Temps perdu, temps retrouvé

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Comme chaque deuxième week-end d’octobre, les Rencontres philosophiques d’Uriage (cette année consacrées à la question « Prisonniers du temps ? ») s’ouvrent par un abécédaire, où quelques orateurs disposent de huit minutes pour traiter un sujet de leur choix. J’ai choisi P comme Proust.

Chacun lit La Recherche comme ça lui chante. J’ai trouvé très éclairante l’interprétation de René Girard, centrée sur les ravages du snobisme, de la jalousie, du mimétisme et du « désir triangulaire » ; formidable l’ouvrage classique ou canonique de Gilles Deleuze, Proust et les signes, même s’il est entaché peut-être de l’erreur de tirer Proust vers le platonisme et une quête des essences ; assez merveilleuses les analyses de Gérard Genette, elles aussi classiques dans leur effort d’appliquer à cette œuvre les grilles de la rhétorique (dans Figures II et III) ; stimulantes, mais vite un peu lassantes, celles de Julia Kristeva dans Le Temps sensible, évidemment inspirées par la psychanalyse et d’une impressionnante érudition concernant les avant-textes, les paperoles et les repentirs… On voit qu’une lecture critique de Proust ne part plus d’une table rase !

C’est chez François Jullien pourtant que j’ai surtout puisé ma propre inspiration, particulièrement dans son ouvrage L’Inouï (Grasset 2019), qui me semble épouser de près le thème de ces rencontres, puisqu’il y traite d’une libération. Sa conférence prévue demain à cette table est un motif supplémentaire de lui emprunter, par avance, quelques motifs de réflexion. Où l’on vérifie, en passant, à quel point une grande œuvre littéraire côtoie et rejoint l’exercice de la philosophie.

Le temps perdu on le sait n’est pas seulement le temps passé, écoulé, mais celui qu’on perd et dissipe dans les mondanités, dans « la fréquentation des pesages et des grands bars ». Mais on ne perd pas moins son temps, ou sa vie, en se contentant d’une vision prosaïque ou convenue de la réalité, dans une perception et un langage « desséchés », incapables de nous faire toucher ou de restituer la chair du monde, sa profondeur sensible. La recherche peut donc se lire, avant tout, comme l’apprentissage tourné vers l’avenir d’un narrateur qui progresse, un exercice pour décaper les apparences, et les automatismes de notre langue qui nous enferment, nous étouffent. Toute langue agissant comme une gangue, il faut la fissurer ou la développer autrement pour que, de cette glaise collante, émerge une apparition ou un événement véritables. L’expérience acquise ne débouchera pas sur un autre monde, mais nous fera voir autrement celui-ci ; Proust se meut dans l’immanence et la métaphore (même s’il lui arrive d’emprunter lui aussi au langage de Platon, et de retomber dans la métaphysique des essences et des substances). Contre cet enlisement platonicien, posons fermement avec Jullien que le passage du temps perdu au temps retrouvé ne consiste pas en une découverte, mais plutôt en un découvrement.

La recherche apparaît en effet scandée de trouvailles, qui donnent au narrateur une « joie extraordinaire », mais ce qu’il touche dans ces moments où les apparences, comme un voile, se déchirent, n’est rien d’extravagant (de prodigieux, de fabuleux), mais au contraire semble tout proche, et familier ; de l’abyssal se découvre à portée de regard ou de main moyennant un écart, un hasard, un lapsus dans le cours ordinaire. Qu’est-ce qui fait surface dans ces instants de grâce ? « Un peu de temps à l’état pur ». Le temps d’une apparition, d’un essor arraché à l’étale, à la monotonie banale des travaux et des jours. Tout Combray ressuscite dans la saveur de la petite madeleine trempée dans le thé, mais aussi bien Venise dans l’achoppement de la chaussure contre deux pavés mal joints de l’Hôtel de Guermantes, ou « les matinées de Doncières dans les hoquets de notre calorifère à eau ». Une sensation de hasard, parfaitement prosaïque, soulève comme par un point d’Archimède tout un monde passé, d’un passé tel qu’il ne pouvait être vécu et qui se donne, au présent de la réminiscence ainsi provoquée. Présent est le mot clé, avec ses connotations de la présence, et du cadeau. Toute La Recherche est ainsi ponctuée, aimantée par ces instants magiques d’une présence enfin pleine au monde.

Ordinairement en effet (prosaïquement), cette présence se dérobe dans sa présence même ; elle s’étale, elle ne fait plus essor. Nous vivons de représentations, et la re-présentation ne peut par définition saisir ou faire l’expérience de la présence, qui est d’un autre ordre ; passer de l’une à l’autre suppose un saut, un décrochement. Précisons : le réel n’arrête pas d’arriver, le monde n’arrête pas d’être là, d’affleurer, mais sur un mode furtif, nous le frôlons en permanence, nous le refoulons sous nos projections.

Ce dernier mot, important, se trouve détaillé au tout début de Combray dans les pages consacrées aux projections de la lanterne magique, dont l’image sur le mur absorbe le bouton de porte, et s’assimile les accidents du support. Face à Swann de même, la famille ne voit dans le cordial visiteur du soir qu’un voisin de campagne, et tomberait des nues d’apprendre qu’il a une vie parisienne, qu’il est reçu à l’Elysée ! Nous passons notre vie en projections et en assimilations, par une grande loi biologique qui est aussi psychologique : notre vie se nourrit en absorbant et en transformant de l’autre en nous-mêmes, nous passons à côté du réel, nous nous ouvrons difficilement à une altérité trop radicale. Mais fugitivement, furtivement, de l’inouï se faufile, et peut nous bouleverser.

 À la recherche du temps perdu, film de Raul Ruiz

Il y a dans cette bifurcation un saut ou un moment éthique : sommes-nous capables de nous désengager (de nos routines), de nous désengaîner de notre gangue langagière et affective pour accueillir du nouveau ? Non une nouveauté radicale, mais une expérience radicalement neuve de Combray, de Venise ou des clochers de Martinville  tels qu’ils ne furent par nous jamais perçus ? Erigés, ressuscités dans leur présence, purs de toute représentation ?

Ces moments de fascination du temps retrouvé constituent autant de sommations éthiques, de points de basculement de l’existence. Subitement « le déluge de la réalité nous submerge », accompagné d’une joie énorme – oui mais en voulons-nous vraiment, en sommes-nous durablement capables ? « J’avais un tel appétit de vivre, maintenant… » Nous frôlons dans cette expérience un au-delà (un en deçà plutôt) de l’expérience, nous entrevoyons autrement les choses, mais on ne s’installe pas dans le temps retrouvé, qui ne se donne que comme brèche (éphémère), comme événement.

Ftançois Jullien

« …de nouveau la vision éblouissante et indistincte me frôlait comme si elle m’avait dit : ‘Saisis-moi au passage si tu en as la force et tâche à résoudre l’énigme du bonheur que je te propose ». Cette phrase comme le corps nerveux, malléable, impressionnable du narrateur de La Recherche nous incite à chercher dans les décombres du Temps, et c’est une des raisons de lire Proust aujourd’hui : explorer un monde immensément étranger dans ses bizarreries, sa bigarrure, ne pas nous contenter de fréquenter des livres, des personnes qui parlent déjà notre langue et nous enfoncent dans nos clichés, mais aller vers des expériences, des rencontres, des métaphores qui, par leur absolue singularité prélevée au fil du quotidien le plus banal, le plus assommant, parviennent, et c’est tout le plaisir de la littérature à la philosophie mêlée, à nous ébranler, à desceller un peu notre statue de son socle.

P.S. Je redonne le lien (et le programme) de ces rencontres : http://www.rencontres-philosophiques-uriage.fr

14 réponses à “Temps perdu, temps retrouvé”

  1. Avatar de Jacques
    Jacques

    Bonjour!

    Le randonneur va bientôt tabler sur Proust.

    Continuons l’abécédaire : P comme Proust

    R comme Rachel O comme Odette U comme Ursule S comme Swann, T comme Théodore

    Nous voici donc dans « La ronde ailée du temps » de Proust. Et « Madeleine » d’entrer dans la danse!

    Monsieur Klein vous dira, peut-être, dimanche, que « La madeleine de Proust » permet une autre anagramme que celle souvent citée dans cet espace.

    C’est un »Don réel au temps idéal ». Et nous savons vers quel « salon » nous dirige l’anagramme quand on s’adonne à « Marivauder dans le monde »?

    Hier soir, j’ai pensé à cette phrase du « Temps retrouvé » : « On a frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien, et la seule par où on peut entrer et qu’on aurait cherché en vain pendant cent ans, on y heurte sans le savoir et elle s’ouvre »

    J’ai, en effet, depuis le débat de l’autre jour « à la télé », comme ils disent, demandé à moult spécialistes des études bergsoniennes de bien vouloir me donner la source de la citation sur le temps, attribuée par l’un des deux débatteurs à Gaston Bachelard.

    Sur Internet, la citation bien connue est de Henri Bergson mais pas de référence précise donnée. Un message reçu, hier, d’un orfèvre en la matière, secrétaire de la société des amis de Bergson, est formel. Il confirme ce que je pensais sans certitude : « Cette citation, c’est sûr, n’existe pas dans les ouvrages de H.Bergson. Et puis, dans la foulée, en rouvrant un livre de Gaston Bachelard, je l’ai trouvée, cette citation quelque peu arrangée par l’orateur – non contredit sur ce point par son interlocuteur – mais elle n’est pas non plus de Gaston Bachelard.

    Découverte sans importance, un détail ridicule? Soit! Pourquoi pas « découvrement »? (Le mot est dans « L’inouï », page 41)

    « Le temps s’en va, le temps s’en va Madame! Las le temps non, mais nous nous en allons » (Pierre de Ronsard)

    Vers la libération… titrait H.Marcuse dans le courant d’un certain mois de mai. Et Monsieur Jullien d’occuper les colloques et d’écrire des livres pour nous parler de « libération »…

    Près d’un ruisseau, un jour, le physicien Bernard d’Espagnat pérorait avec sa créature littéraire « Ondine ».

    Et de nous parler lui aussi de « libération »…à la Rousseau.

    Où est la faute?

    Belles rencontres et bonnes tables pour renverser ce si lassant réel!

    Dans la réalité quotidienne pure et dure, autre chose est de renverser les tables des marchands du temple.

    Mais bon, on peut toujours rêver…sans oncques rien casser.

    Jacques

  2. Avatar de Dominique
    Dominique

    Désolé Monsieur Jacques! Je trouve qu’il est difficile de vous suivre avec des allusions qui ne font pas tilt à tout le monde. En tout cas, pas à moi…Mes pauvres neurones de moine seraient-elles à ce point ensuqués?
    Quel débat? Quels interlocuteurs sur le plateau?
    Et enfin, Ondine, c’est quoi au juste? Quelle citation? Dites-moi, je suis perdu!
    Libération à la Rousseau, mon bon Seigneur, suffirait-il d’aller cueillir des champignons pour nous raccorder à la nature?

    J’espère que vous voudrez bien clarifier vos propos…
    A l’heure de la cérémonie du thé qui contient une belle et étonnante anagramme, ils n’en seront que plus buvables, si vous me permettez le mot.
    Bonne nuit à tous

    Cordialement

    Frère Dominique

  3. Avatar de Jacques
    Jacques

    Vous avez bien raison, Monsieur l’abbé, je ne sais simplifier et je fais volontiers amende honorable.
    Vous auriez pu dans votre sermon dire la même chose à Mme Kalmia qui nous a fait chercher des heures durant pour comprendre un « Bachelard qui a fait des « Études »_ »

    Oui, et bien le débat en question est celui du 23 septembre dernier, à la télévision, entre Monsieur J-L M et Monsieur E Z.

    Monsieur J-L M a dit : « Le futur n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire ». Et d’affirmer devant des millions de gens que la citation était du philosophe Bachelard.
    J’ai donc mené ma petite enquête personnelle qui vient d’être corroborée par Monsieur Élie During, l’oint de la Très-Haute université dont j’apprécie en dernière instance l’humour fin et intelligent. J’ajoute que l’intéressé lui-même, élu de l’hémicycle bourbonien par l’entremise de Mme le chef de son cabinet, a tenu à m’en remercier chaleureusement.

    En fait, sur Sainte Internet, Mon bon Père, la citation est attribuée à Henri Bergson mais elle n’est pas sourcée…

    Cette citation quelque peu arrangée est de Jean-Marie Guyau, page 33 de « La Genèse de l’idée de temps ».

    On la trouve, page 51, de « L’intuition de l’instant », de Gaston Bachelard qui, dans sa note 1, en bas de ladite page, écrit :

    « 1.Guyon. La genèse de l’idée du temps, p. 33 ». On se doit de rectifier et le nom et le titre, cela va de soi!

    Morale de l’histoire, il faut se méfier de l’exactitude des citations prises parfois dans les manuels de « Sciences Politiques » pour être données au peuple qui n’est pas du genre à récuser une parole venue de si haut.
    Un exemple, cette information qui prône dans l’Etherciel :
    « Au fil de mes lectures : recueil de citations de Gaston Bachelard
    zhttp://www.gilles-jobi
    Il y a dans toute conquête un sacrifice. (Études, p.82, Vrin, 2002); En prenant conscience de mon erreur objective, je prends conscience de ma liberté d’ … »

    En cette inquiétante extase, Monsieur l’abbé, vous trouverez la citation susmentionnée, page 93 de « Études », en ces termes :

    « De toute manière l’idée correspond toujours à une modification spirituelle.
    Elle est vraiment un mode de l’âme. Quand une catégorie s’applique, elle procède par une élimination. Il y a dans toute conquête un sacrifice.Peut-on alors méditer dans l’abstrait sur le sens métaphysique de la rectification? » (Fin de citation)
    Bon, vous me direz, cher ami moine, que c’est un détail! Certes. A vous d’y trouver dieu ou diable, nom d’un petit bonhomme!

    Pour G.Bachelard, en tout cas, le détail est un attribut de la grandeur.
    Brisons là.

    Quant à la fée des eaux « Ondine », eh bien, vous la trouverez avec les feux du savoir du physicien Bernard d’Espagnat. Puisse notre Maître en toucher un mot à Monsieur Klein, lors de son intervention dominicale à distance.
    Avant que la petite sirène retrouve sa rivière du Quercy, le célèbre physicien pérorait avec icelle en ces termes :
    « La double libération que je viens d’évoquer rend légitime une haute rêverie « à la Rousseau », prenant totalement au sérieux des horizons bien plus porteurs de sens que ceux du quotidien et de l’objet (…) toute quête de ce type-là n’est pas automatiquement rendue illusoire par les conquêtes de la pensée et du savoir. »
    Ces derniers mots de Monsieur d’Espagnat furent ponctués d’un « ploutch! » et une belle onde se dessina sur la rivière.
    A quand son retour, Frère Dominique?
    Pour l’heure, je rejoins quant à moi, mon alcôve où « L’inconscient est un lac obscur ».
    S’y cèle peut-être une étonnante anagramme que je laisse deviner aux chevaliers
    de Saint-Martin, demain à leur table ronde.
    Tout simplement un rêve d’échanson
    …avec de l’esprit et du corps.

    Jacques

  4. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Merci de me citer, vous me faites bien trop d’honneur.

    Monsieur Mélenchon (Pardon, Monsieur notre Maître, de mentionner le nom d’un politique!) a bien prononcé le nom du philosophe Bachelard pour dire la citation non référencée, que l’on a entendue et qu’il attribue à ce penseur.
    Je ne sais si cette citation vérifiable de G.Bachelard, page 53 de « L’intuition de l’instant » :

     » Mais l’avenir, si tendu que soit notre désir, est une perspective sans profondeur. Il n’a vraiment nulle attache solide avec le réel. C’es pourquoi nous disons qu’il est dans le sein de Dieu »

    aurait retenu l’attention du tribun, au point de la faire connaître à des millions de gens…

    Quels sont les motifs cachés dans les conduites humaines en apparence les plus libres?
    Telle est la question posée en toile de fond dans un grand livre de René Girard.
    Demain , peut-être, ou un autre jour, là-bas, du côté de chez Platon, en Isère, une réponse nous sera donnée.
    Plus d’un y va refaire un tour…
    Pour un affranchissement, une victoire en chantant, qui sait!
    Dégrafer son corsage pour un ver de lai…Mes bons seigneurs de rencontres philosophiques, à quel sein se vouer ?
    Les gars des villages de la dolce France attendent votre réponse.

    Kalmia

  5. Avatar de JEAN CLAUDE
    JEAN CLAUDE

    Si notre rapport au temps est notre rapport a la vie, le film Tralala nous interroge avec grande pertinence :

    Tralala le film des frères Larrieu

    « Ne soyez pas vous même »

    TRALALA le film : un conte malicieux sur les jeux de l’amour, sur un tragique de la condition humaine, un classique celui de la trilogie de Pagnol.
    Celui de l’ appel au voyage, à l ailleurs. Pat, le jeune patrick de ses 20 ans, joli cœur a été plus aimé qu’ il n’ a aimé, a fait un enfant puis sans le savoir est parti vivre sa grande vie outre atlantique. Il a disparu et n’ est plus revenu, laissant souffrance et désolation dans sa famille et ses proches.

    Tralala est aussi le film de la condition religieuse, de la bondieuserie, cela se passe à Lourde. Tralala possède une dimension christique évidente. Face à la souffrance, une piste est le recours à la foi qui sauve ou sauvera.

    TRALALA le personnage est le mythe du juif errant, de jésus parcourant son chemin de croix. Tralala est dépouillé, trahi. Gueux sans domicile fixe, il parcourt les rues de la désolation et de la souffrance humaine. Soudain une jeune femme à visage de vierge, tel Jean Baptiste, l’oint de sa main, une caresse au visage, le revele a lui meme. Elle l’invite au voyage, vers le royaume de son dieu : Lourde. Tout au long de son chemin de croix, il sera reconnu comme la révélation et rendra miracles sur miracles. Il sera aimé et révèlera les failles de chacun. Tour à tour ils croient en lui, sauf son premier amour qui doutera de la véracité du retour de son amant, tel saint Thomas. Avant la scène finale, non le repas mais le concert ou le « frère » se révélera chanteur, tralala se retire du monde au bord du lac, dans la barque. La jeune vierge viendra ressusciter d’ entre les morts. Il viendra sur scène, non pour chanter mais pour conter une parabole : ne plus être ce que l’ on est. Puis tel jésus partira pour toujours non vers le ciel mais seul dans sa barque.

    Ne pas être prisonnier de son passé, de la fiction que notre cerveau en construit l’ histoire. Se libérer du passé en étant disponible et en aimant ce qui advient, simplement pour ce que c’ est. Version laïque d’ un chemin de spiritualité.

    « Ne soyez pas vous même »
    Jean claude

  6. Avatar de Gérard
    Gérard

    Bonsoir!

    En lisant le commentaire de Monsieur Jean-Claude, je me suis dit que ce serait bien d’aller me ressourcer en quelque cours, celui de Mme Manon, par exemple, qui répond à la question de savoir « Peut-on ne pas être soi-même? »

    Je pense à Monsieur Serres et à son bel essai sur la philosophie des corps mêlés, qui fait sortir le savant et entrer l’enfant.

    Tralala, tralalère, le festival de Saint-Martin-d’Uriage, ce n’est ni Venise ni Gréasque, mais qui peut dire avec une belle assurance qu’il n’aura pas sa part d’enfance, sa part d’ange quelque part, si tant est qu’une « apparition » puisse s’y voir, sentir, entendre, toucher, goûter? Comprendre.

    En aparté, peut-être …

    On aimerait ouïr cette partition, cette avenance qui participe sans être là.

    Le facteur temps / Et c’est le parfum

    Belle anagramme, chère à Étienne et Jacques, pour vous dire, aux aurores, qu’il viendra…

    Puisqu’il est en nous.

    Tout en bleu…le temps.

    Gérard

  7. Avatar de E M
    E M

    Mon commentaire

    Rappelez-vous du tumulte médiatique autour du livre « Le pays qu’habitait Albert Einstein »!

    Mediapart et nombre de journaux avaient semé le vent de la révolte, dès sa parution, en accusant l’auteur de citer Gaston Bachelard sans le nommer.

    A l’intérieur des terres, des voix se sont élevées pour soutenir l’auteur de ce livre.

    Aujourd’hui, quand un tribun fait porter à Gaston Bachelard un propos qu’il n’a pas tenu, nos modernes François de Sales, n’en disent rien.

    Motus et bouche cousue.

    Allez savoir pourquoi!

    E M

  8. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Dans quelques secondes, le physicien Monsieur Klein va parler, à distance, pour être entendu du côté de Saint-Martin-d’Uriage…
    Oyez, oyez bonnes gens, ce que va nous dire le savant, chercheur de sens caché du monde!
    Pour l’heure, loin du beau cénacle grenoblois, je pense à la barque de M.Jean-Claude.
    Elle me rappelle une fable du livre de Hartmut Rosa « Accélération » qui parle de prendre son temps en ce monde pressé de toutes parts. Un chroniqueur de Libération en a fait état pertinemment sur Internet par un titre évocateur : Décélérer.
    Sur les eaux du Tibériade de l’inconscient, chacun de nous, est seul et en même temps multiple.
    La frêle embarcation de la raison thaumaturge (l’expression est de M.Serres) a t-elle vraiment une chance d’atteindre « l’autre rive »?
    Quid de la fréqate blanche du romantisme absolu, censée venir au secours des noyés du siècle, avec ses princes de la paix en dentelles, dont le rameur René Girard ?

    Avec mon rafiot à quatre sous, ma pauvre pensée peirastique ne va plus loin, matelot, que cette eau de là!

    Kalmia

  9. Avatar de Dominique
    Dominique

    Bonjour!

    Kalmia, nous avons lu votre dernier commentaire, hier, en salle capitulaire, et sans doute pour vous, est-il parfaitement clair.

    Nous sommes pourtant plus d’un à le trouver nébuleux pour ne pas dire amphigourique.

    Les gens simples, vous savez, Kalmia, ne font pas leur miel d’une citation du poète Rainer Maria Rilke, fût-elle butinée par le talentueux physicien que vous nommez, et que nos braves gens n’ont oncques rencontré sur leur route, vous savez!

    Hier soir, comme des millions de gens, nous avons regardé à l’abbaye, « Les grandes vacances » de Jean Girault…Une façon à nous de prendre du bon temps avec cette « Liesse d’un fou » dont l’anagramme, bonne dame, est « Louis de Funès ».. Monsieur Klein ne dira pas le contraire.

    Une occasion pour nous, le rideau sur l’écran tombé, de nous interroger, une bonne partie de la nuit, sur le paradoxe du crétois et le moyen de trouver la vérité sous les apparences trompeuses.

    Loin des appas rances de la modernité galopante et de la tragédie économique, la vacance dans les vacances est-elle encore possible?

    Jacques Lacarrière nous a laissé quelque chose comme un souvenir : Une petite fille prénommée « Antigone » assise sur le rebord d’une fenêtre, regardant la mer changer de couleur et une poupée abandonnée qui attend les yeux tristes et joyeux des enfants.

    A Héraklion, aujourd’hui, où vont les pensées du touriste? Au chapitre des « Vies perdues » de « De la vraie vie » du commensal d’hier? Ou dans les brins d’une guirlande éternelle?

    Mais il a tout vu, notre touriste et même tout lu…Voire tout découvert. Reste plus que le dé-couvrement et dans « l’île-femme » peut-être, forger un concept…de combat ou de résistance.

    Serez-vous là, Madame?

    Frère Dominique,

  10. Avatar de JEAN CLAUDE
    JEAN CLAUDE

    Voila quelques retours sur les Rencontres Philosophiques d’Uriage

    De notre rapport au temps

    Le thème des Rencontres Philosophiques d’Uriage était : « Prisonniers du temps ? »
    Dès que l’on aborde des questions de temporalité, nous utilisons le terme « temps » comme si cela allait de soi, comme une évidence, en fait un impensé. Dès que chacun cherche à réfléchir
    à la nature propre du temps ou à sa représentation, cela devient très difficile à conceptualiser et encore plus à partager. Dans le langage courant, nous entendons souvent cette expression, encore une évidence, un impensé, par exemple « l’accélération du temps », « gagner du temps », le « passe temps », et surtout ce « manque temps » chronique.

    De la nature du temps

    Dans la langue française le terme temps est très polysémique temps : temporalité et temps météo. Faisons un petit détour par le temps météorologique. Un des indicateur est la température.
    La température objective nous est donnée par un thermomètre. Hors cette température sera fonction du mode de transmission de la chaleur sur le thermomètre : rayonnement, convection, force du vent et matériaux support. La température ressentie par une personne sera fonction du taux d’humidité, de la force du vent, de son activité (action, immobilité) et de l’énergie interne du corps comme des habits de protection. Dans le froid, un seul point humide au niveau des pieds ou du col de chemise pourra modifier considérablement le ressenti.

    Pour questionner notre rapport au temps ( temporalité) la polysémie va être encore plus grande. Le terme « temps » est en lien avec les notions de durée, d’instants qui se succèdent, de
    mouvements, d’efficacité, de déplacement, de mémoire (passée) et d’avenir (imagination, projections). La représentation du temps par la variable sur un axe (souvent l’axe des abscisses), à la différence d’une dimension spatiale montre cette succession d’instants. En fait quand on pointe sur cet axe un instant, ceux qui précèdent n’existent plus et ceux qui adviendront n’existent pas encore.

    Pour le philosophe, le concept de temps peut prendre deux réalités :
    la première est que le temps n’existe que dans le mental, la conscience de l’homme avec le problème majeur : comment définir ce qui précède l’arrivée de l’homme ( homo sapiens) sur terre. La seconde est de considérer le temps comme une réalité objective indépendante de la conscience humaine de cette notion. Le temps existerait comme une « chose  matérielle », une
    substance constitutive de l’univers.

    Pour le physicien le temps retrouve deux natures : d’une par le concept d’un référent immobile constitué d’une succession d’instants singuliers : causalité directe et irréversible de
    cette référence. D’autre part, la flèche du temps des événements qui se succèdent dans ce référentiel et qui se transforment de façon causale là aussi rarement réversible. Exemple : chaque
    jour de sa vie un peintre dessine un nombre qui succède à celui du jour précédent augmenté d’une unité. C’est le référent immobile et causal irréversible. Simultanément le peintre se photographie dans les mêmes conditions et affiche sa photo à coté du nombre. Au fil des années on peut constater le vieillissement du personnage. C’est aussi irréversible. Cela révèle la flèche du temps. Alors que le continuum d’écoulement du temps, succession des instants est commun à toute échelle des espaces, la flèche du temps dans notre quotidien comme dans les grands espaces du cosmos, ne va pas de soi dans le nano monde, celui des particules élémentaires. La flèche du temps donne sens en allant du passé au futur : avant de poser le toit il faut construire les fondations et puis les murs. Dans le nano monde et la « mécanique quantique », la
    « flèche du temps » qui donne sens, irait plutôt du futur vers le passé. Quoiqu’il en soit, la nature du temps comme grandeur physique n’est pas immuable, elle peut vibrer : ondulation des ondes gravitationnelles. Si tout est causalité alors le hasard n’aurait plus sa place. Le hasard existe à toutes les échelles. Par exemple dans la duplication des cellules humaines, il peut y avoir un peu de désordre qui générera une cellule variante. Cette variance s’éteindra ou survivra à la duplication suivante. Cependant si le hasard existe, c’est à dire si le « hasard » n’est pas
    ce qui manque dans notre compréhension du monde, pour expliquer un déterminisme encore caché, il nous offre très peu de possibilités. La théorie de l’évolution révèle une croissance exponentielle de la complexité des organismes, de l’amibe au cerveau humain…Il n’y aurait pas d’autres choix possibles ??? La nature du temps comme grandeur physique existe-t-elle vraiment ? Cette question est débattue par les scientifiques qui cherchent à unifier la
    représentation du monde, quelle qu’en soit l’échelle. C’est le chemin difficile que nous a invité à suivre Étienne Klein dans un exposé autant lumineux que accessible.

    De la représentation du temps chez les philosophes et les scientifiques

    Restons encore dans le champ scientifique. La variable « t » dans les équations mathématiques qui représente le temps reste un simple indicateur. Comme dans le temps météorologique, la
    température reste un indicateur des variations de chaleur, c’est à dire de l’énergie. Les équations de type y = f(x,t) qui représentent dans l’espace la trajectoire d’un objet lancé dans le
    ciel par exemple est parfaitement réversible alors que le phénomène physique ne l’est pas.

    Revenons au concept du temps étudié par les philosophes, dans la philosophie occidentale. Les concepts de « temps » comme celui de « dieu » existent dans nos langues européennes, latines et grecques Ce n’est pas le cas dans d’autres cultures, nous le verrons plus loin. Le temps s’écoule à l’infini, depuis l’origine des temps, la genèse par exemple ou le big bang. Mais cependant il reste mystère. Car si le passé n’existe plus et si le futur n’existe pas encore, l’instant présent comme le chas d’une aiguille est le moment ou le futur se transforme en passé. L’instant présent comme un point dans l’espace peut devenir un infiniment petit, hors de notre conscience. La spatialisation du temps (t) sur une droite (abscisse) représente à droite comme à gauche d’un instant tn des instants tn-1 et tn+1, des instants qui n’existent plus ou pas encore. C’est donc une fiction. C’est une représentation mentale qui n’a sans doute guère à voir avec la « nature du temps » traité précédemment.

    Sans remonter jusqu’aux grecs, un grand penseur du temps Saint Augustin représente le temps en quatre grandes dimensions : le passé « souvenir », le futur « avenir , imaginaire» qui est en attente et le présent qui serait un instant d’attention à ce qui est. Alors la quatrième dimension, pour lui, est le temps éternel de sa présence à dieu.

    L’instant présent peut dans l’acceptation d’être une attention à ce qui est, se nourrir d’un passé proche déjà là et d’un futur proche en devenir. Ce qui correspond de manière métaphorique à une mélodie. Le son qui va advenir est déjà dans la trace des sons précédents. Si par hasard le soliste arrête la mélodie, casse une corde par exemple ou fait silence volontairement nous nous arrêtons de respirer et comme un poisson hors de l’eau, nous somme en danger de ne plus vivre !
    Dans nos langues européennes, les verbes se conjuguent en fonction des temporalités imparfait, passé simple futur antérieur, futur et présent. Le « temps occidental » est prisonnier de la
    langue comme de la flèche du temps.

    Partons maintenant de langues autres, de cultures autres. C’est le chemin tout aussi difficile et lumineux que nous a invité à suivre François Jullien qui jongle avec les mots comme avec les langues et les cultures. En Chine le concept de temps n’existait pas. Il a été introduit au dix neuvième siècle. Il a été représenté ( la durée) comme une tension entre deux extrémités le début et la fin, de façon paradoxale [fin-début]. En chinois, il n’existe pas de conjugaison. Les verbes s’utilisent à l’infinitif. Le temps chinois est une « temporalité saisonnière ». Chaque saison modifie le paysage comme les « sujets »qui l’habitent. La saison traverse l’individu dans sa façon d’être, de s’habiller, de se nourrir, de ressentir, de regarder de vivre : Les frissons de l’automne, la morsure du froid l’hiver, la floraison du printemps et la chaleur de l’été. Il n’y a ni commencement ni fin mais régulation, flux et harmonies saisonnières. D’où la représentation de la durée [fin-début]. Pour qu’il y ait un début, ce dernier doit être précédé d’une fin. Il ne peut donc exister de commencement premier ni de fin dernière. La question du big bang ne se pose pas.
    François Jullien nous a invité à penser, à ruminer la différence entre les concepts de « disponibilité » et de« devancement ». Il existe une grande proximité entre le terme de « disponibilité » et l’expression « prêter attention à ce qui est ». Cela diffère grandement du terme de « devancement » qui signifie vivre avec un temps d’avance. Vivre avec un temps d’avance, en continuité serait peut être la posture qui nous rendrait prisonnier du temps, alors que vivre avec le passé, avec les souvenirs, en continuité engendrerait l’immobilisme. Se rendre disponible à ce qui est comme à ce qui advient consisterait à prendre en compte les menaces comme les opportunités potentielles pour tracer ou cheminer, le pas suivant de la vie.

    La représentation du temps chez les sociologues

    Harmut Rosa dans « l’accélération » en 2010 pour un diagnostic sociétal puis dans « Résonance » en 2018 cherche des voies pour sortir de cet emprisonnement du temps.
    Les historiens montrent que depuis les grandes découvertes de la renaissance, le capitalisme naissant et la religion catholique ont conduit de concert à critiquer la posture d’oisiveté, la paresse et la lenteur. Aujourd’hui la recherche de « l’efficacité » maximale est l’expression la plus pertinente pour caractériser cet enfermement, cette prison qui impose de vivre continuellement en posture de devancement ». Le temps de travail qui se doit être le plus efficace possible
    contamine les autres temps de vie qui se doivent être tout aussi efficaces pour entrer, pour être contenus dans cet « espace temps » qui nous est donné à vivre chaque jour dans le mode
    éveillé. Pour pouvoir tenir et réaliser nos actes et ambitions, la recherche de l’efficacité se conjugue avec le grignotage du temps de sommeil, avec la consommation de stimulants et parfois de dopage. Il n’y a pas que les sportifs qui cherchent à aller plus vite.

    Dans la « convivialité » Ivan Illich évaluait la durée de travail hebdomadaire pour se loger, se nourrir, s’habiller, se distraire. En fonction de la reconnaissance monétaire du temps de
    travail c’est à dire de l’appartenance à une classe sociale, tous les besoins pouvaient être facilement satisfaits, ou au contraire précarisés, voire supprimés : vivre ou survivre.

    Certains ont choisi de moins délocaliser, de moins sous-traiter et ainsi de cuisiner leur nourriture, de réaliser leurs vêtements, de cultiver leurs légumes, et plus rarement car cela demande beaucoup de temps, de compétences et d’énergie, de construire leur habitat. Le temps social de la rencontre qui était scandé par l’horloge du clocher a été brutalement remplacé par l’urgence à prendre en compte l’ interruption de nos mobiles (tel., sms, tchat…) et cela
    touche toutes les classes sociales : vivre en mode d’urgencepermanente..

    La représentation du temps pour chaque individu

    Ces rencontres si enrichissantes n’ont finalement que très peu questionné le temps subjectif vécu par chaque individu. Et cela sans doute par manque de temps, et aussi pour le public par
    difficulté de pouvoir digérer, intégrer autant de connaissances en interaction. Le « mur » de l’immobilisation imposée par la covid lors du premier confinement en 2020, planétaire était un inimaginable quelques semaines avant. Aucun pouvoir politique n’aurait pu seul de sa propre volonté l’imposer aux populations. Ce mur d’immobilisation contre lequel est venu se fracasser la quête de rapidité, d’efficacité et de devancement, a libéré un temps immense de disponibilité familiale et personnelle, propice à penser sa vie, ses urgences et ses enjeux.

    Le temps biologique, ses multiples temporalités sont inscrits dans nos horloges biologiques. Il en existe plusieurs sans doute: la mémoire des dates anniversaires, la mémoire épigénétique, la
    mémoire hebdomadaire, l’anticipation quotidienne, etc.

    Le temps psychologique ou encore le temps ressenti, subjectif peut se nuancer à l’infini en fonction des langues, des cultures. La littérature avec en particulier Proust «A la recherche du temps perdu » nous invite à cheminer différemment, à nourrir d’autres écarts ou regards.

    Je vais produire deux témoignages qui irriguent mon rapport au temps. La perception de l’avancée en âge, diffère pour moi du vieillissement. Il existe quatre temporalités : l’âge officiel
    ou académique repéré en occident depuis la date de naissance, l’âge du corps, l’âge psychique et l’âge sociétal. L’âge du corps se caractérise par l’usure des articulations, la déformation
    du squelette et par l’impact des maladies. C’est un avancement certain qui peut cependant avoir des retours en arrière par une perte de poids, par un retour à des activités abandonnées, par la rencontre d’un nouveau partenaire. L’âge psychique est celui de notre appétit de vie, de projets, d’aventures. Le vieillissement psychique se caractérise par un glissement lent ou rapide vers des postures d’attente, d’immobilisations mentales. L’âge sociétal est peut être plus
    difficile à prendre en compte. C’est notre capacité d’acceptation, d’engagement, de fascination ou de rejet du vivre aujourd’hui et demain dans un monde en pleine mutation. François Jullien nous a montré la différence de perception entre la crise vécue dans une perspective occidentale ou d’extrême orient.

    J’utilise personnellement l’expression « catastrophe-métamorphose » pour caractériser une crise. On n’en sort pas comme on y est entré. C’est la métaphore de la chenille devenue papillon. Entre deux étape c’est la « purée de pois ». On ne peut deviner ce que le monde, la société et notre avenir personnel, vont advenir. La posture de disponibilité nous impose d’accepter l’incertitude. A la différence des cultures juives ou musulmanes, la culture catholique dominante cherche à fuir l’incertitude et donc favorise la posture de devancement : ne pas être surpris. La « catastrophe » fait référence dans mon imaginaire à la mathématique des plis ou des bifurcations de René Thom.

    Le second témoignage concerne le management de soi et de ses relations aux autres. J’utilise pour cela la métaphore du fleuve. Il y a le fleuve qui coule dans son lit, un canoë et une personne qui conduit le canoë. Ce qui représente le temps , son écoulement n’est pas le fleuve mais son lit immobile qui va du haut de la montagne vers la mer. Évidemment le terrain peut être secoué par les tremblements de terre, les fameuses ondulations gravitationnelles
    du temps. Le fleuve ne représente pas le temps mais le flux d’informations qui nous submerge. Au milieu le courant est le plus fort. Parfois vers les berges ou proche d’un obstacle le courant
    s’inverse et permet une courte remontée. Si le lit est contraint et resserre le fleuve, ce dernier va accélérer.

    Le management de soi va impliquer plusieurs postures. Si devant obstacle ou chute d’eau se présente, le pilote va devoir être en posture de devancement, anticiper la trajectoire. C’est l’usage du rétro planning. Pour pouvoir prendre appui sur le cours d’eau, il va accroître sa vitesse et ainsi contrôler la trajectoire. Avant cela il peut faire le point et immobiliser son canoë derrière un obstacle. C’est le management circulaire : le bilan et la régulation du parcours à effectuer de temps en temps. Le rameur peut remonter le cours du fleuve grâce aux contre courants informationnels : il va partir dans un voyage mental à la recherche des souvenirs. La notion d’accélération du temps devrait être remplacée par l’accélération du flux d’informations et simultanément de la fréquence des décisions vitales à prendre. Nous pouvons être prisonnier du flux d’informations, à être toujours en posture de devancement pour réduire les dangers et l’incertitude, au risque de perdre des opportunités. La posture juste consisterait à se donner
    des moments variés :
    – de pilotage bilan : arrêt sur image, faire le point.
    – d’anticipation pour contrôler la trajectoire
    – de travail sur les souvenirs utiles – l’écriture du livre d’or de ses réussites
    – de disponibilité à ce qui est et ce qui advient : contemplation saisir les opportunités propices à la rencontre
    – de choisir une succession de parcours lents, rapides engagés, calmes et sereins, etc.

    Le temps subjectif, ressenti possède une épaisseur, une intensité. C’est la pleine attention que l’on peut porter à l’instant présent dans la contemplation, ou l’émerveillement ou alors dans un geste créatif en pleine concentration. L’activité, le trop d’activités accélère le ressenti du temps qui passe. Alors que l’ennui le ralentit l’immobilise. La grande intensité de l’instant vécu, d’un
    moment qui nous enthousiasme n’a rien à voir avec un quelconque ralentissement ou une accélération. C’est un moment pleinement vécu.

    Pour sortir de la sensation d’accélération au flux d’informations que l’on accepte de subir, pour sortir de la dictature des agendas et des interruptions numériques, nous avons besoin d’apprendre à vivre dans des temporalités variées, d’apprendre à traverser des cultures autres pour changer nos regard sur la vie qui s’écoule en nous. Ne pas être figer dans le « tout est immobile » du « sujet » ni dans le « tout est relationnel » de l’impermanence bouddhiste. La question n’est pas de s’immobiliser dans un extrême ou l’autre ou encore dans un juste milieu. Mettre en
    tension les deux extrêmes serait sans doute plus approprié.

    C’est la prise en comte de la pensée de Sénèque se conjuguant avec celle de Héraclite qui peut nous aider. Ne pas chercher à changer de culture comme mettre la tête d’un mouton sur un corps de chèvre qui ne serait que chimère. Mais regarder ce qui nous a construit, « se libérer du connu » (Krishnamurti) regarder d’un point de vue extérieur à la culture occidentale (chinois,
    bouddhiste, juif, musulman …) pour trouver les mots dans notre langue propre afin d’exprimer nos ressentis, de les partager et de les faire évoluer si besoin.

    Sénèque : La brièveté de la vie – la vie se divise en trois temps : le passé le présente et l’avenir. Le présent est court, l’avenir incertain. Le passé seul est assuré car sur lui la fortune a perdu ses droits. Et il n’est au pouvoir de personne d’en disposer de nouveau. C’est ce que l’on peut exprimer par un « passé accompli » qui ne se prolonge pas de façon contraignante dans le présent.
    Héraclite : Ne pas oublier « par où passe le chemin » : il « passe » par les contraires.« C’est le même chemin qui monte et qui descend ». « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ». Non seulement parce que l’eau n’est plus la même mais parce que l’environnement est différent et que la personne elle aussi se transforme.

    François Cheng : « Œil ouvert et cœur battant »
    Mais avec l’avènement de l’homme naît une autre type de beauté (cf la beauté physique) qu’on peut qualifier de beauté du cœur ou de l’âme. En quoi l’instant présent nous ouvre à la beauté de l’âme ?

    Surtout s’ouvrir à la rencontre de l’autre, des autres car comme le dit si bien François Jullien : « il n’y a pas d’identité culturelle ». C’est à chacun de nous d’en décider et de vivre comme bon nous semble.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Cher Jean-Claude, Nous venons d’arriver à Heraklion où je découvre ton « commentaire », dont l’ampleur me sidère ! Oui, ce furent de stimulantes RPU… A demain pour prolonger un peu, bonne nuit !

  11. Avatar de Kalmia
    Kalmia

    Bonjour!

    Ah, quel « commentaire » qui rend compte de ces rencontres iséroises!

    Merci à Monsieur Jean-Claude pour ce propos-fleuve dans lequel il me plaît d’aller prendre un bain de jouvence.

    Avec un justaucorps marqué par la notion du temps chez Gaston Bachelard, trouvé quelque part sur la plage où l’universitaire écrit quelques mots sur le sable :

    « Toute l’éthique de l’instant vécu (…) devra donc être une pratique personnelle du rythme de l’éveil et du repos, une libre éthique nos rythmes intérieurs, un travail exigeant de condensation et de dilatation, de tension, de détente, de concentration, et de sublimation de l’être. »

    En cette eau de là, impossible de ne point extraire, cette phrase du philosophe d’Éphèse, citée par Monsieur Jean-Claude :

    « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ».

    Cette phrase a été reprise par Monsieur Klein dans un chapitre où il s’interroge sur la légitimité à parler du temps. En l’occurrence, il ne résiste pas au plaisir de citer la belle anagramme qui va avec, en se référant au livre de Messieurs Enthoven et Perry- Salkow : « La vague sans fin modifiée emmène nos jeux de sable ». Formidable!

    Restons dans la vague et voyons sa nouveauté dans « Un atome de sagesse » du physicien Bernard d’Espagnat :

    « Cherchez l’Être dans la vague qui danse avec vous et dans la joie qu’elle vous apporte : loin d’être ridicule (qui le saura?) vous distancerez par là le gros des philosophes. »

    Alors, de grâce, tous en piste avec les dentelles de la fille du sud! _ :

    MICHELE TORR une vague bleue – YouTube

    Un saut dans la rivière qui suit sa vallée dans un Atlas retrouvé. Pourquoi pas?

    « Atlas » tel est cet ouvrage de M.Serres qu’il m’a offert, un jour, avec sur la carte qui l’accompagne, des mots qui parlent d’un jardin à la limite d’un département voisin. Deux décennies plus tôt, en face du jardin, de l’autre côté de la rue, une rencontre avec « l’inconnu »…

    Atlas. Quèsaco? Un livre sur les « Prolongements » liés à cette question : Où être? Un livre sur les « Propagations » avec ces questions : Que faire? Qui être? Un livre sur le « Prochain » qui s’interroge : « Comment faire? Par où passer pour aller où?

    Un livre à lire entre la pluie et le beau temps dans « la ronde ailée du temps » qui nous invite en ses lettres permutées à se délecter de « la madeleine de Proust ».

    Si « ailleurs est la vraie vie » puisse notre voyageur interroger, là-bas, Amnisos, sur les berges où « la rivière suit sa vallée » pour nous donner l’esprit de ce jeu de l’être!

    Une pentecôte en ce début d’automne. Imaginons au Sofia Hôtel, un passant inspiré, un passager instruit, un passeur ardent…
    Sur un fond de toile grise…Mille colombes?

    Kalmia

  12. Avatar de Gérard
    Gérard

    Bonsoir!

    Je reçois, ce soir, un courriel ou plutôt une réponse d’un professeur cité sans être nommé par Kalmia, dans un commentaire précédent.

    Cette brave personne m’invite à lire  » Le grand instant » d’un poète qui fut Inspecteur dans l’Éducation nationale, né à Bar-sur-Aube, comme Gaston Bachelard, auteur de « L’intuition de l’instant ».

    M. Bougnoux le connaît sans doute, auteur et directeur entre autres de :

    Aragon, la mémoire et l’excès, Champ Vallon, collection « Champ poétique », 1997.
    Directeur de publication des deux volumes des Œuvres poétiques complètes d’Aragon pour la bibliothèque de la Pléiade.
    Postface à Elsa, Aragon (poésie/Gallimard) ; préface à Lionel Ray, Comme un château défait (poésie/Gallimard),

    Mon correspondant m’écrit :

     » (…) la question de l’épaisseur de l’instant me paraît en effet décisive, tant elle engage, sous des dehors anodins, une question psychologique et éthique cruciale.

    Il est certain qu’à Bar-sur-Aube est née une pensée forte, éloignée certes des cadres académiques, mais qui, pour cette raison même, la questionne de façon libre et vivifiante. » (Fin de citation de l’extrait du message)

    A cet instant, là-bas, à qui, à quoi pense notre randonneur? A la possibilité d’inclure le poème et le théorème?

    C’est une affaire de gens instruits, on le sait, on le sent bien! Que vient faire, alors, Kalmia soi-disant fermière, en ce « Tourlourou » des universitaires?

    La Madelon tout simplement. J’en rigole, mais j’ai peut-être tort, bonnes gens.

    Je ne sais si la politique du temps qui court va me contredire (On ne risque rien, elle a autre chose à faire, palsambleu!) mais je trouve délicieux ces quelques mots de Gaston Bachelard :

     » (…) au lieu du temps mâle et vaillant qui s’élance et qui brise, au lieu du temps doux et soumis qui regrette et qui pleure, voici l’instant androgyne.Le mystère poétique est une androgynie. »(Fin de citation)

    On aimerait savoir ce qu’en pensent vos « Bérénice », Messires!

    Bonne nuitée

    Gérard

  13. Avatar de .LEON
    .LEON

    Spartacus, alias LEON, et vice vers ça,

    Bonjour !

    « de l’abyssal se découvre à portée de regard ou de main moyennant un écart, un hasard, un lapsus dans le cours ordinaire » / …/ « nous passons à côté du réel, nous nous ouvrons difficilement à une altérité trop radicale. Mais fugitivement, furtivement, de l’inouï se faufile, et peut nous bouleverser. »

    Ce qui est arrivé qui a changé notre temps et notre vison du monde, c’est que le docteur Sigmund Freud avait commencé par dire (par approcher de ) la réalité au sujet de l’inceste et des attentats sexuels perpétrés sur les enfants et leurs graves conséquences psychopathogènes dans un livre publié en 1895.
    Freud l’a renié quand il s’est rendu compte qu’il n’avait pas intérêt sur le plan financier et pour le devenir de sa carrière de poursuivre dans cette voie; qu’il lui serait bien plus profitable de trouver le moyen de d’invalider ses premières constatations de façon à se trouver du côté du manche plutôt que celui de la cognée (Cf: J.M. Masson « Le réel escamoté » et Marie Balmary « L’homme aux statues », sous-titré « La faute cachée du père », deux livres que les psychanalystes français se sont empressés de faire semblant d’ignorer, avant de les dénigrer)

    Ca va bien à l’animatrice de « ça commence aujourd’hui » (Faustine Bollaert) sur Fr2 de dire qu’il n’y a pas de honte à parler de ce qui vous est arrivé dans l’enfance quand vous avez subi une agression sexuelle de la part d’un parent ou d’une personne « ayant autorité », alors que CCA n’a pas honte de censurer les propos des psychanalystes freudiens qui ont prétendu durant plus d’un siècle, malgré l’évidence du contraire, que « les comportements réels de type incestueux sont infiniment plus rares que les fantasmes incestueux, ce dont la psychanalyse a permis d’en comprendre la génèse et la signification » (dixit le cacique Roger Perron sur l’inceste à la page 801 du tome I du « Dictionnaire international de psychanalyse »*, paru chez Calman-Lévy en 2002.

    Cela dit je réponds aux cas dont CCA a suggéré hier de vouloir prochainement parler, à savoir que « un de mes proches a été à l’origine d’une rumeur à mon sujet et que cette trahison a eu de lourdes conséquences sur ma vie »

    Et d’autre part que « j’ai découvert un lourd secret de famille sur le tard, et que cette révélation est venue tout bouleverser »

    Je suis à la disposition de CCA pour venir en parler amicalement.

    Amicalement.

    PS : J’ai vécu ce qu’ a vécu votre invitée de ce jour, non pas avec mes grands-parents, mais avec mes parents après qu’ils ont été « abandonnés » par leurs médecins.

    * Plus exactement Roger Perron y écrit : « il ne faut évidemment pas confondre les fantasmes incestueux, présents chez tout être humain, et les comportements réels, de type incestueux, infiniment plus rares; il reste que leur abord psychanalytique a permis d’en comprendre beaucoup mieux la genèse et la signification ”.

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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