Shakespeare, la scène, l’obscène

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Portrait de John Florio en frontispice de

Queen Anna’s New World of Words (1611)

L’énigme de l’identité de Shakespeare, pseudonyme (peut-être) de John Florio, maranne d’origine italienne né à Londres en 1553, a beaucoup occupé ce blog, à la suite de la rédaction de mon livre paru en 2016 aux Impressions nouvelles, Shakespeare, Le Choix du spectre. Et je me demandais depuis quelques mois comment cette affaire, honnie des Stratfordiens (les tenants de l’orthodoxie), allait redémarrer : une mèche lente a certes été allumée depuis le livre de Tassinari John Florio alias Shakespeare (Le Bord de l’eau), suivi de divers articles parus dans Le Monde ou, récemment, de la pièce de théâtre de Chaunes, Le Vrai Shakespeare , mais ces coups de sonde pour percer l’identité mystérieuse du Barde n’ont pas vraiment permis d’instaurer le doute général (qui a mes yeux s’impose), pas suffi à dynamiter la statue usurpée du héros national.

D’où allait venir la reprise d’élan, qui jouerait le coup suivant ? Et comment rebondir ?

Un ouvrage vient de paraître, que je ne lis pas sans stupéfaction, Shakespeare pornographe, Un théâtre à double fond par Jean-Pierre Richard (éditions Rue d’Ulm 2019). Ce livre renversant démontre en effet qu’on n’a toujours lu Shakespeare qu’à moitié, qu’on ne l’a joué qu’amputé ou castré sur nos scènes. Que son texte, à vrai dire, demeure intraduisible car son auteur (quasiment à chaque page) l’a profondément crypté, méticuleusement surcodé par un lacis, un embrouillamini ou une résille d’allusions grivoises, paillardes ou à la lettre obscènes – proférées sous la scène, mais parfaitement reçues par un public avide d’interpréter, de sous-entendre et de rire, en marge ou aux dépens de l’intrigue manifeste… On ne saurait, prévient J.-P. Richard dès ses premières pages, lire ou mettre en scène Shakespeare avec un esprit assez mal tourné, tellement ses pièces fourmillent d’allusions ou de traits propres à combler le goût que chacun nourrit, in petto, pour les choses du sexe. Toute interprétation qu’on en donnera à la lecture ou à la scène restera édulcorante, lénifiante ou platement bienséante, confrontée aux énormités que le texte n’arrête pas de chuchoter aux bons entendeurs.

Thomas Ostermeier

À cet égard, une mise en scène comme celle de La Nuit des rois au Français par Thomas Ostermeier (retransmise en février dernier dans les cinémas Pathé-Gaumont) n’avait rien d’offusquant : Denis Podalydès vêtu d’un simple cache-sexe pour jouer le duc Orsino, ou le bouffon-butor André Fièvrejoue (Andrew Aguecheek) exhibant de temps en temps sa bite, c’était le minimum requis pour respecter à la lettre les sous-entendus on ne peut plus graveleux proposés au public, jusque dans les péripéties apparemment les plus chastes. Mais ce sous-texte salace tissé de jeux de mots, d’homonymies ou d’homophonies, de détours par les racines françaises ou latines de l’anglais passe mal en traduction, et se trouve nécessairement perdu.

Denis Podalydès dans La Nuit des rois

Toute une face cachée du texte de Shakepeare enfin exhumée, quelle  aubaine, quelle trouvaille ! Qu’on en juge par la visite de Viola à la comtesse Olivia au premier acte de La Nuit des rois (je recopie les pages 92-93 de J.-P. Richard) : « habillée en garçon, elle s’y rend sous le nom de Cesario page du duc Orsino, qui est impatient d’obtenir les faveurs de cette jeune veuve :

LE DUC : (…) reste planté devant sa porte. Et dis-leur que ton pied, ayant pris racine, poussera là jusqu’à ce qu’on t’ait donné audience. (…) stand up at her doors, / And tell them thy fixed foot shall grow / Till thou have audience.

Dans le dos du dramaturge, le pornographe opère un transfert du duc à son page, chargé de coïter avec Olivia, par anticipation et par procuration. La métaphore végétale laisse assez entendre que le pied (foot)/ le sexe du garçon, déjà bandé (stand) devant les portes vaginales de la veuve, enflera (grow) encore jusqu’à ce qu’il soit fiché (fixed) en elle et qu’elle l’ait engainé (audience/hearing) car tel est bien l’enjeu secret de ladite « audience ». Avec ce jeune gentilhomme (gentleman c’est-à-dire genitalman, répété cinq fois), planté devant la porte (mentionnée quatre fois), raide comme un poteau et désireux de parler (speak répété sept fois) avec Olivia, c’est le phallus (one) en personne qui frappe au con (gate) de la comtesse. Cesario arrive escorté de domestiques, well-attended ce qui confirme qu’il a un sexe bien tendu (-tend-/latin tenta, « membre viril »). Le jeune homme va-t-il réussir à entrer chez Olivia / à entrer en elle et à lui parler (speak/ à éjaculer) ?

Le pornographe fait durer le suspense sur plus de soixante-cinq lignes. Enfin débute la seconde phase, celle du franchissement des portes et du passage à l’acte :

OLIVIA : A coup sûr vous avez quelque chose d’affreux à me dire (…) Enoncez votre message. Sure you have some hideous matter to deliver.(…) Speak your office.

VIOLA/CESARIO : Il ne concerne que votre oreille. It alone concerns your ear.

En le sommant d’énoncer son message, la veuve le presse d’accomplir son devoir d’homme (office) jusqu’à éjaculer (speak), lui qui, vu toutes ces précautions oratoires, doit avoir des choses effroyables à dire (hideous matter to deliver) / une énorme quantité de sperme à éjecter (deliver), destinée effectivement à l’oreille de la comtesse / à son vagin (ear).

OLIVIA : Qu’il approche ! (…) Parlez-moi (…) Que voulez-vous ? (…) Etes-vous comédien ? si vous avez votre raison, soyez bref : pour moi je ne suis pas assez lunatique pour tenir ma partie dans un dialogue aussi échevelé. (…) Let him approach ! (…) Speak to me (…) Your will ? (…) Are you a comedian ? (…) if you have reason, be brief : ‘tis not that time of moon with me to make one in so skipping a dialogue.

Sans plus tarder, la comtesse accepte que le visiteur la mette en perce (approach). Elle exige qu’il lui parle (speak) /qu’il éjacule. S’il est en érection (reason), qu’il passe à l’acte ! Elle désire savoir ce qu’il veut (will) / désire de lui son membre (will). Sans s’en rendre compte, elle pousse le jeu très loin : en ce moment elle n’a pas ses règles (not that time of moonwith me) et compte profiter pleinement du phallus (one). Cela tombe bien car excité comme il est, Cesario ne veut qu’une chose : continuer son discours (proceed in my speech) / expulser sa semence (pro+seed / proceed ) ; le fait alors qu’Olivia lui demande s’il est comédien donne facétieusement à penser aux spectateurs que le métier d’acteur relève de l’ensemencement. Elle n’est pas encore tombée follement amoureuse de Cesario, qu’ils font déjà l’amour : en même temps que le texte met en scène un amour naissant, le sous-texte en dit comiquement la consommation. La pornographie anticipe sur l’action dramatique. »

La Nuit des rois  salle Richelieu

Abrégeons notre recopiage, car ces jeux égrillards qui ne doivent rien au hasard (ni de la part de J.-P. Richard à une écoute obsédée) continuent, et courent sur des pages entières qu’il faudrait citer : l’effet de preuve naît en effet de l’accumulation, « Shakespeare » a écrit deux textes emboîtés, et le résultat est confondant.

Aïe, ce dernier mot me fait moi-même entrer dans la danse !

La danse, la gigue, le branle, c’était on le sait la conclusion qui achevait les représentations du Globe, ce théâtre avait pour horizon d’attente la débauche ou la fornication. Ou, pour le dire plus sobrement, la danse du signifiant.

D’un signifiant ou de chaînes de mots rebelles à la ligne droite et aux interprétations policées ; ces irruptions graveleuses sont énergumènes, tant elles vont à l’encontre du vouloir-dire conscient des locuteur eux-mêmes, pris au piège ou emportés, embarqués malgré eux. Souvent, remarque Richard, le texte explicite est dramatique (le cadavre de Jules César), ou amoureux (Roméo et Juliette, pièce plus fertile qu’on ne croît en sous-entendus obscènes), ou mondain (le langage de Desdémone devant Iago ou devant Othello son seigneur et maître, qu’elle aime passionnément) ; la tragédie dans ce dernier cas est de voir la chaste jeune fille débiter à son insu, ou à son corps défendant, des saletés sexuelles qui justifieront pleinement, au tournant de l’acte III, que le More la considère et la traite en putain, sans avoir besoin des insinuations du « traître » Iago : le langage à lui seul opère la trahison en chargeant de bestialité les mots qu’on dirait les plus purs.

Comment « Shakespeare » a-t-il travaillé ? Avec quelle conscience insensée, parfois délirante du foisonnement des vocables, de leurs embranchements, leurs tête-à-queue, leurs contaminations étymologiques ou interlinguistiques ? L’homme qui a codé ces extraordinaires mots croisés, jusqu’ici largement inaperçus de nos cntemporains, n’était-il pas lui-même un fou de langues ?

Nullement un obsédé sexuel, comme un diagnostic hâtif conclurait en refermant ce livre ; mais un linguiste-psychanalyste avant la lettre, bien digne d’intéresser Lacan, Derrida ou Julia Kristeva. Un auteur assez amoureux du théâtre pour savoir que celui-ci repose sur les jeux du caché avec le montré, de la scène avec l’obscène, à tous les sens du terme. Qu’on a raison à son époque de tenir en suspicion les comédiens, sortes de valets dépravés puisqu’ils trafiquent sur les planches et font commerce des identités, donnant des garçons pour des filles, des bouffons pour des rois et des vociférations verbales pour argent comptant. Que le théâtre est aussi un bordel, proche de la fosse aux ours dépecés par les chiens et des tavernes interlopes où les nobles viennent s’encanailler en parlant une langue de charretiers…

De sorte que le sous-texte mine le texte, qu’un sens latent et à peine refoulé ne cesse de contaminer le sens manifeste d’intrigues dotées par ailleurs d’une portée morale élevée, de réserves philosophiques doctement discutées. Comme Rabelais, « Shakespeare » ne cesse de déconstruire par le rire et la paillardise le sérieux de son propre ouvrage ; de ridiculiser en nous comme chez ses contemporains le camp toujours renaissant des puritains.

Ce vertige inconvenant du théâtre, cette boue ou ce bordel des identités, « Shakespeare » les a portés à un degré plus fort encore qu’on ne le soupçonnait avant la publication de ce livre. Le travail de J.-P. Richard développe celui de Frankie Rubinstein, A Dictionary of Shakespeare’s Sexual Puns and their Significance (1984) demeuré inédit chez nous ; une pareille approche pourrait conduire à douter de l’identité du Barde, mais notre savant et scabreux scoliaste n’en souffle mot, et préfère respecter le masque, sans jamais citer Florio (mask, un mot fréquent sur ce théâtre où il désigne aussi la putain). Que conclure de tout ceci, qu’en penser ?

Qu’il fallait, pour se lancer dans les jeux d’un pareil verbier (je pense à Torok/Derrida sur celui de « l’homme aux loups »), avoir un tel amour des langues dans leur vivacité, leurs abîmes ou leurs double-fonds que je ne vois qu’un homme disposant de cette énergie mise au service de cette passion : John Florio, l’auteur polyglotte (il parlait sept langues) de A New World of Words, épais dictionnaire compilant vingt ou trente-mille mots italiens à l’usage du public anglais.

Il nous faudrait aujourd’hui, hélas ! l’ouvrage inverse, d’un Florio traquant à l’intention de ses condisciples italiens les usages propres et figurés (notamment dans l’argot sexuel) des mots anglais. Pourquoi un érudit de la langue italienne, Lamberto Tassinari par exemple, ne se mettrait-il pas à l’ouvrage en cherchant dans ce gros volume l’équivalent des mots tels que spirit, to speak, case, parting, to knock, course, ear/hearing, noting, will, stuff, etc., pour ne rien dire des allitérations ou homophonies comme reason/arise suggérant l’érection…, tous pointés par Richard et qui prendraient en italien les mêmes flexions ou doubles sens ?

Ce balisage, même rapide, d’une pornographie peut-être latente dans Queen Anna’s New World of Words nous aiderait à rapprocher Florio de Shakespeare. Je me suis procuré auprès d’un libraire américain et pour une somme assez modique son édition originale (qui, si elle était de « Shakespeare », vaudrait tellement plus cher). Datée de 1611 et dédiée à la femme de Jacques 1er, elle comporte pour la première fois le beau portrait de John Florio en frontispice.

Je tiens cette pièce de collection à la disposition du chercheur qui voudra faire avancer ce débat.

(à suivre)             

18 réponses à “Shakespeare, la scène, l’obscène”

  1. Avatar de Lamberto Tassinari
    Lamberto Tassinari

    Mon commentaire
    Cher Daniel,
    Superbe billet ! Comment est-t-il possible que Jean-Paul Richard et les autres stratfordiens ne s’aperçoivent qu’il ne pouvait pas exister en même temps à Londres deux génies du verbe, dont un était un directeur de troupe issu de la province et sans éducation formelle et l’autre un linguiste consommé, un érudit polyglotte, un migrant transculturel, le traducteur de Montaigne et de Boccaccio ? C’est quoi qui les aveugle ? Quoi leur empêche de voir que le maniaque du verbe, le génie de la parole était un, et un seul ? Les jeux de mots de « Shakespeare » c’est du jeu dans le sens le plus radical, le plus profond : «the great feast of languages» est l’œuvre de John Florio, il l’a démontré, d’ailleurs: ce linguiste oublié, minimisé par la critique depuis des siècles a inventé 1200 mots anglais et à Shakespeare en sont attribués 1508 par le Oxford English Dictionary! Pour les siècles du XV au XVII, Shakespeare est le premier et Florio le quatrième après Caxton et Cotgrave. Et si l’on considère les mots inventés par le linguiste et le dramaturge force est de constater qu’ils se ressemblent terriblement : même méthode, même style, même génie.

    Une piste dans la piste : n’oublions pas que le déclencheur chez Florio du désir d’être un « shake-speare » a été la fréquentation et l’ amitié de Giordano Bruno qui a été son roomate pour plus de deux ans à l’ambassade de France à Londres, de 1583 à 1585. Dans l’un de ses ouvrages sur Bruno, Frances Yates note :
    « Il faudra une approche entièrement nouvelle à la question de Bruno et Shakespeare. Car le problème est très profond ; il devra inclure l’étude, par rapport à Bruno, de l’immense préoccupation de Shakespeare pour une langue signifiante, une langue qui “capture les voix des dieux” – pour emprunter à Bruno l’une de ses merveilleuses expressions –, plutôt que d’utiliser une langue pédante ou vide. »
    Merci de m’inviter à ce défi linguistique, je m’attellerai à la tâche…bientôt.

    Ad maiora,

    Lamberto Tassinari

  2. Avatar de Fabrice Collot
    Fabrice Collot

    Mon commentaire Quel passionnant billet et quelle piste prometteuse! Décidément, depuis le « John Florio alias Shakespeare » de M. Tassinari et votre propre « Shakespeare : Le Choix du Spectre », les indices ne cessent de s’accumuler et de converger vers la personne de John Florio pour en faire un candidat enfin vraisemblable à la paternité des oeuvres de Shakespeare (Diana Price, dans son brillant « Shakespeare The Unorthodox Biography », hélas non encore traduit dans notre pays, avait déjà bien montré comment William Shakspeare de Stratford-upon-Avon ne pouvait être l’auteur de ce génial corpus).
    Avant même de relever dans les oeuvres de Florio des traces de ces mots et expressions à double sens qui font de Shakespeare, d’après ce nouveau livre de Jean-Pierre Richard, un « pornographe, » il est intéressant de noter que Giordano Bruno avait fugacement suggéré que son ami John Florio était un écrivain qui prenait plaisir aux double-sens salaces de la langue. Dans son « De la Causa, Principio et Uno, » Bruno a représenté John Florio sous le nom d’ »Elitropio », qui figure dans ces dialogues philosophiques comme une sorte de disciple de Bruno (dans les notes de l’édition des Belles Lettres, il est rappelé que la devise de John Florio comporte précisément le « tournesol » et que « Elitropio est, étymologiquement, la « fleur qui se tourne vers le soleil » nouveau de la philosophie brunienne »).

    Or Bruno fait dire ceci à Elitropio / Florio :

    « Cossi chi sa se tutta la felicità e vera beatitudine consiste nelle debite copulazioni et apposizioni de membri de l’orazioni? »

    Voici la traduction de cet extrait en français par Luc Hersant (p.90-91, Edition Les Belles Lettres, 2016) : « De même, qui sait si tout le bonheur et la vraie béatitude ne consistent pas à accoupler et apposer comme il faut les membres de la phrase? »

    Membres, accouplements, jouissance de l’écriture… n’y a t-il pas là comme un portrait miniature de « Shakespeare / Florio pornographe, » dépeint par le philosophe nolain en personne?

    Bien à vous,

    Fabrice Collot

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Merci Fabrice, de ce rebond très positif ! Je crois en effet que le livre de J.-P. Richard, très peu médiatisé à ma connaissance, est une bombe, au-delà de ce que son auteur pense avoir fait…, et que cela peut relancer « Florio » … J’ajouterais, en réponse à vos suggestions, que la question n’est pas tellement de savoir si Florio exprimait libéralement une vie sexuelle assez riche, mais de faire porter l’accent sur l’incroyable polyphonie, proprement carnavalesque, les décrochements de plans, l’ironie profonde de ces crocs-en-jambe tendus aux lecteurs, et aux interprètes… La construction jubilatoire par Florio d’un grimoire d’une folle complexité de tons, le défi verbal ou linguistique que cela suppose – car en surface il poursuit une intrigue bien codée. La provocation, la déconstruction partout à l’œuvre, l’élégance mêlée à la plus extrême grossièreté, l’élévation de pensée et la pulsion érotique partout dénudée, qui donne son énergie à la langue… Quelle admirable mécanique !

  3. Avatar de JFR
    JFR

    Mon commentaire
    Merci pour l’ob(scène). La démonstration est convaincante. Et « Le Songe d’une nuit d’été » alors…. Love at first sight. La folie du désir amoureux… Nick Bottom, le baise-cul (et non pas Navette). Bottom, le cul qui se transforme en ass, en âne. L’âne au membre bien connu, long comme une cinquième patte. Et Puck dont le nom sonne comme un condensation de fuck et de prick qui signifie, percer, trouer, baiser… Bottom c’est le fond, le bas ou l’assise mais aussi siège, couilles, cul et culotte…. L’âne-cul Bottom dont tombe éperdument amoureuse la reine Titania. La Reine, zoophile, aime un animal bien monté pour jouir de la puissance sexuelle la plus forte. Titania qui se refuse à Oberon, aime incestueusement un page et voit se transformer son amour conjugal en amour anal, la rendant folle de désir pour un âne (« âne bien pourvu », « bander comme un âne »)- Thésée a triomphé du Minotaure, fruit des amours de Pasiphaé et d’un taureau. L’analité supprime la différence des sexes et donc l’ordre de la nature… « Et ce mur se perçait, je vous prie de le croire d’un trou en forme ce crevasse ou bien de fente par où les amoureux, Pyrame et Thisbé, chuchotaient leur amour dans le plus grand secret… Et que voici la fente par où vont chuchoter les craintifs amoureux… » Le Songe, la plus érotique pièce de Shakespeare, écrit Jan Kott cité par André Green….

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui, « Le Songe » plus qu’aucune autre pièce touche à la bestialité, chose infiniment troublante…

    2. Avatar de Daniel Bougnoux

      « Le Songe » pièce érotique par excellence ??? Tu renforceras beaucoup cette intuition, cher JF, en lisant les pages 114-115 du livre de Richard, « ce mur est un concentré d’obscénité »… Et l’auteur fait aussi un sort au vocabulaire du théâtre, « to rehearse », répéter une pièce (l’affaire des artisans), qui fait deux fois allusion salace au derrière, « rear » et « arse » – stupéfiant… Mais tout WS (ou FGlorio ?) semble écrit comme ça !

  4. Avatar de Michel Vaïs
    Michel Vaïs

    Mon commentaire
    Ce que je trouve intéressant, c’est qu’un metteur en scène comme Thomas Ostermeier a eu l’intuition de ce contenu caché dans l’écriture de l’auteur, que des chercheurs maintenant approfondissent à leur façon. De même, je ne doute pas que Robert Lepage –qui m’a dit que jamais il n’aurait imaginé l’importance de Montaigne chez Shakespeare s’il n’avait appris l’existence de Florio par le livre de Tassinari– trouverait matière à revisiter ces œuvres en prenant connaissance de cette nouvelle piste de recherche. L’alliance metteurs en scène/chercheurs prend ici tout son sens. Je pense qu’il faut maintenant tenter de sensibiliser des metteurs en scène audacieux et intelligents à l’importance de John Florio, alias Shakespeare.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Très juste Michel ! Je me demande en effet, moi aussi, quelle intuition a poussé Ostermeier à souligner ainsi les aspects sexuels d’une intrigue qui ne se donne à lire, dans la traduction, que très partiellement. Mais tout Shakespeare indéniablement nous plonge dans ces dispositifs à double-fond, ou ce parfum érotique étrange et insistant.

  5. Avatar de Fabrice Collot
    Fabrice Collot

    Il suffit de lire l’adresse au lecteur que Florio place en tête de l’édition de 1598 de son dictionnaire italien-anglais « A worlde of wordes » pour se rendre compte qu’y pullule exactement la même « double entente saturée d’obscénité » que Jean-Pierre Richard relève dans tout le théâtre de Shakespeare au fil des pages de son fascinant ouvrage Shakespeare pornographe : un théâtre à double fond.
    Cette adresse au lecteur, qui disparaîtra (on comprend aisément pourquoi) de l’édition de 1611 de ce dictionnaire dédié à la reine Anne dont John Florio est le professeur d’italien /secrétaire, est l’occasion pour le lexicographe / homme de lettres de régler ses comptes avec certaines personnalités de la scène littéraire élisabéthaine. Il s’y attaque notamment avec une incroyable virulence à un certain H.S. dont l’identité restera voilée derrière ces initiales, mais que l’historienne Frances Yates a identifié de manière tout à fait convaincante comme Hugh Sanford, précepteur de William Herbert, futur comte de Pembroke et protecteur de Florio (qui tentera, en vain, de lui léguer sa bibliothèque à sa mort).
    Il serait fastidieux de redonner ici la traduction en français de tous les double-sens grivois que Jean-Pierre Richard explicite à merveille dans son livre, et que vous citez, cher Daniel Bougnoux, dans votre billet. Je me contenterai donc de citer quelques passages dans l’anglais de Florio qui correspondent très précisément à cette « double entente », les termes às sous-entendu salace y abondant.
    Dans le passage où Florio compare les critiques littéraires à des pirates, des monstres, des bêtes, il évoque « their wordes like swordes of Turkes, that strive which shall dive deepest into a Chrsitian lying bound before them ». Le sous-entendu de pénétration sexuelle y est omniprésent.

    Au sujet de Hugh Sanford : « This fellow, this H.S. reading (for I would you should knowe he is a reader and a writer too) under my last epistle to the reader I.F. made as familiar a word of F. as if I had bin his brother. Now Recte sit oculis magister tuis, said an ancient writer to a much-like reading grammarian-pedante : God save your eie-sight, sir, or at least your in-sight. And might not a man, that can do as much as you (that is, reade) finde as much matter out of H.S as you did out of I.F.?” Le lecteur aura trouvé sans mal le “F-word” sous-entendu par Florio, le reste évoquant pénétration anale et émission de sperme.

    Et plus loin : “Trust me I cannot but marvell at the disposition of these men, who are so malicious as they will not spare to stab others, though it be thorough their owne bodies, and wrong other men with their owne double harme.” A nouveau des allusion répétées à la pénétration.

    Il faudrait tout citer, tant il y a matière (Oups, on se laisse prendre à ce jeu-là !). Mais voici un passage très révélateur de l’équation faite par John Florio (et déjà relevée par son ami Giordano Bruno, comme je l’ai signalé dans mon précédent commentaire) entre écriture et coït / jouissance : « On the other side a good word is a deaw from heaven to earth, that soakes into the roote, and sends forth fruite from earth to heaven : It is a precious balme, that hath sweetnesse in the boxe, whence it comes, sweetness and vertue in the bodie, whereto it comes : it is a golden chain, that links the toongs, and eares, and harts of writers and readers, each to other.”

    Et cela continue ainsi à foison dans le texte de John Florio, dont le surnom même, the « Resolute », contient une allusion voilée au membre viril dressé…

    Une telle similitude dans la tournure d’esprit et dans la langue mérite qu’on y prête une véritable attention. L’idée d’une influence de John Florio sur Shakespeare ne suffit certainement pas à en rendre compte. Les spécialistes de Shakespeare seraient sans doute bien avisés d’accorder à l’hypothèse John Florio alias Shakespeare autre chose que des dénégations scandalisées ou un haussement d’épaules dédaigneux.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Magnifique cher Fabrice, la bataille redouble et les indices s’accumulent, continuons le combat !

  6. Avatar de Lamberto Tassinari
    Lamberto Tassinari

    Mon commentaire
    Il y a plusieurs pistes chez John Florio qui mènent à Shakespeare, en 2008, j’en ai répertoriées quinze: l’Italie, la bible, Montaigne, Bruno, la culture juive, etc. Le grand maitre en matière sexuelle en double entendre a été, notamment, l’Arétin suivi par Giordano Bruno et toute la Commedia dell’Arte. Du père de John, Michel Angelo , nous avons plusieurs blagues salaces, dont la plus explicite sexuellement était « come Zingaro giuoca à che l’e dentro, e che l’e fora » (comme un Gitan joue à « tantôt il est dedans, tantôt il est dehors » comme dans un tour de passe-passe…).
    Permettez-moi de me citer:
    « le dictionnaire (…) contient des descriptions en anglais de soixante et un termes sexuels, dont plusieurs sont dérivés des ouvrages de Pierre l’Arétin, l’auteur obscène par excellence qui a tant fait pour donner de l’Italie l’image dépravée qu’elle a dans l’esprit des Anglais. En voici des exemples :
    « Libidine, toutes sortes de désir sexuel, de luxure, de sensualité, de concupiscence, de désir brûlant ou d’appétit illégal. »
    « Fica, une figue. Aussi un flirt avec ses doigts, donnés ou montrés vulgairement, fare le fica, faire le geste vulgaire à quelqu’un. Sert aussi à désigner le con d’une femme, et les femmes en Italie jurent dessus comme nos Anglaises jurent sur les fils de leur tablier, etc. » « Fava, une fève. Aussi le prépuce, ou le dessus du pénis d’un homme. »
    « Potta, la chatte ou le con d’une femme. »
    « Potteggiare, utiliser, toucher ou jouer avec des cons. »
    « Uccellare, aller aux oiseaux, chasser, chasser au faucon, attraper des oiseaux. Aussi offenser, viser la chatte, tricher, tromper. Aussi aller furtivement courir le jupon. »
    « Fottere, fotto, fottei, fottuto, baiser, farcir, foutre, faire des cochon- neries. »
    « Fottisterio, une maison paillarde ou close. Aussi, le mystère de bai- ser.»
    « Masturbatione, l’action de toucher de façon malhonnête les par- ties privées d’un homme. »
    « Cazzo ritto, une bite se tenant au garde à vous. »
    « Monina, un beau toutou ou un singe parvenu. Aussi, l’équipement ou le con d’une femme. »
    « Inculare, s’enfoncer dans le cul de quelqu’un. Aussi, reculer ou se retirer. »

    Florio ne manquait certainement pas de vocabulaire ni de disposition à parler de sexe OU À Y FAIRE ALLUSION . Aussi l’a-t-il fait, tout comme Shakespeare.

    OUI : il faut faire connaitre tout ça à Jean-Paul Richard et Ostermeier …à moins que c’est déjà fait!
    Per aspera ad astra

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui Lamberto, tu as commencé cette recherche des allusions sexuelles ou des mentions de double-sens dans le lexique de Florio, je crois qu’on avancera beaucoup par là, et que les deux univers mentaux Florio-WS vont montrer de belles convergences, jusqu’à se rejoindre. Car Florio autant que WS semble un adepte, un as, un maître du « double-fond » cher à JP Richard… Et les indices de proximité prospèrent, n’en déplaise aux stratfordiens !

  7. Avatar de Christine Belcikowski
    Christine Belcikowski

    Mais tout, dans n’importe quelle langue, peut être compris sur le mode de l’obscénité. C’est le destinataire qui rapporte à son propre lexique ce qu’il lit ou entend.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Pas d’accord ! Vous suggérez que J-P Richard ferait une lecture d’obsédé sexuel, lisez-le et vous comprendrez à quel point le texte qu’il examine est ingénieusement tramé, crypté, surcodé d’allusions qui font d’ailleurs système, d’une pièce à l’autre et sur l’étendue de toutes… Ce « système » d’écriture est très impressionnant pour qui l’a une fois perçu, et je trouve à cet égard ce livre sans équivalent, très valeureux, et perspicace, quoique dérangeant bien sûr. Il nous change des autres Shakespeare, de tous les autres – vraiment ! Et je comprends donc que certains veuillent s’en débarrasser, ou passer devant en haussant les épaules.

  8. Avatar de Lamberto Tassinari
    Lamberto Tassinari

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    Mais oui, naturellement, Madame, tout texte dans n’importe quelle langue peut être lu d’une façon obscène, tout mode d’emploi, par exemple comment monter une serrure ou préparer un gâteau. Mais chez Shakespeare/Florio c’est une autre chose : il s’agit d’une présence panique du double-sens obscène, construit consciemment par celui qui écrit et qui d’habitude est facilement décodé par celui qui lit. Parfois le double-sens est très subtil, presque invisible, d’autres fois il est très explicite, fait pour être entendu d’emblée, comme ici dans « Roméo et Juliette » : «[The] bawdy hand of the dial is now upon the prick of noon » (2. 3. 104- 105)

  9. Avatar de Bloom
    Bloom

    Mon commentaire
    « « to rehearse », répéter une pièce (l’affaire des artisans), qui fait deux fois allusion salace au derrière, « rear » et « arse » .  »
    WS (or whoever) écrivait pour le théâtre, avec l’oralité comme préoccupation principale. Or la prononciation de « rehearse » /rɪˈhɜː(r)s/ n’a rien à voir avec celles de « rear » et « arse » – /rɪə(r)/
    /ɑː(r)s/ – On peut légitimement douter qu’un anglophone entende le « double entendre » en question.

  10. Avatar de Fabrice Collot
    Fabrice Collot

    Votre commentaire est juste en ce qui concerne l’anglais moderne, Bloom. Mais peut-être ne s’applique t-il pas à l’anglais élisabéthain, affecté en plein par le grand changement vocalique (« great vowel shift ») qui devait aboutir à la prononciation moderne de l’anglais?
    On sait par exemple que dans le passage suivant de Henry IV part I (act II, sc.5, v.198-200 édition bilingue Bouquins), Falstaff fait un calembour jouant sur « reasons » et « raisins » : « Give you a reason on compulsion? If reasons were as plentiful as blackberries, I would give no man a reason upon compulsion. » La prononciation moderne fait perdre le calembour, car à l’époque de Shakespeare, reasons / raisins se prononçaient de la même manière.
    Certes, de « rear arse » à « rehearse, » le saut phonétique est important. On peut supposer que Jean-Pierre Richard, qui n’est pas seulement l’auteur de Shakespeare pornographe mais également traducteur des oeuvres du Barde dans la Pléiade s’est assuré de la prononciation de « rehearse » à l’époque élisabéthaine, mais les lumières d’un spécialiste sur la question seraient bienvenues.
    En tout état de cause, une éventuelle erreur sur ce point particulier ne suffirait pas à invalider la démonstration d’ensemble de Richard, très convaincante pour qui a lu son livre.

  11. Avatar de Olivier Abel
    Olivier Abel

    Débats passionnants ! Merci cher Daniel…

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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