Frenhofer et de son maître Mabuse.
    Frenhofer n’avait jamais voulu montrer son chef d’œuvre inconnu. Personne n’avait pu en voir ni les prémisses ni les premiers contours. Les termes qu’il emploie pour parler de son tableau sont éloquents. « Comment s’écria-t-il, montrer ma créature, mon épouse ? Déchirer le voile sous lequel j’ai chastement couvert mon bonheur ? Voilà dix ans que je vis avec cette femme, elle est à moi, à moi seul, elle m’aime. Elle a une âme, l’âme dont je l’ai douée… Ma peinture n’est pas une peinture, c’est un sentiment, une passion », déclare-t-il à Porbus pour se justifier. Cette peinture « ce n’est pas une toile, c’est une femme ! une femme avec laquelle je pleure, je ris, je cause, je pense…. Veux-tu que tout à coup je quitte un bonheur de dix années comme on jette un manteau. Que tout à coup je cesse d’être père, amant et Dieu ? Cette femme n’est pas une créature c’est une création ». Goriot illuminé par la passion paternelle ne dit pas mieux.
    Après que Nicolas Poussin ait consenti que sa maitresse pose, nue, devant Frenhofer pour achever sa toile, celui-ci l’invite enfin à regarder son oeuvre. Mais qu’elle n’est pas alors la stupéfaction du jeune peintre… A la place de la créature divine, n’apparait qu’un brouillard informe. Seul un pied nu sort de ce chaos de couleurs. « Ce pied apparaissait là comme le torse de quelque Vénus en marbre de Paros qui surgirait parmi des décombres d’une ville incendiée ». Frenhofer meurt dans la nuit après avoir brulé toutes ses toiles.
    Seul un pied magnifique de femme était donc perceptible sur la toile. Cet élément qui n’est pas commenté par Balzac interroge le spectateur. Pourquoi ce pied si admirable occupe-t-il donc la scène ? Pourquoi ce pied visible à la place d’un corps qui se dérobe au regard ? La nouvelle de W.Jensen, Gradiva, fantaisie pompéienne, commentée par Freud, nous en donne peut-être l’explication.
    Gradiva, est un bas-relief antique dont un fragment est conservé au musée Chiaramonti au Vatican. Le pied droit de la jeune femme apparait nu dans une sandale et ne fait qu’effleurer le sol. La main gauche, ramenée sur la hanche, rythme le pas de la danseuse, tandis que la droite retient l’étoffe créant un faisceau de plis qui rayonnent sur la partie inférieure du corps. D’emblée Norbert Hanold, le héros de la nouvelle de Wilhelm Jensen, est fasciné par la démarche de la jeune fille. Il ira la rechercher jusque dans les ruines de Pompéi. Mais qu’y va-t-il trouver ? Une figure féminine, Kein Frau, Virgo, la Vierge qui est aussi la Mère… Entre fille et femme, entre humaine et surnaturelle, entre ici et là-bas, entre romaine et grecque, le texte souligne que la séduction réside dans le mouvement, la démarche, Gradiva, celle qui avance… C’est ce que matérialise le pied droit du bas-relief, ancré et en partance, remarque Jean Bellemin-Noël dans son livre Gradiva, au pied de la lettre. Le talon s’envole, terrestre et déjà aérien. Posé-parti, présent-absent. Énigmatique…
    Vingt ans après son travail Le délire et les rêves dans la Gradiva de W. Jensen, Freud publie un article consacré au fétichisme. C’est à partir du corps visible et de la différence anatomique des sexes que l’enfant va apprendre à reconnaitre la catégorie du manque. La reconnaissance de l’absence de pénis de la mère (« la castration » pour Freud) ouvre à la catégorie de l’absence, de la négation, de la disparition, de la mort. L’absence de pénis chez la femme devient le prototype de toute perte, de toute séparation, à commencer par la coupure avec la mère. Le fétiche pour Freud est donc le substitut du phallus de la mère auquel l’enfant ne veut pas renoncer. Le pied de la Gradiva, comme le pied qui apparait dans le tableau de Frenhofer, apparaissent comme les seuls éléments érotiques du corps d’une femme inaccessible. Celle-ci fait son apparition dans les rêves et le délire de Norbert Hanold pour mieux disparaitre au milieu des ruines de Pompéi (une ville incendiée, écrit Balzac), elle disparait avec le peintre dans l’holocauste qui suit le dévoilement de son chef d’œuvre dans la nouvelle de Balzac, Le chef d’œuvre inconnu. Le pied, le fétiche ou l’impossible séparation d’avec la mère… Frenhofer ne peut se séparer de la belle Noiseuse. Il ne peut la retrouver que dans la mort. Que serait devenue l’œuvre d’Aragon après l’holocauste de La Défense de l’infini, s’il avait réussi son suicide à Venise ?

  3. Avatar de Guillaume Bardou
    Guillaume Bardou

    Dans l’absolu, les cerises peintes sur une assiette de Zeuxis ne peuvent pas avoir été plus réalistes que ce qu’on peut faire aujourd’hui. dans le relatif, si l’anecdote dit que les oiseaux étaient leurrés, on comprend avec un minimum de sens critique que l’anecdote est une légende, et avec un peu d’inspiration qu’elle était là pour signaler la force évocatrice de la peinture dans la culture populaire de l’époque.

    Est-ce que la culture peut se farder pour séduire la nature ? C’est un sujet de discussion

  4. Avatar de Anetchka
    Anetchka

    Mon commentaire
    Magnifique commentaire- comme toujours – très ample et percutant- de Daniel Bougnoux . Et beau texte de JFR à sa suite, qui donne un éclairage sur certains aspects de la pièce, ou plutôt de la nouvelle, brillamment et subtilement ici transposée au théâtre, avec le fil conducteur de la la Gradiva, cette figure qui a jalonné son parcours de psychanalyste – Le spectateur n’y aurait peut-être pas pensé spontanément. Et le fil conducteur de divers mythes, évidemment présents pour le spectateur découvrant l’écrit de Balzac.
    J’y vois bien la lutte créateur-créature, l’illusion de l’ubris et la désillusion qui s’ensuit. J’y vois bien l’amour fou, mais allant uniquement dans le sens de l’irréel, d’une quête de l’amour parfait, capté, puis capturé, pour soi seul, non dévoilé sous peine de perte. Et non d’un amour à la fois incarné et mystique tel qu’il se révèle dans le Cantique des Cantiques, d’une intensité folle et célébrée aux yeux du monde terrestre et des sphères célestes. C’est bien différent. Les mots sont trompeurs, les référents tellement autres…
    A mes yeux donc, Balzac met au jour un Golem d’amour, un être magique et inconnu de l’homme, mi-homme mi-Dieu, aux potentialités vertigineuses, une créature-création qui échappe à son créateur, et vise fatalement à sa destruction.
    Mais il n’en reste pas moins que vos développements permettent de mieux connaître certains pans dissimulés de ce tableau « beau et sublime » comme dirait Kant.
    Qu’on peut voir aussi comme chimiquement en sublimation!

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui Anetchka, Toutes ces pistes de lecture et de réflexion sont bien présentes dans le beau spectacle d’une heure quinze visible à Essaïon, il faudrait vraiment que le public se mobilise, et que des scolaires en particulier prennent ainsi conscience de la beauté de Balzac, du théâtre, de la mise en scène, toute une pédagogie à la fois simple et riche… Un théâtre qui donne à penser, ce n’est pas si fréquent !

  5. Avatar de m
    m

    Bonsoir!

    J’ai lu avec plaisir, vraiment, le billet et les commentaires qui suivent.

    C’est vrai que ça donne à réfléchir tous ces mots, mais peut-on encore penser en ce monde qui devient insupportable pour beaucoup de gens qui vivent des fins de mois difficiles, et qui n’ont pas un ducaton en poche pour se payer une place de théâtre? Tous ces millionnaires de plateaux de télévision, censés défendre la veuve et l’orphelin, tous ces beaux parleurs qui n’ont que le mot « culture » à la bouche, que font-ils vraiment pour que ça change?

    Un fin commentateur pose la question de savoir si la culture peut se farder pour séduire la nature?

    Sacrée question en effet, à laquelle un peintre de campagne va peut-être répondre, bientôt, en quelque recoin agreste du côté de Sainte-Soline.

    Par-delà nature et culture, Monsieur Descola, du haut de sa chaire universitaire, peut entendre les cris du bûcheron de Rabelais réclamant sa cognée, à l’intérieur des terres…Passer le message à qui de droit, c’est une autre histoire, quand la cognée en question n’est pas une hache de guerre!

    Dans la forêt des mots de ce beau billet, j’ai trouvé cette phrase dans les commentaires :

    « Frenhofer n’avait jamais voulu montrer son chef d’œuvre inconnu. Personne n’avait pu en voir ni les prémisses ni les premiers contours. Les termes qu’il emploie pour parler de son tableau sont éloquents. » (Fin de citation)

    Le mot « prémisses » est utilisé, à bon escient sans doute, mais pour quelle conclusion?

    Chez Orazio Gentileschi, par exemple, la prémisse est retenue par l’index tendu au tableau de l’Annonciation…Nous connaissons la suite.

    Suffit-il d’ajouter un H à Gradhiva, tel Monsieur Leiris, pour nous comprendre un peu mieux dans la complexité humaine?

    Alors, comment prendre son pied, comme ils disent, en tout ce fatras littéraire?

    Monsieur Cohen, écrit :

    « Il y a une transcendance du pied, c’est certain car nous prenons cette magnifique création qu’est la femme à partir de sa base, de son support de son ressort et nous nous émerveillons. »

    Et Michel Serres de trouver chaussure à son pied dans un conte de fées, la pantoufle de vair, en son essai sur la philosophie des corps mêlés.

    Ce qui sied à merveille, ce qui est exact. « Elle est rouge la petite fleur bleue » (Gaston Bachelard au chapitre sur « Le complexe de Novalis » dans « La psychanalyse du feu »)

    Tout cela c’est dans les livres mais, dans le taillis, où trouver l’appeau capable d’attirer la beauté adamantine, cachée sous les oripeaux de la misère sociale?

    Répondez, Mesdames, Messieurs les intellectuels!

    Rideau

    m

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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