« The Fabelmans », naissance d’une passion

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Le dernier film de Steven Spielberg The Fabelmans, largement acclamé, se regarde avec plaisir, d’autant plus qu’il recoupe pour moi plusieurs enseignements de mes (défunts) cours d’information-communication. On sait, puisque les comptes-rendus de ce film ont copieusement occupé la presse cette semaine, que Spielberg y retrace comment le don d’une caméra super-8 à l’âge de huit ans enchanta son enfance, et façonna le réalisateur qu’il est devenu. A travers des mises en scène plus que tâtonnantes de l’horreur (le gamin emmaillote ses soeurs de papier-toilette pour en faire des momies vivantes), ou du champ de bataille (une patrouille de soldats pris dans une embuscade), il est en effet assez touchant de suivre les esquisses d’inoubliables séquences qui n’ont pas fini de nous faire frissonner, des Dents de la mer à  Il faut sauver le soldat Ryan… Ceci annonçait donc cela !

On sourit du chemin parcouru, et de l’éclosion précoce d’une vocation encouragée (accompagnée) par sa famille. L’enfance de l’art constitue souvent une bon sujet, quand un écrivain parvenu à la pleine possession de ses dons se retourne sur ses débuts, comme Sartre dans Les Mots ou Aragon dans Le Mentir-vrai, ou comme ici quand un grand réalisateur attend l’âge de 75 ans, et la mort de ses parents, pour rendre hommage à cette famille aimante, et évoquer avec tact les drames et les non-dits de sa précoce formation.

Si j’étais encore en âge d’enseigner, je me servirais de ce film, lui-même didactique et linéaire, pour examiner deux ou trois fonctions majeures des images et des scenarios qui font l’étoffe de nos émotions cinéphiliques.

The Fabelmans s’ouvre par la première séance à laquelle assiste l’enfant Sammy, que ses parents entraînent à une projection de Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. de Mille ; elle le confronte à la scène d’horreur d’un accident de chemin de fer, la collision de deux trains et d’une voiture projetée en l’air. Images spectaculaires à souhait, insoutenables si l’on s’identifie aux passagers de la voiture, et qui ont de quoi empoisonner de cauchemars les nuits  du trop jeune et sensible Sammy. Mais deux jouets sont là pour  atténuer et réparer le traumatisme, un train électrique où, avec l’aide de son père, l’enfant va reconstituer l’épouvantable catastrophe ; et surtout la petite caméra, avec laquelle il va inlassablement rejouer, et dans cette mesure apprivoiser, la terreur de l’accident.

Une grande leçon se dégage de cette première partie, qui vaut généralement pour ce que nous appelons confusément la catharsis, ou l’accès au symbolique : la représentation (sa construction et sa maîtrise) apportent par elles-mêmes une réparation aux blessures trop pressantes ou débordantes du réel (ou de ce que l’enfant prenait pour tel à sa première séance de cinéma). Qu’est-ce par exemple qu’un cauchemar, comment le faire entrer dans le credo freudien du rêve-comme-réalisation-d’un-désir ? Est-ce pure perversité de l’esprit s’infligeant à lui-même une blessure gratuite, masochiste ? Ou plutôt façon, pour notre conscience, de re-présenter une énième fois cette scène,  ou cette situation, que nous avons échoué à maîtriser dans le réel, qui a une fois écrasé nos facultés, et que par la représentation (psychique, filmique, narrative) nous tentons enfin de surmonter par le détour de la mise en scène et du jeu ?

« Même pas mal ! » Une bonne part de l’art sans doute trouve son origine dans cette ré-itération symbolique d’événements qui auraient pu nous terrasser, mais que nous maîtrisons a minima par ce détour sémiotique. Je songe à cette fable du chat, qu’un affreux géant  terrorise, et qui a le don de se changer en n’importe quelle créature, chiche propose le chat, je parie que tu ne peux pas te transformer en souris ? Ce que le géant aussitôt réalise, à la suite de quoi le chat s’en empare et croque sa proie ! Pourquoi des films d’horreur ? Pourquoi ces cauchemars qui nous font frissonner au fond des lits ? Sinon pour apprivoiser la terreur, ou réparer par notre pouvoir d’articuler des mots ou des images, qui miniaturisent nos peurs,  ces scènes qui auraient pu nous détruire, alors qu’elles nous procurent à présent un secret triomphe ?

L’image, cinématographique mais pas seulement, a donc ce premier et merveilleux pouvoir de la catharsis : en re-présentant, elle éloigne la présence et surtout, dans le cas de Sammy guidé par son père, nous met en mains la fabrique du trauma, sa reconstitution.

Mais un épisode suivant, crucial au cœur du film, va toucher au secret de famille et à sa révélation par le cinéma. Sammy, désormais adolescent (magnifiquement interprété par Gabrielle LaBelle), est prié par son père Burt (Paul Dano) de préparer une bobine de souvenirs de camping qu’ils projetteront en cadeau pour leur mère ; et c’est alors que le garçon, penché sur sa table de montage, est saisi d’effroi en apercevant, à l’arrière-plan des scènes de jeu entre ses sœurs, sa mère s’éclipsant avec leur « oncle » Benny (le meilleur ami de Burt) pour quelques furtives minutes de flirt – tandis que résonne dans le salon voisin l’adagio du concerto en ré mineur de Bach que Mitsy la mère (Michelle Williams) répète au piano. C’est la deuxième grande leçon de l’image, photographique ou filmique, celle qu’on nommera depuis le classique film d’Antonioni l’effet Blow-up ; soit ce qui distingue rigoureusement l’image photographique de la peinture. Alors qu’un peintre figuratif, sur sa toile, ne dépose que ce que sa tête conçoit ou symbolise (au prix donc d’une forte coupure sémiotique entre le motif à peindre et son résultat artistique), l’image photographique ou filmique engouffre une quantité de pixels qui débordent largement les attentes de l’opérateur ou les limites de son « champ » intentionnel : en prise directe sur le réel, cette image est indicielle, elle fonctionne comme une empreinte, sans en passer comme la précédente par le tamis d’une préalable et mentale re-présentation. Et c’est pourquoi une photo (a fortiori une séquence filmique ou vidéo) peuvent valoir comme preuve de réalité ; leur statut indiciel ne peut pas ne pas véhiculer une part de réel. On objectera qu’on peut truquer ces images, bien sûr ! Alors que nul, pour la même raison, ne songerait à truquer un tableau, qui est déjà tout entier trucage : on peut peindre les anges, on ne peut les filmer ou les photographier.

Au cœur de The Fabelmans, Spielberg met donc en évidence un deuxième grand pouvoir de l’image au cinéma, sa vertu réaliste voire documentaire. Car tout film de fiction conserve ou emporte avec lui une immense réserve de « documents »  – la distinction de la fiction et du documentaire méritant d’être méditée, mais ce n’est pas ici mon sujet.

Une troisième fonction de l’image filmique  enfin se trouve dans ce film distinguée et célébrée, à l’occasion de la dernière étape du scénario. La famille transbahutée par le père, au gré de ses successives et méritoires promotions d’ingénieur en informatique, se pose pour finir en Californie, et c’est un lieu d’épreuves  pour Sammy qui affronte dans son nouveau collège de dures brimades antisémites venues de jeunes brutes arrogantes ; tandis qu’à la maison, ses parents inévitablement s’orientent vers un divorce. Le jeune homme, traumatisé par les pouvoirs de révélation de sa caméra, a abandonné celle-ci, mais il va se persuader de la remettre en service à l’occasion d’une fête de fin d’année du collège qu’on lui propose de tourner sur la plage.

Pris entre le désir de plaire à une fille, et celui de mettre dans son jeu son agresseur du lycée, il enregistre (et monte) des scènes qui vont faire hurler de joie les acteurs improvisés qui se découvrent pour la première fois à l’écran. Degré-zéro de la cinéphilie : j’aime le film qui me prend pour acteur, ou qui me montre tel que je ne me voyais pas moi-même, tel que je ne pouvais me représenter. Ici encore, des scènes franchissent la barre de la représentation, et c’est pour le collège une vraie fête de se découvrir collectivement (dans ce cadre pas très éloigné de Hollywood), ils sont devenus les personnages-héros d’un show inattendu, dont ils ne se savaient pas capables. Ils accèdent, dirai-je en écho à des analyses de mon livre Génération Woody, à l’image auratique d’eux-mêmes, ils entrent dans le scintillant à la faveur de cette caméra (ou grâce à ce cinéaste) qui dédoublent leur monde !

On connaît la célèbre définition par Walter Benjamin de l’aura, « l’unique apparition d’un lointain ». Elle s’applique il me semble à ces apparitions écraniques,  lointaines puisque nul ne peut plus les toucher, enregistrées qu’elles sont une fois pour toutes dans le scintillant, qui transforme littéralement en star le moindre de ses hôtes ; c’est moi ici et en même temps là-bas, peut se dire chaque collégien, excité et ravi par la puissance de sublimation de l’image ainsi montrée. Accéder à l’écran, c’est agrandir son personnage, ou derechef dédoubler sa vie.

Soit trois fonctions de l’image cinématographique, c’est-à-dire indicielle, la catharsis, la loupe grossissante réaliste, et un effet d’aura qui magnifie ceux qu’elle touche. Très pédagogiquement, Spielberg met son histoire à la disposition de nos classes, qui étudieront avec profit son film. À chacun, à partir de là, de réfléchir à ce que deviennent ces trois effets traditionnels de notre vidéosphère, également remarquables et secourables (mais désormais archaïques ?), avec l’avènement des nouvelles technologies, du numérique, de la multiplication des écrans et des « effets spéciaux ».                

15 réponses à “« The Fabelmans », naissance d’une passion”

  1. Avatar de Aurore
    Aurore

    Bonjour !

    D’abord cette petite observation sans doute sympathique d’un ami, lecteur régulier du blogue.

    Pour lui, c’est un passe-temps pour la petite bourgeoisie parisienne et provinciale qui lit « La Croix » mais totalement déjantée par rapport aux soucis du peuple.

    Il me dit que le peu de contributeurs est là pour « faire le buzz ».

    Je ne connaissais pas cette expression, alors je me suis précipitée sur Internet pour savoir ce que ça veut dire.

    Voici le résultat :
    Quelle est la définition de l’expression faire le buzz ?

    L’expression faire le buzz veut dire « faire beaucoup parler de soi, en particulier via Internet, via les réseaux sociaux ». On l’emploie en parlant d’un sujet qui se répand dans les conversations, qui touche un très large public.

    Le sujet en question peut avoir été créé dans le but de faire le buzz ; on a alors affaire à une technique de marketing, qui repose sur le bouche à oreille. Il peut aussi s’agir de quelque chose qui échappe à son créateur, qui se répand énormément, devenant éventuellement un mème.
    D’où vient l’expression faire le buzz ?

    Quand cette expression est apparue en français à la fin des années 2000, surtout dans le langage des médias, il était souvent question d’une vidéo virale, d’un contenu diffusé via le web dont beaucoup de médias traditionnels finissaient par rendre compte également.

    L’expression est construite autour du mot buzz, emprunté à l’anglais à la toute fin du XXe siècle. En anglais, ce mot désigne littéralement le bruit de bourdonnement des abeilles. Dans un sens figuré, en anglais, buzz signifie « sujet de conversation, pouvant reposer sur des rumeurs, qui se diffuse largement et qui crée un certain emballement ».

    Ce sens du nom est très lié à l’emploi verbal imagé du même mot : to buzz, c’est « parler d’un sujet en petit comité en ressentant de l’excitation ». Fin de citation.

    Alors maintenant, Jacques, Assé, Kalmia, Roxane et les autres, tenez vous à carreau, si vous ne voulez pas être mangés par les mèmes, non d’un petit bonhomme!

    Revenons au film comme d’autres reviennent à la maison, à l’instar de E T l’extraterrestre…

    Une ode au septième art, bien sûr, et inauguration d’une enfance perdue du nabab incontournable.

    Tout a été dit sur ce film en ce beau monde mais le randonneur va plus loin et c’est ça qui m’intéresse.

    Il nous parle d’aura en citant Walter Benjamin, et bien qu’auréole, elle porte dans la lumière des corps la présence ombreuse ou obombrante de l’âme. Et d’ajouter qu’on ne photographie pas les anges…Soit! Et si, pourtant, le déclic se faisait le révélateur de la nature atomique de l’âme?

    Ce n’est pas faire du buzz que de poser la question, et si la réponse tombe sur l’herbe verte de votre petit jardin de banlieue, faites-moi signe, j’arrive!

    Noir c’est noir, et nous cherchons l’espoir. Comment ne point s’aventurer dans Les contemplations de Victor, cher Monsieur Bougnoux, pour essayer de localiser cette bouche d’ombre ou, comme on dit, capturer son image?

    En telle matière, cher Daniel, elle a raison Louise « Il faut ouvrir des parcours inédits », au delà sans doute du collège iconique et des recherches en sémiotique de l’universitaire qui nous instruit sur la transformation thymique.

    Eh bien, cette bouche d’ombre existe !…Je connais quelqu’un que j’ai vu, un jour, avec Régis Debray quelque part au fin fond d’une campagne de notre vaste univers, qui vient d’écrire « De la bouche d’ombre », un petit traité sur la croyance et les mondes post-idéologiques. Cet ami du côté de Montfort l’Amaury n’est pas un écrivain de métier, c’est un manuel.

    Est-ce à dire qu’il suffirait d’un simple courriel, d’un coup de téléphone, sms ou autre truc du genre pour entrer dans le secret de cette bouche d’ombre ou sur la clé qui en ouvre la porte?

    La réponse n’est pas simple.

    Et pourtant, si quelque lecteur curieux veut en savoir plus, il y a possibilité de contacter l’auteur.

    En tel cas, par le maître du blogue, je ferai passer l’information en correspondance privée.

    Il suffira d’un signe!

    Laissons l’acheiropoïète à son crayon de la nature et à son clin de paupière métallique…Puisse-t-il puiser dans le cent d’encres des nouveaux mystères de l’espace et du temps, les couleurs de « l’espérance » dont les lettres permutées disent « la présence. »!

    Aurore

  2. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Répondre au faux-ami qui se cache sous le pseudo d’Aurore pour travestir un échange e-mail envoyé à lui seul.

    Certes, maîtriser le langage dans toute ses complexités reste un enjeu difficile dans des échanges verbaux.

    Et je ne vois que l’éthique en amitié pour ajuster ceux-ci. Au risque de l’incompréhension et de la rupture.

    Amusons-nous au pays de Molière ! Voilà que ce faux-ami tord ma pensée pour me faire dire : «  que le blog est un passe-temps pour la petite bourgeoisie parisienne et provinciale, qui lit « La Croix », mais totalement déjantée par rapport aux soucis du peuple ».

    Ce à quoi je lui indique qu’en ce qui concerne de vraies critiques à faire sur le blog, je suis assez mature pour les prendre en charge moi-même.

    Je vous ai souvent dit mon plaisir de vous lire, Daniel. Et je le maintiens … Je peux entendre vos coups de cœur pour Woody Allen, Léonard Cohen. Imperméable à l’anglais, comment voulez-vous que je goûte la prose de votre chanteur préféré ? Je souris de vous voir écrire que vous comparez ces textes au Cantique des Cantiques. Et par courtoisie, je me contente de ne pas coïncider à votre doux dėlire !

    Quant aux réponses des contributeurs … il y a peu à mon goût de lire des épanchements verbaux qui s’enroulent sur eux- mêmes, avec une musique qui me lasse.

    A lire, pour vous, Aurore …

    qui recevez de mon faux-ami ce que je n’ai jamais écrit. Quant au buzz, c’est juste « faire du bruit pour se montrer et se faire valoir ».

    Hèles … hélas qui nous redit que les réseaux sociaux sont aussi d’utilisation mensongère et perverse ?

    A fuir, définitivement ! Mais avec le regret de la perte d’ échanges cordiaux qui ont leur place dans l’existence.

    Je précise cependant
    – Que dans les vraies valeurs d’une bourgeoisie parisienne et provinciale est un certain art de vivre avec ėlégance, sans tapages !!!
    – Lire la « La Croix » pour sa ligne journalistique avec le respect et la mise en valeur de l’humain, personnes et événements
    -un journal déjanté par rapport aux soucis du peuple ??? Déjanté … Qu’est- ce que ça signifie ?

    Allons … « Non coltivare un sacco di riampianti. ».Un sac de regrets ? Pfutt !

    Joli soleil d’hiver, ce matin à partager aussi.

    Cécile d’Eaubonne

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Je salue, chère Cécile, votre retour sur ce blog ! Et je m’étonne (je ne m’insurge pas) de votre qualificatif de « doux délire », touchant mon dernier billet sur Leonard Cohen. Dont vous n’entendez hélas pas la langue (très difficile en effet). Je maintiens qu’une part de sa poésie et donc de ses chansons s’apparente au Cantique des cantiques, c’est-à-dire au projet de réunir l’amour sexuel et l’amour de Dieu. Une ambition qui ne va pas sans dégâts, comme je le développerai dans un prochain billet, où je tenterai de mieux comprendre l’insatisfaction constante de Cohen, qui ne s’engagea durablement dans aucune de ses liaisons, ou qui multiplia celles-ci très au-delà de l’ordinaire… A suivre donc, accordez-moi un peu de crédit, et de patience.

  3. Avatar de Gérard
    Gérard

    Bonsoir, chers amis connus et inconnus du blogue de Monsieur Bougnoux!

    Mais quel plaisir et aussi quelle belle surprise de voir revenir ici même, dans nos colonnes, Madame d’Eaubonne!

    Plus d’un d’entre nous se souvient encore de la pertinence de ses arguments, de sa réplique intelligente et de l’élégance de son propos.

    Monsieur Spartacus, un redoutable gladiateur qui a croisé le fer avec la gente dame, confirmera, j’en suis sûr, ses réelles qualités d’intervenante intrépide qui maîtrise parfaitement son sujet de discussion.

    Je subodore que Mme ou M.Aurore sera d’accord avec ce témoignage élogieux fort mérité à son endroit.

    Dans l’arène, ce jour, Mme d’Eaubonne interpelle notre estimé et vénérable César et, sur-le-champ, icelui d’exprimer de sa tribune, son étonnement.

    Vous avez dit délire? Et si le mot était juste…Délirer, selon Joseph Delteil ( L.Cohen avait 44 ans quand il s’en est allé), c’est sortir de l’ornière, c’est sortir des normes et des proportions pour entrer dans un champ plus vaste; larguer les amarres et entrer pour de bon dans le Grand Rapport.

    Mais quel rapport la multiplicité des rapports sexuels de Monsieur Cohen avec le Grand Rapport ou le Désir total de Joseph Delteil?

    Si j’avais eu l’argent pour faire le grand voyageur, un jour d’hiver deux mille seize, je serais allé à Paris, écouter

    quelques médiologues débattant sur « Eros aujourd’hui » et, peut-être, aurais-je posé la question…Qui sait!

    M.Régis Debray, sans doute, aurait insisté sur l’impudique assaut qui menace dans ses mouvements spirituels les plus intimes, notre civilisation, et Monsieur Daniel Bougnoux aurait défendu avec Aragon le doux-amer du secret et du discret sur la chose.

    Et passent les années…Voyez maintenant où nous en sommes, bonnes gens!

    Au mitan des années septante Emmanuel Mounier, cité par Jacques Delors, écrivait :

    « Une révolution pour l’abondance, le confort et la sécurité, si ses mobiles ne sont pas plus profonds, conduit plus sûrement après les fièvres de la révolte, à une universalisation de l’exécrable idéal petit-bourgeois qu’à une authentique libération spirituelle. »

    Face au désastre actuel, que peuvent réellement faire pour que « ça change », les gens qui jouent et travaillent avec les mots? Notre randonneur, professeur en retraite, ne fait pas son blogue pour passer le temps et les contributeurs qui donnent un peu de leur temps pour dire leur mot, ne participent pas pour la gloriole. Il s’agit bien, ensemble, d’essayer de trouver un sens à notre existence.

    Réunir charnel et spirituel n’est pas chose simple. De bons centurions, faiseurs de livres, peuvent nous éclairer, bien évidemment! Il faut aussi, me semble-t-il, faire un effort pour écouter les cris à l’intérieur des terres qui ne s’entendent pas dans les manifestations de rues ni sur les plateaux de télévision.

    Imaginez au salon de l’agriculture (je ne dis pas de la terre) qui bat son plein, actuellement, un bûcheron (je n’écris pas Boucheron) lecteur ou non de Machiavel, interpelant Jupiter dans les allées de cette vitrine (je ne pense pas vie trine) sur la perte de sa cognée et l’implorant pour la retrouver! Le pauvre serait envoyé sur-le-champ aux Baumettes, palsambleu!

    Déterrer la hache de la mémoire pour oser prendre la bastille du savoir, sans oublier de détourner notre regard face à ces noms de criminels de génocide, honorés encore – Quelle honte! Quelle infamie! – sur nos places publiques.

    Puisse dans ses limbes, Léonard Cohen nous inspirer le titre d’un film formidable : »Revivre » peut-être…

    Quelque chose de giralducien comme « Le cantique des cantiques », par exemple, pour sauver notre république des âmes mortes?

    Faut pas rêver! Alors autant en rigoler sans tomber par terre ni dans le ruisseau.

    Ainsi soit-il!

    Gérard

  4. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Bonjour, Daniel
    Pas de traces du message de dimanche matin ? Sans doute égaré dans les étoiles de l’Internet ! … Dommage ! J’exprimais mon bonheur de lire votre texte ci-avant.

    J’en reprendrai le contenu, avec l’intention de me l’approprier davantage. Et d’y puiser encore le délice d’entrer plus avant dans un partage intellectuel qui agrandit mon horizon.
    Merci au passeur de celui-ci
    !
    En parlant de doux délire, j’ai tenté de vous taquiner, sans vous brutaliser. Sauf que c’est moi qui finissait par ressentir la médiocrité de mon «  English ». Impression pesante qu’un monde de beauté, de douceur m’était interdit. Me suffit la profondeur incommensurable du «  Cantique des cantiques ».

    « Chacun juge les événements d’un point de vue extérieur à lui … ». Citation de Giraudoux dans Électre.

    Et cela entraîne toutes les contradictions et méconnaissances du monde actuel.

    Un monde que je tente de comprendre, sans les raideurs qui bloquent une préhension intelligente de ce qui me reste étrange par nos histoire et culture différente.

    Cours de médiologie générale de Régis Debray. Un choix des cadeaux de Noël, livre sorti du centre international pédagogique de Sèvres. A la revente pour 2nd lecteur, à quelques euros. Waouh !

    Mieux percevoir un monde qui bouge, que l’on occulte avec sa toute petite main. Oui … entraînez- nous encore dans l’univers des films, de la chanson. Et de tout ce qui est Culture …

    Des complicités, des résonances … un art que vous savez largement déployer.

    Mon commentaire

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Non Cécile, je n’ai pas trace d’un envoi de vous dimanche dernier – refaites-le s’il vous plaît, sur ma boite mail ou sur ce blog ?

  5. Avatar de Aurore Narsès
    Aurore Narsès

    Bonjour!

    Vous parlez de vos difficultés d’envoi et de réception de vos courriers électroniques.

    Êtes-vous sûrs qu’ils ne tombent pas dans les spams ? Cela m’est arrivé récemment et sans l’attention conseillère d’un correspondant avisé, je ne les aurais pas lus. Vérifiez, on ne sait jamais!

    Oui, pleinement d’accord avec vous, Gérard, Mme d’Eaubonne a de grandes qualités intellectuelles et, comme vous, je suis ravie de son retour.

    Aussi, je profite de l’occasion pour lui demander de bien vouloir éclairer ma lanterne.

    Mme d’Eaubonne vous citez « Electre » de Jean Giraudoux. C’est une pièce en deux actes, représentée pour la première fois au Théâtre de L’Athénée, le 13 mai 1937. Vous seriez fort aimable si vous pouviez me préciser, s’il vous plaît, dans quel acte et quelle scène on peut trouver la citation judicieuse, que vous faites de l’auteur.

    D’avance, je vous remercie de votre bénévolence.

    « Cours de médiologie générale » est, en effet, un livre intéressant.

    Des cours d’école aux cours de ferme, il plaira sans nul doute à plus d’un exilé.

    Bonne fin de mois de février à tous.

    Aurore Narsès

  6. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    Bonjour, Daniel
    Dans mon texte de dimanche, je ne disais rien de plus que le vif bonheur de résonner à vos réflexions sur le dernier film de Steven Spielberg.

    J’entends que vous me faites approcher un éclairage sur le conflit d’exister et de trouver place dans mon existence personnelle.

    Un challenge qui se continue tout au long de notre parcours, n’est-ce pas ! Et vous êtes vraiment doué pour cet accompagnement. Plus de chaire d’Université ? Bof … vous avez à transmettre ce que la vie a construit pour vous et nous donne à voir pour nous-mêmes.

    Essentiel dans un compagnonnage qui permet de se moquer des aléas qui nous plombent. Quant à mes critiques, elles donnent corps à ce que j’attends et reçois. Vous exprimez un ressenti joyeux sur la relation homme – femme. Et je m’en réjouis … comme un trait de lumière qui éclaire et interroge sur sa fulgurance. Perte ou gain ?

    Bonne journée. Cécile d’Eaubonne

  7. Avatar de Cécile d’Eaubonne
    Cécile d’Eaubonne

    À Aurore et son ami.

    « Cours de médiologie générale » par Régis Debray. Le livre est- il intéressant ?

    Je puise dans le dictionnaire des synonymes, un éclairage sur l’adjectif «  intéressant »
    – pertinent / valable
    – profitable/ fructueux

    Quant à lui attribuer celui d’ attrayant, il me faut parfois une dose de volonté non négligeable pour entrer dans le discours de l’auteur. Cependant quand le sens s’affine, je ris beaucoup de dépasser l’obscur du jargon universitaire.

    Voyez avec moi !
    Propositions pour une médiologie civique, page 302 à l’alinéa 6
    Il s’ensuit qu’une théorie du «  changement social » ne peut plus se dissocier, comme contenu valable en soi, des formes et des conditions matérielles de sa transmission.
    En cette matière, un ´quid sans quomodo ´ doit être répété nul et non avenu.
    Tout le monde a des vues sur la société idéale, beaucoup peuvent les exprimer, quelques-uns leur impriment une cohérence discursive.
    Mais si ces idées ne passent pas de la tête des uns à la tête des autres, il n’y aura jamais conception du monde, c’est à dire « une certaine articulation entre pratiques et représentations collectives ».

    Etc … etc …

    Mais oui, c’est fructueux d’égarer ses réflexions au grand large. Et là .. c’est du solide à décortiquer.
    Le livre acheté était au rebut. J’en fais mon miel, patiemment et à petites doses pour en extraire l’utile et le nécessaire à ma compréhension du monde de 2023.

    « Cours de médiologie générale » du professeur Règis Debray. Un parcours intellectuel à la fois revigorant. Décapant vis à vis des idées souvent simplistes, véhiculées par les chaînes de radio, Tv et autres sources, dites d’infos. A poursuivre avec beaucoup de détermination.

    Aurore,
    Je ne sais vous répondre – bénévolence ou pas – au sujet de votre demande sur le texte de Giraudoux. Quelle référence/ Pourquoi est-ce nécessaire ?

    Pour moi, dans le souvenir d’une soirée théâtrale, il y a tout à coup une phrase, une attitude, un éclairage qui retient mon attention. Ce qui va modifier un changement psychique de façon imperceptible et plus profond qu’il n’y paraît. Et ce n’est pas rien !

    Un étiquetage me ferait l’effet d’engranger un savoir inutile, sauf à concourir aux prochaines «Battle» type inter-villes d’autrefois. Émission de distractions du samedi soir que je ne fréquente pas.

    Que dire encore !

    Cécile d’Eaubonne

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Bonjour Cécile, aux dernières répliques d’ »Electre », pièce de Giraudoux, nous lisons : « Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s’appelle l’aurore ». Je serais surpris que le pseudonyme de notre correspondante, Aurore Narsès, soit sans rapport avec cette citation, et avec la région ou le pays de Giraudoux en général, quelque part du côté de Guéret, Bellac ou Bressuire…

  8. Avatar de M
    M

    Bonsoir!

    Quel plaisir de lire et de méditer un commentaire qui vous exhorte à chercher à comprendre, à avancer sur la sente parfois épineuse et malaisée de la connaissance!
    C’est ce qui m’arrive, ce soir, après avoir regardé sur France 2, le téléfilm et le documentaire sur le malheur paysan qui continue encore et encore, nonobstant les émissions de télévision, censées défendre une noble cause.
    C’est donc quand minuit sonnèrent que j’ai lu le dernier commentaire, celui de Madame d’Eaubonne adressé à Aurore et à son ami.
    « Cours de médiologie générale » (1) – L’auteur me l’a offert avec une aimable dédicace au début des années nonante.
    La citation faite par Mme d’Eaubonne est très juste, fors une petite erreur de voyelle (Il faut lire réputé et non répété).
    Cher Monsieur Spartacus, si vous lisez la page qui suit, à savoir la page 303, vous y apprendrez que vous n’êtes pas médiologue et que la naïveté est une vertu roborative.

    On pense à la pièce de Jean Giraudoux dont il est question dans ces commentaires.
    Clytemnestre répliquant : « Cesse d’être ce juge, Electre. » (Acte II, scène V)

    On a fait l’éloge, jour du compliment oblige, du film en titre du présent billet, hier, sur la chaîne libre de TV qui pousse les feux de l’espérance, et regardée par des millions de français attachés à la notion de mémoire et sans doute, aussi, à certaines valeurs.

    Je vous souhaite une bonne nuit.

    M

    (1) Ce beau livre coûtait 120 F à l’époque de sa sortie et la baguette de pain 3,15 F.
    Aujourd’hui, la même baguette coûte 0, 93 e.
    Le livre n’a pas de prix pour les anonymes, les silencieux qui « travaillent » leur liberté.

  9. Avatar de Guillaume Bardou
    Guillaume Bardou

    Bonjour, je vous cite M. Bougnoux :

    « Pourquoi des films d’horreur ? Pourquoi ces cauchemars qui nous font frissonner au fond des lits ? Sinon pour apprivoiser la terreur, ou réparer par notre pouvoir d’articuler des mots ou des images, qui miniaturisent nos peurs, ces scènes qui auraient pu nous détruire, alors qu’elles nous procurent à présent un secret triomphe ?
    L’image, cinématographique mais pas seulement, a donc ce premier et merveilleux pouvoir de la catharsis : en re-présentant, elle éloigne la présence et surtout, dans le cas de Sammy guidé par son père, nous met en mains la fabrique du trauma, sa reconstitution. »

    Et maintenant cette définition, prise sur le web :
    « Quel est le sens du mot catharsis ?
    Nom commun. (Théâtre) Purification des passions (selon Aristote) chez le spectateur d’une représentation dramatique. La catharsis fait intervenir une représentation d’un acte réprimé (par la morale, voire par la Loi) ainsi que sa punition, et c’est cette représentation qui dégoûte le spectateur de sa passion. »

    J’en conclus :

    Si dans les films à prétention moraliste la punition est absente, la catharsis n’est pas complétée donc pas faite.

    Dans les films à prétention réaliste, il n’y a pas de morale et de punition à attendre.

    Dans les films d’imagination et spécialement les films d’horreur, Il n’arrive jamais malheur à un monstre ou un être invraisemblable du fait de son action car il faut être humain pour pouvoir être puni. Dans les films d’horreur la catharsis est impossible. Ces films ne rendent alors pas service au spectateur. Ils le captivent et le détruisent, pour de l’argent dans la poche de leurs auteurs et une « éphémérité » fulgurante.

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Bonjour Guillaume, Je ne suis pas d’accord avec cette acception restrictive de la catharsis. Certes, le mot en doctrine aristotélicienne implique la « purgation des passions » ; mais il couvre aussi, à mon avis, les soulagements que l’on peut attendre d’une re-présentation a minima d’un trauma, pour permettre à notre esprit de l’assimiler ou de se montrer le plus fort. C’est le cas du cauchemar, mais aussi des représentations d’horreur, ou des scénarios masochistes, etc. Il s’agit à chaque fois d’apprivoiser le trauma, de le rendre acceptable. Ce qui cadre bien je trouve avec le premier épisode de « The Fabelmans ». J’ai discuté ces mécanismes dans mon livre « La Crise de la représentation » (poche La Découverte), je n’y reviens pas en détail ici.

  10. Avatar de Jacques
    Jacques

    Bonsoir!

    Je vous ai lu, Monsieur Bardou, Monsieur Bougnoux, et je me suis plu à rouvrir le livre de référence.

    Le hasard a voulu que je trouve le marque-page au chapitre intitulé « On s’empare d’une scène » où il est question de « Catharsis » et surfaces de réparation. De la fragmentation du trauma « ou » son application métonymique constituent une autre réponse : on y traite le mal par le mal en se l’infligeant à dose homéopathique.

    Et notre auteur, maître des lieux, de voir quelque signifiance dans la mise au point en même temps de « l’ation parlée » du magicien de Palerme et de la psychanalyse de Freud.

    Aussi, en ces pages, il soupçonne (avec d’autres) « représentation cathartique » d’être un pléonasme et de trouver la médecine là où l’on parlait, depuis Aristote, d’art.

    Il y a cette citation de J-J Rousseau à la fin du chapitre :  » Faut du spectacle à la république ». Eh bien, on est servi!

    Dites-moi, Messieurs qui écrivez des livres et qui connaissez tant de choses, pourriez-vous me dire où situer dans la nature, le « superbe spectacle de l’amour » par une permutation de ces vingt-quatre lettres?

    La réponse, c’est du sport…N’est-ce pas, Docteur?

    Cordialement

    Jacques

  11. Avatar de Aurore
    Aurore

    Bonjour!

    Mr Bougnoux, bien lu votre commentaire très fin et pertinent, comme d’habitude!

    Et comme d’habitude, j’irai chercher la nuance ou la variante chez Régis Debray, puisqu’il en est question.

    « Cela s’appelle le couchant, femme Narsès » (D’un siècle l’autre, page 149)

    Laissons maintenant parler le spectre d’Intermezzo « Acte III, scène 4 :

    « Adieu Isabelle.Ton contrôleur a raison. Ce qu’aiment les hommes, ce que tu aimes, ce n’est pas connaître, ce n’est pas savoir, c’est osciller entre deux vérités ou deux mensonges, entre Gap et Bressuire. »

    « Entre la poix et le néant », ajoute-t-il, un peu plus loin.

    Il y a quelques décennies, c’est Régis Debray qui m’a fait connaître cette pièce de Jean Giraudoux.

    Et mon correspondant de préciser, page 169 de son livre susmentionné : « C’est le néant qui fait l’homme libre »

    En ce domaine de la « croyance littéraire », quelque chose de mathématique peut-il sortir du vide?

    Qui saura? Qui saura?

    Essayez de me le dire.

    Aurore

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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