En piste avec Baptiste

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Manières d’être vivant de Baptiste Morizot (Actes sud 2020) prend la suite de Sur la piste animale qu’il a publié en 2018. Largement consacrés au déchiffrement et au monde des traces, ces deux livres posent avec force la question de l’indice, dont la sémiologie a également beaucoup occupé mes études d’information-communication. Le jeune philosophe-pisteur écrit, par exemple (page 147) : « Le pistage enrichi est le versant sensible et pratique d’une approche philosophique inséparée du vivant, c’est un style d’attention. Une manière d’être sur le qui-vive (…) Un qui-vive immergé, toujours dedans jamais devant. Chacun y donne à voir sa manière irrésistible d’exister par des signes, de manière détournée ».

Je voudrais, à la rencontre de Baptiste, un peu développer ici ce que j’ai cru, dans mon propre parcours, comprendre de la signification indicielle, de son mode de vérité et de ses enjeux. La non-séparation est en effet au cœur de son fonctionnement : l’indice est le signe qui ne dédouble pas le monde, qui montre en pleine immanence. « Pister est une expérience décisive pour apprendre à penser autrement » (page 139). Au contact des autres vivants, à même leur milieu ou parmi leurs traces, l’indice et son « lecteur » (terme devenu impropre) cohabitent au présent du déchiffrement : « L’usage des temps se brouille dans l’esprit (…), on parle spontanément au présent parce que la trace est une présence-absence , un passé qui percole au présent, et il faut reconvoquer l’image de l’animal dans toute sa corporéité pour suivre son absence » (page 133).

Immersion des indices, jamais séparés

On doit au philosophe des signes fondateur de la pragmatique, Charles S. Peirce (1839-1914), d’avoir isolé et mis en pleine lumière la catégorie de l’indice. Le tournant sémiotique qui a marqué nos études circa 1960 fut surtout un tournant linguistique, dont Roland Barthes fut l’un des champions, mais il occulta par son logocentrisme l’efficacité indicielle qui reste encore à penser.

Peirce définit l’indice comme « a fragment torn away from the object », un échantillon ou une parcelle prélevés sur la chose ou l’action désignées. Sa référence est donc autoréférentielle, la chose s’y envoie ou réfère à elle-même circulairement, d’où l’ambiguïté des indices, chose ou signe ? Présence brute ou représentation intentionnelle ?

D’une certaine manière, l’indice demeure indicible, il montre au lieu de dire (pour citer une importante distinction posée par Wittgenstein). Symptôme, dépôt, trace ou empreinte vive, l’indice participe du phénomène qu’il signifie, il en constitue l’exhibition résiduelle ou a minima : la girouette pour le vent, une odeur de printemps, la pâleur pour la maladie, la cendre ou la fumée pour le feu… Chose parmi les choses, l’indice signifie par nature, c’est-à-dire par connexion réelle, par contiguïté physique et dynamique : le poing brandi qui désigne la menace, un grondement de colère effectuent déjà celle-ci, ils manifestent (mieux que représentent) la première étape de l’assaut, sans séparation. L’indice, affiché in praesentia, fait donc sauter le re de re-présentation.

En deçà de la coupure sémiotique

« Forêt pétrifiée » de Max Ernst

Pour suivre Peirce dans sa tripartition bien connue (mais combien malmenée !), l’icône signifie, comme l’indice, par analogie, mais la continuité-contiguïté y est rompue : tandis que l’indice expressif est prélevé sur le monde, l’icône artificielle (l’image, la sculpture) s’ajoute à lui. Une représentation iconique est motivée et souvent ressemblante (versus arbitraire), mais elle ne fait pas intrinsèquement partie du phénomène, n’opérant ni à la même échelle ni dans le même espace que lui ; elle résulte d’une projection de traits pertinents, tirés du représenté, dans un matériau qui ne lui est ni identique ni contigu, par le détour d’une mentalisation ou d’un code qui sélectionne et qui filtre… Il convient donc, dans l’immense continent des icônes, d’isoler la catégorie des images indicielles qui, comme l’ombre, les « mains négatives » des cavernes, la photographie, le voile de Véronique (« vera icona »), un collage de Picasso ou un frottage de Max Ernst, furent produites par contact, prélèvement ou empreinte et qui attestent ainsi d’une chaîne causale avec une réalité extérieure.

Vera icona

Les symboles ou l’ordre symbolique enfin (toujours selon Peirce, mais aussi Lacan) désignent tous les signes arbitraires proprement dits, qui ont rompu avec la continuité (analogique) autant qu’avec la contiguïté : l’immense majorité des signes linguistiques, quelques panneaux routiers, le symbolisme chimique et algébrique, donc au-delà du langage le domaine des nombres en général.

Jacques Lacan

Contigus et naturels, les indices sont l’enfance du signe, et dans l’acculturation du sujet ce sont eux qui viennent d’abord, et que nous échangeons avec les jeunes enfants et les animaux. Par la suite, cette communication indicielle continuera d’être perçue comme la métonymie d’une sphère ou d’une communauté englobante et charnelle. La voix ne perdra jamais tout à fait ce privilège, tout message verbal s’enveloppant d’indices. L’empreinte du corps y demeure, la coupure sémiotique n’y est pas évidente, l’idéalité du signifié pas clairement stabilisée. Pour rendre une communication plus chaleureuse et vive, mettez-y des indices !

Indice énergumène : le choc de la photographie

 À la charnière de l’indice et de l’icône naissent deux types bien différents d’images. Peirce rattache en effet le domaine des icônes à la priméité : l’esprit y demeure seul avec ses apparitions, ses fantasmes ou ses phénomènes ; les images du rêve, celles de la peinture autant que les gribouillis d’enfants n’exigent pour leur tracé aucune réalité préalable, l’imagination traitant avec elle-même y suffit.

Le domaine des indices en revanche relève de la secondéité : la représentation n’y est pas seule ni autonome, elle indique et atteste l’intervention d’un facteur extérieur qui la cause. Dans la peinture ou la figuration classiques (priméité), chaque trait est soigneusement mentalisé par l’artiste, rien n’arrive à la représentation finale qui n’ait été mûrement pesé par lui ; du côté de la photographie en revanche (achiropoiète ou « qui ne résulte pas du travail de la main »), l’opérateur fait avec. Le peintre travaille per via di porre, il apporte entièrement la figure déposée sur la toile, le second per via di levare (distinction empruntée par Freud à Vasari) ; cousin du sculpteur, le photographe enlève ou dégage son motif hors d’un magma physique de photons dont l’image finale montre encore le résidu extérieur, ou la présence réelle.

En bref, on peut peindre ou dessiner des anges (priméité de l’imagination souveraine), on ne saurait les photographier (secondéité de l’empreinte qui exige un référent ou une réalité extérieure). L’indice ne vient jamais seul, comme l’apprend Robinson découvrant les pas de Vendredi sur le sable. Cette ligne de partage entre les images a d’immenses conséquences pour nos régimes d’information et de représentation en général (de mémoire, de croyance, de savoir…). Le nouveau dispositif photographique (circa 1850) clive le régime ancestral des images entre une fonction imaginaire (« intérieure ») où prime le dessein, l’idée ou le rêve, et une fonction indicielle d’empreinte, d’attestation d’une extériorité résistante où fourmillent les détails singuliers. Or, les premiers photographes ont méconnu cette distinction en s’efforçant, naïvement, de faire la courte-échelle à la peinture ; l’école pictorialiste, autour de 1860, voulut reproduire par la plaque sensible les touchantes compositions des tableaux religieux : une fuite en Égypte, Saint Jean Baptiste prêchant au désert ou une annonciation démarquée de la Renaissance. Le résultat était bien différent de la peinture, car la photographie saisit des tokens (des individualités empiriques, des états singuliers), là où le peintre comme le poète vise des types (universels idéaux) en gommant le détail indésirable. La peinture ennoblit le regard et élève le débat ; documentaire par nature, la photo les rabaisse et les pulvérise inéluctablement, en apportant des informations qui ne peuvent que dégrader les monuments de la foi ou de la fiction.

D’où les griefs de Baudelaire reprochant à la photographie son réalisme, qui remplace le type par le token et l’idéal par la triviale prose du monde d’ici-bas. La photo, conclut Baudelaire, ne pourra devenir au mieux que « la très humble servante » des sciences et des arts. C’était mal anticiper les développements d’un art qui, tout au long du XXèmesiècle, ne cessera de chercher une saisie toujours plus immédiate du réel par les frottages, les collages, les ready-made, puis la généralisation d’une peinture appelée bien à tort abstraite, échantillonnage de pigments, de matières ou de gestes. La photographie a traversé et travaillé les autres médias en passant du rôle de « très humble servante » à celui de modèle ou de paradigme, au point, pour le dire avec Philippe Dubois ou Rosalind Krauss, que la question n’est plus de savoir si elle est un art, mais de comprendre comment une bonne part de l’art, au fil du XXèmesiècle, est devenu photographique, c’est-à-dire indiciel.

La manifestation contre la représentation

On mesure mal aujourd’hui, tant les photos nous environnent, le choc ou le scandale de leur introduction dans les façons de faire image, à partir de 1839. Le nouveau cours propagé par l’écriture de lumière a bouleversé la graphosphère ou le statut des écrits en général, mais aussi l’état des beaux-arts et, au-delà, nos régimes de vérité, de croyance, de mémoire, d’imagination et de visibilité. Le basculement d’une esthétique de l’icône à celle de l’indice recouvre le passage d’une mimesis analogique à une contiguïté, ou d’une re-présentation à la manifestation d’une présence réelle. On rattachera, avec Rosalind Krauss, cet art obsédé par le désir d’indice au nom de Marcel Duchamp ; cette évolution se laisse aussi déchiffrer comme un retour à des formes d’arts premiers, du côté de la magie, ou des cultes avec leurs reliques, empreintes, marques corporelles, et en général de contacts qui conservent aux phénomènes une action et une présence palpables. L’avenir commence toujours en mineur, en minable. Mais mineur est aussi ce qui mine. Sous Baudelaire, la jeune taupe photographique creuse des galeries qui ne vont pas tarder à bouleverser le paysage.

La sémiotique indicielle ouvre une piste stimulante dans les études des médias, encore insuffisamment explorée. À l’écart d’une sémiologie logocentrique obsédée par les signifiants linguistiques, l’indice apporte cette présence réelle qui donne à quelques images leur mystérieuse efficacité – leur magie, dit joliment l’anagramme. Dans l’émouvante méditation de La Chambre claire, Roland Barthes a méticuleusement distingué le studium (l’intérêt poli qu’inspire une image) du punctum : il arrive que telle photo m’envahisse ou me « poigne ». Le vif du punctum tient à la position conjointe de réalité et de passé entraînée par l’indice. Son référent, obligatoire, me force à penser que Cela (un jour) a été tel ; dessinée ou peinte, jamais l’icône n’aurait le même impact. Une photo des cadavres s’amoncelant aux fosses des camps d’extermination peut faire reculer le bavardage révisionniste ; de même celle d’un supplice sera plus « poignante » que la peinture correspondante. La photographie s’adresse au tact autant qu’à la vue, sur elle nous touchons (et nous sommes touchés par) un état irrécusable du monde, nous vérifions une relation (message des photos de famille ou de voyage touristique : j’y étais…), nous attestons la permanence « amoureuse et funèbre » d’un visage qui continue de nous atteindre au-delà de sa mort, comme les rayons attardés d’une étoile.

En un mot, l’épreuve photographique est une preuve, un certificat de réalité. Et son truquage éventuel n’est jamais qu’un hommage rendu à cette vertu constative, impérieusement référentielle (nul ne songerait, pour les mêmes raisons, à maquiller un tableau). Le premier message de la photo est donc moins de représenter l’objet (fonction descriptive) que de l’authentifier dans son être.

Immanence pauvre en code

 Signe par nature (et non par convention), l’indice semble du même coup pauvre en code. Car qu’est-ce qu’un code en général, sinon un principe d’élagage ? La présence d’un code sous-jacent à notre perception des phénomènes sert à stabiliser et à reconnaître ceux-ci : à travers la grille de l’alphabet, le lecteur sait par exemple déchiffrer un texte stable sous les fluctuations d’une graphie manuscrite. Une bonne part de nos expressions corporelles cependant nous échappent et circulent sans le secours d’aucun code ; de même, l’explosion photonique captée par l’appareil vient se prendre bêtement sur la rétine de la chambre obscure – ce qui autorise Barthes à traiter la photographie d’image pauvre. Pourtant, c’est en court-circuitant le code et le temps de la re-présentation que « le photographique » déborde notre intention de voir ; la photo jette sur le monde un filet plus large, elle nous apprend à regarder ailleurs ou autrement, elle aiguise notre vue. D’où ses usages policiers, scientifiques et en général « l’effet Blow up » raconté dans le film d’Antonioni : un photographe croit, en inspectant un cliché de parc, découvrir dans le détail des fourrés l’indice d’un meurtre, mais l’agrandissement bute pour finir sur le grain de l’image, où la trace ironiquement s’évanouit.

Demeurant parmi les choses qu’il manifeste sans les re-présenter, le signe indiciel ne dédouble pas le monde. Cette immanence nous débarrasse de quelques idéalités superflues ; « le photographique » préfère Héraclite à Platon en nous montrant non l’essence immobile mais la transition, l’accident, l’événement ; non la durée uniforme mais ses moments, ses saisons ; non l’immortalité mais des figures gorgées de temps ; non l’espace isotrope mais ses détails et ses failles d’une infinie diversité où le dispositif nous invite sans cesse à descendre : contrairement au philosophe qui décolle, un photographe attache, il épouse la peau du monde. Comme le penseur-pisteur incarné par Baptiste Morizot.

Il arrive certes que la photo cherche à reconstituer l’eidolon en nous tantalisant avec la star, la marchandise publicitaire, la tentation inaccessible du luxe ou du nu… Elle mime dans ce cas la peinture, la sculpture, quand sa vocation semble ailleurs, vers le rattachement de la figure et du fond, pour une saisie métonymique des apparences. Philippe Dubois a parlé d’« acte photographique », il faudrait détailler sa valeur de pacte : les empreintes indicielles nous embroussaillent dans un monde sensible qui nous demeure proche, ou contigu, et elles font lever en nous un torrent d’émotions. Confronté aux foulées des loups sur la neige, Baptiste sait non seulement qu’il n’est pas seul à hanter les plateaux du Vercors, mais qu’il peut, en direction de ces « aliens familiers », tenter d’émettre un signal qui ne demeurera pas sans réponse.

Si la vie se définit notamment par la communication, le déchiffrement patient des indices ranime et étend autour de nous la communauté des vivants.

6 réponses à “En piste avec Baptiste”

  1. Avatar de Élodie Mielczareck
    Élodie Mielczareck

    Très bel article. Merci

  2. Avatar de M
    M

    Sur la piste des universitaires

    Faut-il obligatoirement avoir été présenté sur les fonts baptismaux de l’Alma mater pour essayer de dire quelque chose qui tienne debout, en matière d’efficacité indicielle? Faut-il afficher l’étiquette de sémiologue pour oser donner une suite incertaine au billet du professionnel de la communication, professeur émérite? Celui ou celle qui ne tient pas conférence et ne risque pas d’être invité sur un plateau de télévision pour donner son avis, peut-il apporter des éléments ayant quelque valeur au débat?

    Tirer son chapeau devant Sa Majesté, c’est bien mais ça n’explique pas tout! Et le petit peuple de se retrouver, comme d’habitude, Gros-Jean comme devant, face à son écran d’ordinateur!

    Votre serviteur, manant parmi les manants, aimerait comprendre ce qui lui arrive et sollicite incontinent la bénévolence des experts en mesure de lui apporter une vraie réponse. Par exemple, savoir ce qui a bien pu se passer dans la machinerie électronique de cette chambre, quand l’imprimante me sort la photocopie d’une page d’un livre de Jean Clair, avec dans la marge une petite étoile qui ne figure absolument pas dans la page originale sélectionnée de l’ouvrage. Cette image serait-elle magie, palsambleu, ou bien signe de quelque chose d’archiropoëtique censé faire sens? Nous devons entre nous essayer de comprendre, prendre avec soi, n’est-ce pas?
    Ce matin, je reçois une belle photographie haute en couleur d’Autriche. Une femme en servante des contes assise avec trois hommes autour de la table d’un chalet de montagne.Cette photo respire la gentillesse, la convivialité comme on dit maintenant. Elle m’arrive au moment même où je lus un extrait de la préface d’un livre sur la théorie des écarts, de Rosalind Krauss :
    « D’une part, la photographie est une trace du réel, un indice. Mais d’autre part, c’est une copie de copie, un simulacre. Comment articuler ces deux dimensions? » (Fin de citation)

    Que disent les gens sur la photo reçue dès potron-minet? Parlent-ils entre eux de l’inconscient optique, cher à R. Kraus ou de la pluie et du beau temps? Dans leur conversation ou dans leur silence, « le fleuret de l’ange poétique et guerrier », a-t-il sa place quand s’entrechoquent les verres? Karl Kraus est-il là pour donner du corps et de la mémoire à la veillée? Quelle rêverie s’exprime dans ces visages pensifs et silencieux, transportés par « la vitesse de la lumière » dont l’anagramme, cher Daniel, « limite les rêves au delà »? Mon bon Monsieur Bougnoux, dites-moi, la logique triadique de C S Peirce laisse-t-elle une petite place aux valses de Vienne?

    Élodie, nous sommes sensibles à votre petit signe de reconnaissance à l’endroit du billet du maître et je tiens à vous le dire, ce matin.

    Vous êtes sur la piste et comment pourriez-vous ignorer qu’il y a des tas de gens qui font tapisserie au grand bal de la vie?

    Avec l’accord du maestro de la communication, chère Madame, accepteriez-vous de composer ici même une petite valse, pour faire danser les gens sans importance aux souvenirs cassés dans la république des âmes et des amours mortes?

    Le dernier et septième commentaire du billet précédent « fait aussi tapisserie » et en appelle à la licorne.

    Toujours l’eidolon, le spectre, l’alien…

    A quand la présence de l’absence, Madame, Monsieur?

    « Une sorte d’appel à la mobilisation des ombres du dedans. L’ultime convocation devant la page blanche. » C’est par ces deux phrases que l’auteur de « L’œil naïf » termine son bel ouvrage où à la page 138, il se dévoile sans dévoiler.

    Bonne journée à vous tous.

    M

  3. Avatar de Gérard Fai
    Gérard Fai

    Bonjour!

    Cher M…j’ai bien lu et relu votre commentaire sur le dernier cours de M.Bougnoux.

    On a dit billet, article, et maintenant j’ose écrire le mot cours ou leçon de choses.

    Votre suite est « tout vous » et je n’en dirai pas plus, si ce n’est le fait que vous ne courez pas le risque d’être contredit mais bien celui d’être incompris…

    Un sauvage qui parle de sémiotique peut-il intéresser l’universitaire qui analyse, étudiée et pense la chose? Oui, sans doute, mais dans la mesure où la péroraison du sauvage ne reste confinée dans le moulin à vent des citations. Deux pôles différents qui sont pourtant liés, reliés, interdépendants qui peuvent se rejoindre dans l’Aventure, dernier mot d’un livre sur le sujet du roi Eco.

    Brisons là.

    Je me suis plu, cher M…à donner à lire votre commentaire. J’ai trouvé quelqu’un, à moins d’une lieue du village, curieux de tout et qui n’a pas la langue dans sa poche. Il n’a pas son bac non plus, comme on dit, ni les siens qui travaillent à l’alentour. Mais chez eux, on lit des livres…

    Et voici ce qu’il m’a répondu (texte quelque peu corrigé, car tout le monde peut faire des fautes d’orthographe, à commencer par votre obligé) :

    « Cher Gérard,

    Tu me donnes envie d’acheter Internet car je vois qu’il n’y a pas que des conneries dans ce genre de truc chouette.

    Je ne connais pas tous ces gens qui écrivent si bien dans le journal catholique. Tu vois, j’ai le sentiment qu’ils ont perdu quelque chose, un sens sans doute…criant par la fenêtre qui le leur rendra!

    Je ne suis pas bien futé mais j’ai compris que M.Daniel Bougnoux, le maître des lieux, et la dame qui porte un nom difficile à écrire, sont des gens qui ont fait des études. L’un vit de sa retraite de professeur et l’autre des conférences qu’elle fait chez les chefs d’entreprise.

    Mais j’ai comme un doute sur leur possibilité de changer le cours des choses avec un micro à la main, fussent-ils d’excellents tribuns.

    Tiens! en parlant de tribune, j’ai rencontré l’autre jour, à la sortie de la messe, un gars qui est allé à Paris, invité par son député, avec une délégation de syndicalistes, pour visiter les ors de la République dont le Palais bourbon, aux frais de la princesse.

    Ils ont vu là-bas un type, un élu bien cravaté qui a déclaré tout de go que son père, retraité agricole qui gagnait 500 euros par mois lui prêtait même de l’argent.

    Je me pose une question : Quand on entend des bêtises pareilles et même celles du Grand chef, au dernier salon de l’agriculture, disant que donner 1000 euros par mois aux retraités paysans, ce serait ruiner l’économie du pays, je me demande ce que font nos intellectuels patentés pour laisser passer de telles âneries, sans réagir le moins du monde?

    Peut-on imaginer un seul instant, quelque spécialiste de la communication faire la morale à la gent paysanne, sur le plateau du JT, pour l’inviter à réagir? Quésaco? (c’est un mot que tu m’as appris, palsambleu!)

    Des gens responsables et raisonnables n’auraient pas attendu pour demander à ce blanc-bec de l’hémicycle un autographe et profiter de cette ridicule occasion pour lui administrer devant les caméras une bonne paire de claques, en lui faisant bouffer sa cravate et son complet gorge-de-pigeon, nom d’un petit bonhomme!

    Quant à l’autre, dont tu me dis qu’il a lu Machiavel, les céréaliers du syndicat eussent-été bien inspirés, sans se prendre pour Voltaire ni Casanova, de lui montrer leurs bonnes manières, à la façon d’un Jacques admirable qui avait une sacrée bibliothèque et un avion sur son île.

    Tu vois, un amuseur public ou un commentateur de télé, dire des choses pareilles aux troupeaux avachis sur leurs canapés? Moi non.

    Et quand bien même, elles seraient appliquées, est-on sûr que ça va générer un peu plus de justice et de solidarité en milieu agricole et rural?

    Le bon sens paysan? Mon œil Ferdinand, il reste à inventer!

    Je te quitte en espérant te voir bientôt à la maison, avec Anne, comme convenu.

    Amicalement à toi et à ton épouse

    Joachim  »

    Du contenu de cette épistole apportée par le facteur, que dire? Tout simplement que le chat n’est pas encore retrouvé et que le gentil minet court toujours dans la contrée. Viser l’efficacité, certes, mais comment? Avec quels moyens du bord légaux?

    François Jullien nous répond : « Il y a bien un agir, mais c’est un agir en amont » (Traité de l’efficacité, page 151)

    De cette « efficience » peut-on vraiment en parler? Anne, du haut de sa tour, scrute l’horizon…

    Hier, allant glisser dans une boîte aux lettres, un petit mot pour la fête d’un ami, surgissent d’un bosquet tout proche, deux petites jeunes filles et un jeune garçon courant derrière son ballon. Ils m’accostent avec des mots simples empreints d’aménité et de politesse.

    Je me suis dit instinctivement qu’il y a au delà du « bonjour à la maîtresse », un terrain à exploiter, à faire fructifier, en ce monde déboussolé.

    Mission des éleveurs, avec et au delà peut-être, des familles et du corps enseignant…

    Alors retroussons nos manches dans nos jardins d’argile et de ciels.

    A vous tous, cordialement

    Gérard Fai

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Oui, fidèles compagnons de ce blog, je sais que je passe à vos yeux pour un fendeur de cheveux en quatre ! Quel profit y a-t-il à distinguer une image iconique d’une image indicielle, où ces arguties nous mènent-elles ? Toute ma vie, j’aurai cherché à affuter quelques mots, à rejeter les cartes distribuées par la vulgate et à en proposer d’autres, à quoi bon ?…. Le prêt-à-porter intellectuel me rebute, j’ai le snobisme de m’en détourner. Naturellement, mes activités n’augmenteront pas d’un écu la retraite paysanne, j’en suis fâché car travailler à mieux comprendre nos liens avec les milieux, la nature, le cosmos pourrait conduire à revaloriser un peu votre secteur d’activités. A long terme peut-être, nous aurons coopéré ? Je me flatte de cet espoir bien mince, pour me faire pardonner le temps passé avec ce blog, et les auteurs qu’il mentionne. Le prochain billet (qui ne fera pas cours) sur « Finir en beauté », touchera un tout autre registre, encore que…

  4. Avatar de jacques portella
    jacques portella

    Beaucoup trop compliqué pour moi. Je ne peux donc pas voir l’intérêt pratique de toutes ces distinctions !

    En plus, cette propension de Mr Bougnoux de se mettre en avant et de présenter ses propres productions me mettent mal à l’aise et me bloquent.

    Dommage !

    1. Avatar de Daniel Bougnoux

      Mes propres productions ? Je m’efforce d’accompagner un auteur que je découvre dans son parcours stimulant, « parmi les vivants », et pour mieux le suivre, et enrichir son livre (que je trouve magnifique), je propose quelques développements sur la question de l’indice, très négligée par notre culture, dominée par une linguistique uniquement consacrée au langage humain. C’est compliqué ? Oui, les (belles) choses sont compliquées. Dommage !

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À propos de ce blog

  • Ce blog pour y consigner mes impressions de lecteur, de spectateur et de « citoyen concerné ». Souvent ému par des œuvres ou des auteurs qui passent inaperçus, ou que j’aurai plaisir à défendre ; assez souvent aussi indigné par le bruit médiatique entretenu autour d’œuvres médiocres, ou de baudruches que je…

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À propos de l’auteur

  • Daniel Bougnoux, professeur émérite à l’Université Stendhal de Grenoble, est ancien élève de l’ENS et agrégé de philosophie. Il a enseigné la littérature, puis les sciences de la communication, disciplines dans lesquelles il a publié une douzaine d’ouvrages.

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