Debray, du rouge au vert

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               Les couleurs ont toujours fait de la politique. Il ne faisait pas bon, pour un rouge des années trente, croiser les chemises brunes, ou noires, et les Russes blancs n’étaient plus chez eux après la révolution d’octobre. Voici qu’un tournant ou un impératif vert colore autrement nos débats depuis quelques décennies ; ce qui n’était qu’une sensibilité, un pas de côté ou un choix médian aux élections, est devenu il y a peu une ardente obligation, ou une sommation capitale. Que faisons-nous, concrètement, pour enrayer la dégradation de la planète ? Quelle Terre allons-nous laisser à nos enfants ?

Fondateur d’un courant de pensée baptisé médiologie, Régis Debray aurait pu marier celle-ci avec les questions et les problématiques soulevées par les écolos. La notion de « milieu » n’est-elle pas cruciale pour tout ce qui relève d’une « médiologie », cette curiosité appliquée au rôle rempli par nos outils, nos médias et nos éco-systèmes dans l’exécution de nos performances de pensée, d’organisation ou de vivre-ensemble ? On ne fixe pas les mêmes idées par l’écriture lapidaire de la pierre, le papier-bible d’un volume Pléiade, la bande magnétique d’un entretien ou les schémas de power-point ; la diligence, le train ou l’avion ne découpent pas les mêmes territoires, donc les mêmes sentiments de proximité, d’appartenance ou de communauté ; ou encore, la société postulée par le livre diffère sensiblement des liens sur internet… Nos outils sont bien l’éco-système (souvent inaperçu tellement il va de soi) de nos états de conscience, de mémoire, de raisonnement ou de rêve ; par où la recherche ou la curiosité médiologique aurait pu coudoyer, ou nourrir, une écologie au sens large. Nos Cahiers pourtant (dix-huit copieux numéros de 1996 à 2004), puis les soixante livraisons de la revue Médium n’ont guère exploré ce voisinage, ou exploité ce croisement. Le vert, sympathique mais marginal, ne faisait pas le poids face aux urgences de l’Histoire ; ou plutôt la Nature, répétitive, privée d’histoire, n’intéressait pas l’Esprit.

               Un des axiomes de la médiologie est de ne pas séparer homo sapiens defaber ; et le faber a justement une histoire, dont sont privés les animaux. Ses outils transforment le monde, un monde toujours nouveau, malléable sous les directives de l’Esprit. Or voici que notre croissance technique, riche de tant de conquêtes à juste titre baptisées « progrès », se retourne aujourd’hui en malédiction. Une courbe de Gauss se renverse, où nos rendements s’écrivent désormais en négatif, voire en signaux d’alerte pour peu qu’on prenne en compte, comme y insistait il y a cinquante ans Ivan Illich, tous les paramètres des « externalités » de notre production économique. Et qu’est-ce que l’écologie, sinon l’économie prise au sens large, ou strictement comptable de tous ses effets ?

Le maelström de ce choc en retour heurte de plein fouet les fausses évidences de notre chère croissance, et chacun semble désormais sommé de se positionner. Oui, le tournant est bien là, et il y a urgence. Bientôt, nous annonce le GIEC, Dunkerque ou Bordeaux auront les pieds dans l’eau (et que dire de Venise ?) ; déjà 50% des insectes, ou peut-être des oiseaux, ou des papillons (on se perd un peu dans tous ces chiffres), ont disparu de nos campagnes. Rendez-nous nos coquelicots ! clamait une tribune bienvenue signée Nicoletto dans un Libé de 2018 ; et avec eux  le coassement des grenouilles, le gazouillis des merles… Car nous ne reconnaissons plus ce qui faisait l’évidence de nos randonnées d’enfant. On nous a changé la Terre.

               Bien des attitudes découlent de ce constat : le déni ou le scepticisme (maniés par Donald Trump, et il y a au fond de chacun un Trump qui sommeille, Trump face à la menace écologique semble le nom même du sommeil) ; l’angoisse, bien réelle et désormais montante ; la fuite en avant technologique, des inventions vont venir pour dépolluer les océans de leurs plastiques, repeupler la biodiversité, économiser le carbone, etc. Pour ne rien dire des plans tirés sur une planète B et les voyages sur Mars… Que penser ? Et surtout, que faire ?

               Le Siècle vert que vient de publier Debray ne tombe certes pas dans ces travers. N’ayant d’ailleurs aucune solution de type Manuel, ou « Petit livre rouge » à proposer, Régis n’écrit pas un petit livre vert… Je dirai qu’il s’étonne dans celui-ci de sa propre cécité, ou celle de sa génération : longtemps le rouge lui a servi de boussole, et le voici convoqué ou interpellé par le vert ! C’est sur ce tournant de civilisation, ou ce changement d’englobant (couverture 4) qu’il écrit ce nouvel opus : comment, en dépouillant combien de paradigmes, de réflexes de pensée, passe-t-on du rouge au vert, soit d’une pensée dominée par l’Histoire aux exigences de la Nature ? Pour ce théoricien obsédé par nos invariants religieux, il s’agit à nouveaux frais d’évaluer nos chances de salut (quels outils, quels nouveaux concepts mobiliser), ou de décrire ce qui, depuis une décennie à peine, revêt toutes les allures d’une conversion.

L’ouvrage de Debray risque donc de ne pas beaucoup retenir les écolos militants, n’apportant rien qu’ils ne sachent déjà. C’est son propre ébranlement que l’auteur nous retrace, un choc ou une tourmente qui sont évidemment aujourd’hui partagés, voire universels : voici que oikos, cette maison que nous prenions de haut, que nous regardions avec dédain, forts de nos compétences de faber et de nos projets faustiens, s’avère non seulement vulnérable, mais irremplaçable. Ce qui pousse (étymologie de phusis autant que de nature), du moindre brin d’herbe ou de l’insecte jusqu’aux nuages brassés par les vents, ne se remplace pas, cela échappe à nos prises techniques. Celles-ci se meuvent dans un cadre englobant qui n’est pas du même ordre, qui est donné et non construit ; Faust n’en est pas l’auteur, ce cadre nous contient, il nous soutient à l’existence alors que nous ne le pensons pas, et que, pire, nous le dégradons sans retour. Terrible tache aveugle que cette notion de milieu, qu’on ne confondra pas avec l’environnement : ce dernier terme demeure anthropocentrique, il conserve l’homme au centre, ou en surplomb ; milieu nous déloge de notre trône d’arrogance, et nous rend plus humbles. Or tout vivant organise un milieu qui l’organise, ou, dans notre cas, détruit un milieu qui le détruit en retour. La disparition des abeilles programme la nôtre, inéluctablement.

              Caspar David Friedrich

Dans l’inventaire que dresse Debray de cette inversion de nos valeurs, ou de cette conversion de civilisation, on trouve donc ceci : une internationale de l’angoisse remplace désormais une internationale de l’espoir, et du progrès ; cette civilisation fondée sur les énergies fossiles peut, aux yeux de Greta Thunberg et des « gamins » qu’elle entraîne, paraître elle-même fossile, ou croulante, et ce sont les jeunes à bon droit qui font aujourd’hui la leçon aux baby-boomers et aux profiteurs étourdis que nous sommes ; le sujet classique qui se croyait devant une nature plus ou moins identifiée à un système d’objets se découvre dedans, et c’est une nouvelle révolution copernicienne, il faut rentrer à la maison. Ce dernier terme, racine de l’éco en général, propose à Régis un joli mot, nous nous croyions raisonnables, nous nous découvrons maisonnables (page 54) – et à quel point cette passion de la maison est lourde, peu négociable. Nous avons changé de combat, ou d’adversaire : quitté l’exploitation de l’homme par l’homme pour celle de la nature par l’homme, ce n’est plus le patron mais la fumée de son usine qu’il faut combattre… Mais ces deux combats se rejoignent face à l’imbécillité du tout-économique, ou l’idolâtrie de l’argent.

Je sens Régis réticent, ou quelque peu alarmé par ces retournements, quand son livre par exemple nous met en garde contre un vertuisme ou une biocratie prêts à relayer les anciennes tyrannies, « vu la facilité déconcertante qu’a la correction d’une injustice pour en produire une deuxième » (page 42). La re-naturalisation (combien nécessaire !) de l’homme risque de nous cacher sa vraie nature, qui est d’édifier une morale, une cité, des lois qui ne sont justement pas celles de la nature ; l’homme est aussi un animal, concède Debray, mais certainement pas comme les autres – salutaire rappel. Je le suis moins quand il rabat notre brusque retour à la terre, et au corps, sur « l’effet-jogging » cher aux médiologues : les voitures n’ont pas amputé homo sapiens de ses jambes, plus on trace d’autoroutes et plus les GR se multiplient en montagne, par une compensation où RD voit un thermostat, ou un principe de constance.

            Nous sommes hélas très au-delà de cette constance face aux déséquilibres actuels. Et notre milieu est tout sauf une pâte à modeler. Quel livre dira, prendra la mesure des tâches colossales qui nous attendent si nous voulons changer de cap ? Dans le supplément hebdomadaire de La Croix, en kiosque cette semaine, Bruno Latour ne cache pas son angoisse ; que Debray, me semble-t-il, observe à distance sans la ressentir. Dans l’émission Répliques où Finkielkraut le recevait avec Olivier Rey, les trois compères se sont mis d’accord pour finir en tapant sur Greta Thunberg ; déplaisante conclusion d’une émission salutaire, même si l’on peut comprendre l’humeur de trois vieux schnocks à se voir ainsi prendre à partie par une « gamine » – comme disait Trump. Avec l’écologie, le tête-à-queue de la Nature et de l’Esprit s’observe aussi entre les âges !

12 réponses à “Debray, du rouge au vert”

  1. Avatar de In excelsis
    In excelsis

    Greta, vilipendée sur France culture par ces vieux messieurs du haut de leur complicité intellectuelle, cela me fait penser au tribunal où Jeanne comparut devant les autorités ecclésiastiques et sorbonnades de son temps . Bientôt pour faire taire cette voix qui alerte sur la sauvegarde de notre pays terrestre , comme autrefois, faire taire Jeanne , qui sauvait la France, on instruira un procès en sorcellerie : Greta est au service d’un capitalisme vert ou bien Greta conduit à un fascisme vert etc. Toutes les formules d’anathème seront bonnes pour faire taire Greta …Mais cela a déjà commencé.

  2. Avatar de Vmaunoury
    Vmaunoury

    L’avantage de Debray sur Latour, c’est qu’on comprend ce qu’il dit.

  3. Avatar de Walther
    Walther

    Bonsoir!

    Du rouge au vert…Alors passons!

    Passer, autrement dit circuler…Pour aller où, palsambleu, puisqu’il n’y a rien à voir, comme dit Monsieur Tout le monde?

    Eh bien, M.Tout le monde, on a quand même de droit de passer au feu (fût-il sacré) pour aller de ce pas (fût-il au delà) à la fête de la rose! Quésaco? Relisez l’antépénultième ligne de notre livre de référence « Le siècle vert » et vous n’en verrez pas que du bleu!

    Je reçois, ce jour, un mot de l’auteur du livre « Le siècle bleu ». Il me dit aimer beaucoup la pensée de Monsieur Debray mais il n’a pas encore lu son « siècle vert. »

    La prochaine participation de M. Jean-Pierre Goux, en mars prochain, à un colloque, à Paris, sur la conscience collective, intéressera peut-être notre blogueur flâneur, qui sait!

    Pour Monsieur Latour interrogé dans « La Croix -L’Hebdo- » de la semaine du 7 février 2020, page 17, se diriger « vers le bas », c’est s’incarner quelque part. Il prend l’exemple de sa grande sœur s’en allant prier au milieu des Indiens Tapirapé dans l’Amazonie des années cinquante.

    Aller là-bas…à la fête de la rose dans un coin de l’astre errant, c’est peut-être un autre itinéraire vers quelque sentier où l’on pourrait, peut-être, croiser les porteurs d’un manteau bleu, moines indiens nommés Paradas, vêtus de blanc dont fait allusion « Le Visage vert » de G.Meyrink.

    Mais quel visage pâle voudrait s’y risquer?

    Précurseurs ou doux rêveurs qui ont assez d’argent pour remplir de carburant leur gros quatre-quatre ou land rover auront-ils la main assez délicate pour effeuiller la fleur où tout le ciel tient dans son espace? Encore faudrait-il que leur chemin fût bachelardien!

    Monsieur Latour est tout ému en écoutant dans une paroisse parisienne des voix enfantines.

    Et s’il quittait la ville pour aller sur des chemins de campagne, il pourrait peut-être ouïr un autre silence, silence de mort des paysages dévastés.

    La civilisation industrielle, dès les années cinquante, a voulu en finir avec les paysans qui sont devenus des chefs d’exploitation, encouragés par une politique en accord avec un syndicalisme de mouvance chrétienne (JAC). Le but étant d’intensifier, produire, produire de plus en plus pour vendre à bas prix et permettre à la ménagère d’acheter de la nourriture sans dépenser beaucoup. Vous connaissez la chanson et vous savez ce qu’il en advint!

    Des universitaires dans une analyse pertinente parlent maintenant de « sacrifice des paysans » en insistant sur le ressentiment.

    Ces braves gens n’aiment pas beaucoup que cette population agricole et rurale dans sa grande majorité silencieuse et paisible, émettent dans l’urne un choix politique à l’opposé de leurs idées.

    Il y a dans toute conquête un sacrifice, écrivait ce cher Gaston dans ses « Etudes ».

    Dans un « Pense-bête » on trouve cette question : « Chateau ou Briand ? » Et la réponse est donnée :

    « Si force nous est de couper la poire en deux, sacrifier Briand Aristide à Chateau Alphonse ne semble pas le plus mauvais choix » (« Médium, n° 40, pages 212 – 213)

    Quittons là, les « Goncourt » sans oublier l’inconscient politique qui parle par lapsus (« Critique de la raison politique », page 432)

    Aller à la fête, c’est passer par « constance » pour ne point tomber dans le lac ni dans le lacs d’un trop hâtif jugement.

    D’aucuns seraient bien inspirés, peut-être, de relire le chapitre IV de la seconde section du livre susmentionné. Il est consacré à la constance.

    Théorie quand tu nous tiens! On ne peut se passer d’exactitude, cher estimé professeur.

    Vous mentionnez la courbe d’un mathématicien cité dans cinq livres de Gaston Bachelard.

    A la fête de la rose où nous destine le siècle vert, la courbure de l’espace-temps nous offrira peut-être une petite fleur bleue dont vous connaissez la couleur, n’est-ce pas? Et là, je m’arrête.

    A bon voyant…comme de bien entendu!

    Walther

    Donné le douze février deux mille vingt

  4. Avatar de Garo
    Garo

    Bonjour!

    Je viens de lire le nouveau billet « maisonnable » de M. Daniel Bougnoux.
    Je le trouve très beau.
    Il m’incite de ce pas à retourner à la maison. Comme mon homonyme à la dernière ligne de la fable
    « Le gland et la citrouille ».
    Ah! « Les fables de La Fontaine » ne signent-elles pas par une merveilleuse anagramme « La fin des nobles à la fête »?
    Papy nounours fait-il de la résistance? Mathilde et Alice, peut-être, sauront nous en dire plus dans un débat futur des « dossiers de l’écran » intersidéraux, bonnes gens! J’imagine les répliques des petits-enfants de nos trois mousquetaires, là-bas,
    tous réunis sur un plateau d’une autre galaxie…
    Enfin, nous n’en sommes pas là, pas encore!
    Oui, à la maison.
    Que vois-je? Ma petite-nièce venue présenter son ami d’origine lusitanienne. J’écris petite-nièce avec un trait d’union.
    En fait plutôt très grande, la basketteuse! Je ne dirai pas les mensurations de la belle, le tonton risquerait de se faire flinguer, palsambleu!
    Adorable jeune fille, enseignante en région parisienne, Juliette, va convoler en justes noces à l’oût venu avec ce jeune homme charmant et fort bien élevé dans une belle église baroque à cent quarante lieues du Prado où saint Antoine guette et contemple.
    Le crêpes d’une chandeleur tardive pour fêter l’événement et puis des mots, toujours des mots… qui passent du rouge au vert, des mots bleus.
    Et puis le blanc et du noir…
    Debray, Bachelard, Morin? Inconnus au bataillon!
    Un ange passe…Ils sont là.
    Une absence, une présence.
    Vienne et vive une écologie de l’esprit…pour de vrai, sortant de sa forêt de papier.
    Haute en couleur et d’une impérieuse nécessité.

    Garo

  5. Avatar de W.Jaroga
    W.Jaroga

    Bonjour!

    La petite jeune fille n’est pas venue comme ça sur la scène médiatique par l’opération de saint-esprit…Greta est sans doute pleine de qualités et son courage mérite d’être salué. Instrumentalisée, cette petite comédienne, mais dans le but de faire avancer les choses…Cependant, elle reste une belle inconnue pour celles et ceux qui ont acquis ce comportement salutaire de résister aux médias et à toutes les salades indigestes que nous débite à longueur de journée, ce meuble de salon appelé télévision.
    Et dire qu’il y a des gens qui payent pour regarder ces coquecigrues! S’interdire telle prostitution, ce n’est pas se retirer du monde, c’est aussi essayer d’influer sur autre chose que les marges.
    Ce qui ne veut pas dire qu’il faille mettre à la porte, comme un pestiféré, le journaliste vedette qui vient frapper à votre porte sans caméra et juste pour le plaisir de faire causette et partager notre brouet aux légumes du jardin! Rien à voir avec la ferme des célébrités quand les célébrités ont quelque chose à voir avec la ferme…
    Et là silence radio et tombe le rideau!
    Thunberg=Jeanne, faut le prouver. Bouter la bêtise hors des limites du « maisonnable » et vivre bien chez soi pour mieux s’ouvrir à son voisinage, est chose qui me paraît saine et pleine de bon sens.
    Mademoiselle descend dans le jardin médiatique pour y faire sa part de petit oiseau.
    Pourquoi pas?
    Monsieur Michéa (trois décennies d’enseignement) s’offre une retraite à la ferme dans les Landes et refuse les plateaux de télévision. Mais bon, il a bien besoin des journalistes pour faire connaître au monde entier son complexe d’Orphée, ce cher et lucide paysan de la ville!
    A l’heure du numérique, on peut à l’instar du pianiste et du physicien se poser la question : « Et qui est-ce , Jeanne? » sans pour autant faire un procès en sorcellerie.
    Il paraît qu’en bas, une réponse en anagramme à la question a été proposée et trouvée belle par l’homme qui sème la conversation scientifique sur les ondes d’une radio nationale.
    Pour l’heure, autant descendre dans son jardin pour y cueillir un brin de romarin…
    Une manière bleue, peut-être, pour ne point troubler l’onde mystérieuse.
    Merci Monsieur Bougnoux pour votre cours d’excellence.

    Jaroga

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Et merci à vous cher Walther pour votre présence assidue sur ce blog, avec vos joyeux comparses, palsambleu !

  6. Avatar de Jacques
    Jacques

    Avant de sonner les matines, il me plaît de venir vers vous, vers ce blogue de La Croix où les couleurs de Régis Debray ne semblent pas déplacer les foules.

    Bien sûr, il y a la présence assidue de nos joyeux drilles…Mais pour quoi faire, mon bon Seigneur?

    Je n’ai rien contre le fait d’aller de ce pas à la fête de la rose dans un coin de mappemonde mais faudrait-il, cher Daniel, Régis et Michel, que l’on m’en donnât le programme.

    Que cette bande d’amis s’amuse en tel espace ne me gêne pas et si tel jeu s’inscrit dans une intercritique de la science et du mythe, eh bien, qu’on le prouve!

    Ce qui m’intéresse, ce qui intéresse les gens autour de l’abbaye, c’est leur problème de fin de mois, car il faut bien vivre!

    Une participation globale de 26 % aux dernières élections MSA prouve l’indifférence des gens en des institutions qui les oublient sans répercuter les promesses faites au sommet de l’État par un jeune homme souriant au pouvoir, qui a lu N. Machiavel. Et les mille euros mensuels pour des millions de retraités pauvres, c’est toujours pour demain et passent sur les chaises des plateaux de télévision, tous ces culs cravatés et bien payés qui parlent, parlent, parlent et …ne changent rien!

    Ah, bien sûr le climat! Plus de lapins de garenne, ni de perdrix rouges aux abords du monastère, ni d’élevage autour.

    Morte la paysannerie! Au sommaire des anagrammes tellement prisées par les habitués du blogue, on y apprend que « entreprise Monsanto » devient un « Poison très rémanent » et que « Le changement climatique » est « Ce fuel qui tache le firmament ».

    Des lettres qui s’assemblent pour dire quelque chose de très vrai ou flou artistique dû au pur hasard?

    N’y aurait-il pas parmi nous quelqu’un qui pourrait essayer d’apporter une réponse, Monsieur notre chef randonneur?

    Dans le mot rose, il y a le dieu « Eros » et le verbe « Oser »…

    Pages 10 et 45, notre jeune auteur du « Siècle vert » risque l’optatif aux verbes advenir et devenir, là où le passé simple eût été de mise.

    Parier sur la circonflexité ou les deux versants, c’est un beau courage, un coup porté à Thanatos.

    Puissions-nous, pauvres ou riches, l’accompagner en ce signe de croît de liberté et d’exigence!

    Jacques

  7. Avatar de Roxane
    Roxane

    Bonjour!

    Merci, chers » intellos » des villes et des champs de vos péroraisons érudites.
    Cependant, malgré toute votre science affichée, vous ne changez pas d’un petit nuage, les couleurs du temps, mes bons seigneurs!
    Vos cuivres résonnent et vos cymbales retentissent et nous sommes toujours aussi tristes sous nos tropiques, mes braves gens…
    Puisque ce blogue traite d’actualité, ne manquez pas Le Jour du seigneur, dimanche prochain, sur France 2, en direct de l’abbaye d’En Calcat. Régis Debray et moi-même avions « là-bas » un ami moine bénédictin et Daniel sait qu’il fut l’auteur de quelques articles dans la revue « Médium ». Sans être là, il sera là…
    Puissent nos penseurs attitrés, expliquer aux lecteurs de ce billet, un tel oxymore, si expliquer veut dire développer, comme s’expliquent en se développant les feuilles printanières.
    Pour l’heure, je laisse cette feuille électronique s’envoler dans l’etherciel en cette nuit de solennel adagio, vers une oreille tendue…

    Roxane

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Vous effleurez de votre main légère, chère Roxane, l’éternel problème ruminé par les faiseurs de livres, rats de bibliothèques et autres rongeurs de mots : à quoi servent leurs beaux discours ? J’y ai passé le plus clair de ma vie et je ne voudrais donc pas me déjuger, affûter et servir les mots ne peut être sans effet, les idées ne sont pas sans emploi et elles se combattent éternellement. La cascade de l’idée aux faits n’est pas directe ni évidente mais ce petit ruisseau existe, et je plains ceux qui pensent bassement, ou qui dénoncent ces « intellectuels » dont je m’efforce de faire partie.

  8. Avatar de Walther
    Walther

    Bonjour!

    Non sans aménité, Roxane, invite avec force lyrisme les intellectuels ou les « intellos » comme elle dit, à s’expliquer, telles les feuilles en sève montante d’un nouveau printemps.

    Au fait, un intellectuel, c’est qui, c’est quoi, au juste? Dans ce commentaire d’un billet où Régis Debray est à l’affiche, la question coule de source et la réponse en train de s’écrire, peut-être…Alors, à l’instar de notre randonneur dans sa croisade minière, allons pour une fois…au charbon.

    Nous sommes à la mi-février de l’an de grâce deux mille vingt et, ce matin-là, votre serviteur est dans la salle d’entrée (la dame de l’accueil dit « hall ») d’un vaste local très moderne abritant les bureaux de structures administratives superposées. Ici, en cette ville, l’oncle de Régis Debray lisait Marcel Proust, au jardin, en juillet mil neuf cent quarante-quatre et l’enfant de quatre ans regardant par la fenêtre jouait avec son épée en bois. Le hasard fait-il bien les choses? Toujours est-il que je rencontre au lieu dit, au même endroit, à la même heure, des amis perdus de vue depuis des décennies. Retrouvailles joyeuses où nous évoquons, le verbe haut, nos souvenirs du temps passé…Un temps qui revient et les amène pour parler au service concerné, en permanence céans, de leurs problèmes à n’en plus finir : des locataires qui ne payent pas et qui cassent tout, sans oublier les frais de justice payés par ces agriculteurs en retraite qui ont fait des dépenses pour retaper une habitation, afin de pouvoir espérer toucher un revenu complémentaire, en mesure d’améliorer une fin de mois difficile au vu et au su de leurs retraites de misère.

    -« Je ne vais pas passer toute le sainte journée à attendre, tant pis, je reviendrai! » dit l’ami.

    A l’instant même rentre une personne à l’allure assurée, sportive et décidée, dossiers à la main. Il file vers son bureau…

    -« Vous le connaissez? »

    – » Je l’ai vu quelque part mais je ne sais où le mettre », répond mon voisin qui fut conseiller municipal d’une ville proche mentionnée par Jacques Delors dans son livre

    « Changer ».

    – « Eh bien, c’est le premier magistrat de la ville, un homme estimé et capable qui a décidé de ne pas se représenter aux prochaines élections municipales! »

    – » Oui, c’est vrai, je ne l’avais pas reconnu », dit l’autre, après s’être relevé péniblement de sa chaise.

    La personne de la permanence arrive, elle m’invite à la suivre…

    Nous parlons habitat et des aides pouvant être octroyées. Taxes foncières, imposition sur le revenu… La permanencière fait son travail de routine non sans quelque petite bévue, vite accompagnée d’excuses polies et machinales…Déterminée, la belle bien assise, déclare ex cathedra sur un ton péremptoire : »Toute création de dossier se fait par Internet, et c’est comme ça! »

    – « Et pour les gens qui n’ont pas cet outil, qui ne passent pas leur vie, le derrière sur une chaise dans un bureau, qui n’ont pas les moyens de se payer cette chose ou qui n’ont tout simplement pas envie de devenir des crétins digitaux, comment ça passe? »

    – » C’est Internet ou rien! C’est une décision de l’État, je n’y peux rien. »

    Durant les années noires de notre histoire, en des circonstances douloureuses, j’imagine un petit chef derrière son bureau, répliquant à de pauvres gens :

    -« C’est une décision de l’État, je n’y peux rien. »

    La collaboration, cette honte de la France, a aujourd’hui bien d’autres visages…

    – « Mademoiselle, une telle discrimination justifierait un article de protestation dans la presse! »

    La petite dame, méfiante, se reprend tout de go…et change d’humeur:

    « Il se peut qu’il existe des services pour aider ces gens démunis…Peut-être même existe-t-il une possibilité version papier…Faut que je me renseigne! »

    Sans commentaires.

    Deux heures plus tard…Une sorte d’amphithéâtre, un cadran, une arène, des enchères. Et des blouses noires qui tapent, tapent sur leurs boîtes électroniques.

    Triste la vie pour les éleveurs qui marchent plus ou moins dans le système et qui sont là suivant des cours qui baissent…

    Autre décor : le restaurant de la foire. On discute à tout bout de champ autour d’un simple brouet sans trop vider son porte-monnaie.

    Pierre, la quarantaine, s’emporte :

    « Ils nous obligent de créer des dossiers sur Internet et mon comptable me dit qu’il en est incapable, c’est trop compliqué!

    Il me faut donc passer par un spécialiste qui me demande un max mais bon, si je veux bénéficier d’une réduction d’impôts, je n’ai pas le choix!

    Ils commencent à nous casser les (….) avec leurs conneries à n’en plus finir! »

    Paul, la cinquantaine, sur un autre registre :

    « Au sortir du supermarché, l’autre jour, j’avais dans mon chariot, trois bouteilles d’apéritif et je voyais les hommes, tous avec une fleur dans la main.

    J’ai retourné dans le magasin pour acheter une fleur à ma femme…Un bouquet de quarante euros pour la saint Valentin! »

    Quel réconfort! Tout n’est donc pas perdu – et loin s’en faut – quand un brin de poésie et de gentillesse renaît dans les cœurs et dessine sur l’asphalte d’un monde devenu stone, l’empreinte indélébile du doigt de l’âme.

    Fernand, son voisin de tablée, plein d’humour et malicieux, me fait un tour d’œil et lance à la cantonade, entre deux verres de rouge :

    « Quand on a une bonne vache à lait, on la bichonne! »

    Et nous entamons la conversation sur la grande difficulté des ménages en milieu agricole, quand le salaire de la femme qui travaille à l’extérieur est indispensable pour faire tourner la boutique.

    Ludivine décide un intermède et branche la discussion sur le bal musette…

    Je regarde par la fenêtre…Un ange passe.

    Et cette particulière journée de finir, en filigrane, sur une chanson bien française, quelque part dans un autre pays :

    Vous connaissez son titre : Une jolie fleur.

    Walther

  9. Avatar de Garo
    Garo

    Oui, vous avez parfaitement raison, Daniel, ce petit ruisseau existe…
    Revenant, un jour de juin deux mille dix, de l’abbaye d’En Calcat, je me suis arrêté dans le Quercy pour parler à cet infime ruisseau où le physicien, un soir, pérorait avec Ondine pour écrire ses « Feux du savoir ».
    On pense à Gaston Bachelard écrivant ces mots pleins d’ardeur :
    « Heureux celui qui est réveillé par la fraîche chanson du ruisseau, par une voix réelle de la nature vivante. Chaque jour nouveau a pour lui la dynamique de la naissance. A l’aurore, le chant du ruisseau est un chant de jeunesse, un conseil de jouvence. »

    Et si on allait prendre un bain dans la rivière des souvenances, laissant sur la berge tous nos oripeaux…
    C’était durant l’été mil neuf cent quatre vingt-dix…Sur la table de la cuisine, un livre intitulé
    « A demain De Gaulle ». Le maire de la commune, fort sympathique, était à la maison et le titre du livre ne lui a point échappé..
    « Encore un qui a viré sa cuti ! » dit instinctivement mon hôte, au sujet de l’auteur de l’opuscule susmentionné.
    Un an plus tard, le même ouvrage prêté à une conseillère municipale d’une autre commune de la contrée me revint, soigneusement recouvert de rouge. En ces lieux, les parents de l’auteur ont trouvé refuge durant la période de l’occupation.
    De bas en haut…Nous sommes le dix-huit juin mil neuf cent quatre-vingt-dix. Monsieur Daniel, signe une lettre destinée à Régis Debray.
    Le directeur du « Nouvel observateur » enfonce le fer dans la plaie après avoir lu le livre de son cher Régis : « Tes humeurs t’égarent et elles me déconcertent… ». Tels sont les premiers mots de l’épître de l’homme de presse qui dit avoir refusé une place d’ambassadeur…
    Le receveur de la lettre dans « une éducation politique » que j’ai prêtée, un jour, à un journaliste qui l’a rencontré pour la première fois, céans, pense finalement qu’il vaudrait peut-être mieux mourir à la politique que de chercher à renaître…
    Quèsaco ? La critique des gens d’en-haut est-elle bien celle des gens d’en-bas ?
    « Ite missa est » …Un dernier chapitre avant le petit lexique militant de « Loués soient nos seigneurs », ouvrage présenté à 7 sur 7, le vingt-huit de l’aprilée mil neuf cent quatre-vingt-seize, dernière référence, ici même, précédant « Le jour du seigneur » de la boîte à images.
    Au delà des hommes « vers » et du « dans », immobiles et agités, l’onde sacro-sainte de l’Eunoé.
    Eau lustrale, synthèses créatrices données à l’âme par une soudaine animation…Un bonheur intellectuel.
    A la claire fontaine m’en allant promener…
    Garo

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Rafraîchissante fontaine ! Et quelle mémoire, cher Garo, d’un livre top oublié (car prophétique) et de son commentaire par feu Jean Daniel…

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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